Tant que le divorce n’est pas acquis, les époux restent soumis aux dispositions du régime primaire impératif, telles que figurant aux articles 212 et suivants du Code civil. Il s’agit rappelons-le d’un socle de mesures d’ordre public, concernant les droits et obligations des époux, qui s’applique quel que soit le régime matrimonial choisi et auquel nul ne peut déroger.
Aussi, même pendant une séparation de fait ou pendant la phase de « pré-divorce », les époux sont-ils mutuellement tenus à une juste contribution aux charges du mariage, aux dettes ménagères, au devoir de fidélité, … et au devoir de cohabitation expressément visé à l’article 215 du Code civil qui prévoit en son alinéa 1er que « les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie » et en son alinéa 2 que « la résidence de la famille est au lieu qu’ils choisissent d’un commun accord » ?
Posséder deux logements n’est donc pas une option pour le législateur !
Si la lecture des dispositions du régime primaire impératif par l’officier d’état civil le jour du mariage civil, dont la plupart sont inchangées depuis 1803 (!), peut faire sourire certains des invités voire les époux eux-mêmes, elle a le mérite d’informer sur les obligations auxquelles les (futurs) époux souscrivent par le biais du mariage. Et sonnent un peu comme une « mise en garde ».
Nul n’ignore que finaliser un divorce peut prendre plusieurs mois voire plusieurs années. En pratique, un divorce contentieux sera souvent plus long qu’un divorce amiable. Certaines juridictions sont particulièrement encombrées notamment en Ile-de-France où les délais n’ont cessé de s’allonger avec la crise de la Covid (à Nanterre par exemple, il n’est pas rare de devoir attendre deux années en moyenne avant une première audience JAF). Concernant les divorces par consentement mutuel, il faut parfois compter un an de négociations en moyenne pour parvenir à un accord global et signer une convention de divorce ; les délais s’allongeant immanquablement en présence d’enfants (mineurs notamment) et de patrimoine commun ou indivis à partager surtout quand il faudra négocier une convention d’indivision ou un rachat de quote-part entre époux.
Que faire alors si, dans l’intervalle, la cohabitation des futurs ex-conjoints devient trop conflictuelle, certains diront trop « toxique », pour se poursuivre et que l’un des conjoints veut quitter le logement conjugal ; sans pour autant être dans un contexte de violences physiques ou psychologiques ? Car dans ce dernier cas, le recours à une ordonnance de protection, mesure d’urgence prévue par les articles 515-9 et suivants du Code civil, s’avèrera nécessaire et pourra, toutes conditions par ailleurs réunies, déboucher notamment sur l’attribution de la jouissance privative du logement familial au profit du conjoint victime et corrélativement au départ du conjoint violent, souvent sous astreinte et/ou avec recours à la force publique si nécessaire (mais ceci n’est pas l’objet de cet article).
Autre cas de figure : un des conjoints, ou les deux, souhaite(nt) divorcer et même si un divorce par consentement mutuel semble envisagé/envisageable, l’un ou l’autre, ou les deux, ne sont pas encore prêts à initier un divorce et veulent se laisser du temps. Ils voudraient se séparer physiquement même provisoirement mais ignorent comment procéder ?
In fine, la question est la suivante : est-il possible de quitter le domicile conjugal en étant - toujours - mariés ? Existe-t-il un risque civil et/ou un risque pénal ?
Au plan des principes, posséder des domiciles séparés quand on est mariés n’est pas autorisé par la loi (cf. ci-dessus).
Sauf éventuellement à se placer sous l’empire de la séparation de corps qui est un moyen, durable celui-là, d’avoir des domiciles distincts tout en restant mariés.
« La séparation de corps ne dissout pas le mariage mais elle met fin au devoir de cohabitation » nous dit l’article 299 du Code civil.
Des conjoints mariés qui ne voudraient plus vivre sous le même toit, sans pour autant divorcer, peuvent donc opter pour la séparation de corps. Elle peut être établie par le biais d’une convention par consentement mutuel par acte d’avocats ou, à défaut, obtenue par la voie judiciaire (mais ceci n’est pas l’objet de cet article).
La jurisprudence a également assoupli un peu la notion de l’interdiction des domiciles séparés. Ces derniers sont tolérés pour motifs professionnels (un des conjoints est muté à l’autre bout de la France ou à l’étranger pour quelques jours, semaines, voire quelques mois) ou pour motifs personnels impérieux (un des conjoints doit quitter provisoirement le domicile conjugal pour s’occuper d’un parent souffrant ou âgé ou d’un enfant par exemple) ou encore enfin si c’est à titre (très) provisoire.
