En effet, à l’issue d’une séparation, un couple, marié ou non, devra prendre une décision concernant la résidence de leur enfant. A défaut d’accord, les parents devront solliciter l’intervention du juge aux affaires familiales afin qu’il fixe la résidence de l’enfant.
Avant 2002, la loi n’accordait pas au juge la faculté de fixer la résidence de l’enfant en alternance chez ses parents, mais lui imposait de la fixer chez l’un d’eux et de prévoir au profit de l’autre un droit de visite et d’hébergement. Toutefois, les juges ont usé de leur pouvoir de détermination des modalités du droit de visite et d’hébergement pour vider de son contenu cette obligation. Pour ce faire, le juge attribuait au parent chez lequel la résidence de l’enfant n’était pas fixée, un droit de visite et d’hébergement si large que de fait la résidence de ce dernier était alternée.
En outre, l’évolution des mœurs, la promotion de l’égalité entre les parents et leur désir de ne pas être éloignés de leur enfant sur une longue période militaient en faveur de la possibilité pour le juge de prononcer une résidence alternée. En effet, ce mode de résidence présente l’avantage de permettre à l’enfant de bénéficier de l’apport de ses deux parents [1] et il est, à ce titre, une source d’équilibre affectif et d’épanouissement pour celui-ci [2].
Compte tenu de ces évolutions sociologiques et jurisprudentielles, le législateur a dans la loi du 4 mars 2002 [3] fait de la résidence alternée une des branches de l’alternative offerte par l’article 373-2-9 du Code civil au juge aux affaires familiales, lequel doit se prononcer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale en cas de séparation.
Désormais, le juge peut soit fixer la résidence de l’enfant en alternance au domicile de chacun de ses parents, sans toutefois que le temps passé par ce dernier auprès de son père et de sa mère soit nécessairement identique [4], soit fixer cette résidence au domicile de l’un d’eux et prévoir au profit de l’autre un droit de visite et d’hébergement dont il détermine les conditions d’exercice. Pour prendre sa décision, le juge analyse concrètement la situation familiale en cause en tenant compte notamment des éléments visés par l’article 376-2-11 du Code civil.
Le 17 octobre 2017, une proposition de loi invitait à modifier la rédaction de l’article 373-2-9 du Code civil pour qu’en cas de séparation la résidence de l’enfant soit fixée, par principe, au domicile de chacun des parents, selon les modalités que le juge aurait déterminées dans le cadre de sa saisine [5]. Les députés proposaient donc que la résidence alternée soit la règle en cas de séparation. Néanmoins, le juge aurait conservé, de manière exceptionnelle, la faculté de fixer la résidence de l’enfant chez un seul de ses parents lorsqu’une raison sérieuse, qu’il lui serait appartenu de déterminer et de motiver, l’aurait justifiée.
Cette proposition de loi, plus symbolique que révolutionnaire en pratique, puisqu’elle laissait au juge la faculté de s’écarter d’une résidence respectant une stricte égalité de temps entre les parents ainsi que celle de mettre en place des dispositions transitoires ou temporaires en lien avec l’âge de l’enfant, n’a pourtant jamais été adoptée en raison des controverses qu’elle a soulevées.
Ainsi, serait-il opportun qu’une loi contraigne cette fois le juge à prononcer automatiquement une résidence alternée, c’est-à-dire la fixation de la résidence de l’enfant une semaine chez chacun de ses parents, en cas de séparation, lui faisant perdre tout son pouvoir d’appréciation des situations particulières et le cantonnant ainsi à n’être que la bouche de la loi ?
Une telle automatisation de la résidence alternée constituerait une avancée en faveur de l’égalité des parents (I) mais pourrait malheureusement s’avérer contraire à l’intérêt de l’enfant dans certaines situations particulières (II).
I. L’adéquation du principe de la résidence alternée avec l’intérêt des parents.
L’interrogation sur l’opportunité de faire de la résidence alternée le principe en cas de séparation des parents résulte du constat que cette pratique est peu mise en œuvre par les magistrats alors qu’elle leur est offerte depuis 2002. En effet, rappelons qu’il résulte de l’étude publiée par l’INSEE le 3 mars 2021 qu’en pratique, en 2020, 88% des enfants dont les parents étaient séparés résidaient majoritairement ou exclusivement chez un seul parent qui apparaissait être la mère dans 86% des cas [6].
Or, l’évolution de la société qui se traduit par l’exercice par les mères d’une activité professionnelle et les revendications égalitaires des pères qui souhaitent assumer plus complètement leur rôle éducatif en étant associé de manière régulière au quotidien de leur enfant font émerger une demande sociétale en faveur d’une loi qui ferait de la résidence alternée de l’enfant la règle en cas de séparation. Outre le fait que la résidence alternée permet à l’enfant d’entretenir des relations affectives avec ses deux parents, sa fixation automatique par la loi accélèrerait le mouvement d’égalisation des parents et corrigerait les travers qu’entraine sa fixation subjective et aléatoire par le juge.
En effet, d’une part, l’automaticité permettrait de déculpabiliser les mères qui ne souhaitent pas solliciter la fixation de la résidence de leur enfant à leur domicile. D’autre part, la fixation automatique de la résidence alternée éviterait de décevoir les pères qui aimeraient légitimement occuper un rôle régulier dans la vie de leur enfant.
Par conséquent, la mise en place automatique d’une résidence alternée par le juge permettrait de satisfaire le désir des parents de ne pas être éloignés de leur enfant durant une trop longue période et assurerait la continuité et l’effectivité du lien avec chacun d’eux.
Toutefois, il n’est pas certain qu’un tel mécanisme permette toujours de sauvegarder l’intérêt supérieur de l’enfant, lequel doit pourtant prévaloir.
II. L’inopportunité du principe de la résidence alternée au regard de l’intérêt de l’enfant.
Dans certaines hypothèses, l’intérêt de l’enfant, que le juge doit veiller à sauvegarder, ne se trouve pas dans la fixation automatique d’une résidence alternée. C’est notamment le cas en présence d’un important éloignement géographique séparant les parents, d’un enfant en bas âge ou d’un conflit parental.
En présence d’un important éloignement géographique séparant le domicile des parents, il serait inapproprié d’imposer au juge de fixer une résidence alternée. En effet, il est essentiel que le juge apprécie au regard de chaque situation le caractère raisonnable de la distance qui sépare le domicile d’un parent à l’autre ainsi qu’à l’école et il serait utopique de penser que l’on pourrait s’en dispenser. En effet, la loi n’est pas en mesure de remplacer l’appréciation concrète menée par le juge dès lors qu’il lui est impossible de déterminer abstraitement une distance au-delà de laquelle la résidence alternée ne devrait pas être fixée.
Or, il serait assurément contraire à l’intérêt de l’enfant de fixer par principe sa résidence de manière alternée, en lui imposant de changer de domicile de manière récurrente alors que la durée des trajets qu’il aurait à réaliser dans le cadre de cette alternance générerait chez lui une fatigue excessive. Dès lors, seule une étude au cas par cas du planning des parents et de l’enfant par le juge permet d’assurer la conformité de la résidence alternée à l’intérêt de l’enfant.
A titre d’exemple, la Cour d’Appel d’Aix en Provence [7] a confirmé la mise en place de la résidence alternée par le juge aux affaires familiales alors qu’une distance de 33 kilomètres séparait les domiciles des parents ce qui représentait un temps de trajet de 35 minutes en relevant que l’enfant n’effectuait le trajet entre le domicile de ses parents qu’une fois par semaine et qu’un aller-retour d’une durée d’une heure dix par semaine n’apparaissait pas excessif pour un enfant de 8 ans.
Tandis que la Cour d’Appel de Chambéry [8] a pu considérer qu’eu égard à la distance de 16 kilomètres séparant le domicile des parents, la résidence alternée serait contraire aux intérêts de l’enfant âgé de 4 ans compte tenu du rythme de vie contraignant et exigeant qui lui serait imposé. La Cour a souverainement retenu que la résidence alternée serait une source de fatigue et de difficultés pour l’enfant notamment pour le suivi d’une scolarité régulière, ce dernier étant obligé de se lever tôt pour se rendre à l’école quand il serait chez le parent qui n’habite pas dans la commune de l’établissement scolaire dans lequel il est inscrit.
La comparaison de ces deux arrêts illustre bien que le caractère raisonnable de la distance séparant le domicile des parents doit être soumis à l’analyse concrète du juge qui l’appréciera au regard d’autres éléments tel que l’âge de l’enfant.
En présence d’un enfant en bas âge, la fixation de la résidence alternée suscite les critiques de praticiens dans le domaine de la psychologie et de la pédiatrie qui s’accordent à dire que l’absence de stabilité de la résidence du très jeune enfant fait obstacle à son développement cognitif puisque toute son énergie est mobilisée pour s’adapter à l’instabilité de sa résidence [9] ce qui n’apparait pas être dans son intérêt. L’enfant devrait donc, selon ces experts, disposer dans les premières années de sa vie d’un domicile stable, indispensable à sa construction, ce qui s’oppose à la fixation automatique d’une résidence alternée dans ce cas de figure.
A titre d’exemple, Bernard Golse, pédopsychiatre-psychanalyste, estime que la mesure de résidence alternée devrait être proscrite chez les enfants de 0 à quatre ans [10]. En effet, il déconseille le recours à tout mode d’alternance qui entraine un éloignement de l’enfant de sa « figure d’attachement » à un rythme inapproprié, car trop long ou répétitif, par rapport à son développement.
Une telle préconisation exclut également, en cas de séparation, la mise en place d’un droit de visite et d’hébergement pendant une semaine entière.
Dès lors, tant qu’il ne peut être affirmé que la résidence alternée est par principe conforme à l’intérêt de l’enfant en bas âge, l’appréciation du juge demeure nécessaire et s’oppose à ce que la résidence alternée soit la règle en cas de séparation.
Il en est de même s’agissant de la détermination du parent chez lequel la résidence de l’enfant devra être fixée dans ce cas. Il convient à ce titre de souligner que le droit ne fait aucune distinction quant aux capacités des parents et ne prévoit pas de régime préférentiel en faveur de l’un d’eux même s’il est vrai qu’en pratique du fait du lien établi durant la grossesse et de la législation relative au congé maternité, la mère, sous réserve qu’elle ne soit pas défaillante représente « la figure de sécurité » pour le très jeune enfant et se voit, à ce titre, attribuer sa résidence principale [11]. Par conséquent, la détermination du parent chez lequel la résidence de l’enfant en bas âge devra être fixée requiert l’analyse approfondie de la situation familiale par le juge qui devra désigner celui qui est « le principal pourvoyeur de soin » [12] de l’infans en tenant compte par exemple de la situation de fait qui précédait son intervention.
Ainsi, une marge d’appréciation doit continuer d’être concédée au juge afin de préserver l’intérêt de l’enfant en bas âge car aucun critère légal ne saurait suppléer son intervention, ce qui se confirme en présence d’un conflit parental.
En présence d’un conflit parental, l’intérêt de l’enfant ne s’oppose pas par principe à la fixation d’une résidence alternée dès lors que les parents n’instrumentalisent pas l’enfant et n’entretiennent pas le conflit à travers lui.
Cependant, un tel constat requiert l’analyse au cas par cas des situations par le juge aux affaires familiales qui ne doit dès lors pas être cantonné par la loi à fixer de manière automatique une résidence alternée en cas de séparation. En effet, dans une telle hypothèse, le juge cherche à savoir si face à la mésentente avérée des parents, l’intérêt de l’enfant se trouve dans la continuité et l’effectivité du lien avec chacun d’eux ou s’il réside plutôt dans la nécessité de ne pas être pris dans un conflit de loyauté à travers l’alternance de sa résidence.
Au regard de ces trois exemples, il apparait évident que le législateur ne doit pas faire de la résidence alternée la règle en cas de séparation des parents si cela aboutit à cantonner le juge à n’être que la bouche de la loi et le prive du pouvoir d’apprécier les situations familiales particulières qui lui sont soumises.
S’il est vrai que la marge d’appréciation laissée au juge rend la fixation de la résidence de l’enfant aléatoire pour les parents, il n’en demeure pas moins que celle-ci préserve la sauvegarde de l’intérêt de l’enfant et doit à ce titre être maintenue. Il appartient aux parents de pallier cette insécurité judiciaire en mettant de côté les différends qui les opposent à l’issue de leur séparation afin de s’accorder sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale.
Dans l’hypothèse où les parents ne parviendraient pas à déterminer amiablement la résidence de leur enfant, ils peuvent recourir à une médiation familiale afin d’être accompagnés dans la recherche d’un tel accord.
Discussions en cours :
Bonjour Mme Tessier,
À la lecture de votre article je me permets de vous dire, dans le plus grand respect, que vous êtes très mal renseignée sur le sujet. Certains de vos arguments sont même contraire à l’intérêt des enfants et véhiculent de la désinformation.
Tout d’abord, concernant l’évolution du code civil pour faire de la résidence alternée un principe de base. Les propositions de lois en cours sont très explicites. Elles invitent seulement les juges à étudier cette organisation en priorité. Il ne s’agit en aucun cas de l’imposer. Propositions : "Texte n° 3852 proposé par le député Grégory Labille (2021)" et "Texte n° 628 proposé par la sénatrice Hélène CONWAY-MOURET (2020)".
Concernant l’intérêt de l’enfant. Vos arguments sont faux. Vous citez le "point de vue d’un pédopsychiatre" de 2012... Les études scientifiques internationales les plus récentes et documentées, validées par des centaines d’experts, préconisent ce mode de résidence y compris pour les jeunes enfants. Je vous invite à consulter l’intégralité de ces études qui sont toutes sourcées : https://www.egalite-parentale.fr/etudes-scientifiques/
Concernant le lien d’attachement. Encore une fois votre argument est complètement faux. En janvier 2021, une analyse de consensus cosigné par 70 spécialistes a été publiée. Voici un extrait de la conclusion des spécialistes :
Source : https://cirpa-france.fr/attachement-et-separation-parentale/
Concernant le conflit parental, contrairement à vos propos, la résidence alternée peut clairement être bénéfique pour toute la famille. Les parents, et surtout les enfants. Je vous invite à lire ces jurisprudences récentes sur le sujet :
De récentes décisions de Cours d’appel affirment que l’alternance « est de nature à réduire les conflits liés à l’exercice d’un droit de visite et d’hébergement » (CA Versailles, 6 mai 2021, n° 20/00201 ; CA Versailles, 25 mars 2021, n° 20/03323 ; CA de Bordeaux, 14 Janvier 2021, n° 19/03698).
En effet, « ce mode de résidence est adapté pour [l’enfant] qui doit se sentir protégé dans sa sécurité intérieure et permet de reconnaître la place de l’autre parent auprès de l’enfant » (CA de Versailles, 3 déc. 2020, n° 19/04051).
À l’inverse, « la fixation de la résidence de l’enfant chez l’un ou l’autre des parents ne peut qu’instaurer chez lui un sentiment de toute puissance et l’entraîner à dénier les droits de l’autre, à entretenir un climat de concurrence et de ressentiment sans laisser de place au rétablissement de relations apaisées et d’un dialogue constructif entre les parent » (CA Versailles, 6 mai 2021, n° 20/00201).
Mme Tessier, ce sujet très sérieux impacte la vie de dizaines de milliers de familles. Je vous invite vraiment à vous renseigner concrètement sur le sujet avant de propager ce type d’informations qui sont contraires à l’intérêt des enfants.
Bonjour Monsieur,
Mon propos constitue une réflexion générale sur la pertinence de la mise en place d’une automatisation de la résidence alternée en cas de séparation des parents et ne constitue donc pas un commentaire des propositions de réforme du Code civil qui, comme vous le rappelez, ne prévoient pas de priver le juge de son pouvoir d’appréciation.
Par ailleurs, j’indique que la fixation automatique de la résidence alternée pourrait contrevenir à l’intérêt de l’enfant dans certaines situations que je développe, ce qui ne remet pas en cause le fait que ce mode d’exercice de l’autorité parentale puisse être bénéfique pour l’enfant.
Enfin, je vous remercie pour les références complémentaires que vous citez dans votre commentaire. Elles fondent et illustrent
parfaitement l’aléa judiciaire qui existe dans la fixation de la résidence de l’enfant, ce qui la rend imprévisible pour les parents qui devraient dès lors mettre de côté les différends qui les opposent pour s’accorder sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale au regard de l’intérêt de leur enfant.