Dans tous les autres cas, les époux restent tenus à un devoir de cohabitation strict quelles que soient les circonstances de leur union, même si celle-ci touche à sa fin et que la cohabitation est devenue difficile ou n’est plus souhaitée.
Alors, que risque-t-on réellement, en tant que conjoint marié, en quittant le domicile conjugal (sans être séparés de corps) ?
A l’époque du « tout, tout de suite ! », la solution des domiciles distincts (séparés) peut être tentante pour les futurs ex-époux surtout si cela s’avère économiquement envisageable pour eux. Certains peuvent d’ores et déjà posséder une résidence secondaire pouvant faire office de « logement bis » provisoire. D’autres encore, peuvent disposer des ressources suffisantes pour prendre ce type de logement (location d’un appartement ou logement air b and b) ou, dans le cas contraire, le financer en toute ou partie par l’économie générée par la suspension de leur crédit immobilier pour une durée allant de 6 à 24 mois (selon les clauses de leur contrat actuel, ou selon les facilités offertes par la banque soit encore parce que les époux ont obtenu judiciairement une suspension temporaire de leur crédit). D’autres enfin, peuvent être hébergés chez un ami ou un membre de leur famille le temps de la procédure (en cas de divorce contentieux) ou des négociations (en cas de divorce amiable).
Autant de solutions à inventer pour les futurs ex-époux.
Mais une fois la fameuse « adresse bis » provisoire trouvée, il ne faudra pas se précipiter pour autant. Car un départ inopiné du domicile conjugal fera immanquablement courir un risque non théorique à celui des conjoints qui serait tenté de quitter le logement conjugal et de faire cesser de ce fait le fameux devoir de cohabitation, même provisoirement.
Sur le plan civil tout d’abord, abandonner le domicile conjugal, présente un risque réel, en cas de contentieux, de voir le divorce prononcé à ses torts exclusifs si le départ constitue une faute ; cette dernière pouvant être aggravée si cet abandon est particulièrement brutal, réalisé sans avertissement du conjoint, ou s’il a revêtu un caractère vexatoire. En cas de divorce par consentement mutuel, cet élément ne sera pas neutre et pourra peser de tout son poids dans la balance des négociations notamment quand au sort des biens (et à leur attribution dans le cadre du partage), à la prise en charge de l’éventuel droit de partage, voire encore quant au montant de l’éventuelle prestation compensatoire ; toutes conditions par ailleurs réunies.
Quid sur le plan pénal ? Les sanctions civiles sont à mettre en miroir avec les sanctions pénales. Si un conjoint marié a quitté le domicile depuis plus de deux mois sans y être autorisé et n’a toujours pas réintégré le domicile, il s’agit d’une violation manifeste du devoir de communauté de vie découlant du mariage et celui qui aura été « abandonné » pourra le faire constater par des déclarations de tiers, des mains-courantes, voire le cas échéant un constat de commissaire de justice. Et ce avant d’aller déposer plainte pour abandon de famille [1], le cas échéant, et d’engager une procédure judiciaire à son encontre.
L’abandon de famille c’est un peu l’infraction « à la mode » en ce moment. Celle qui fait craindre - parfois à juste titre - des conséquences civiles irrémédiables parmi lesquelles, la perte de la jouissance privative du domicile conjugal et par la même occasion la garde des enfants… la double peine en un mot.
L’affaire est donc sérieuse et ne peut être prise à la légère.
Préalablement au départ, le meilleur conseil consiste donc à encadrer ce dernier pour mieux le sécuriser. Cela peut prendre plusieurs formes selon le contexte.
La solution la plus simple (et rapide) consiste à recueillir amiablement de son conjoint, avant tout départ, une autorisation amiable de résidences séparées à titre provisoire. Cette autorisation écrite, qui peut tenir sur une simple feuille A4, devra être établie par les époux en deux exemplaires originaux (un par époux).
En présence d’enfants et de biens immobiliers, un « protocole de séparation amiable entre époux à titre provisoire » sous-seing privé, beaucoup plus détaillé quant à lui, sera à privilégier afin de prévoir les mesures provisoires (i) entre époux, incluant notamment une autorisation de résidences séparées (mais aussi une répartition des charges communes, etc.), et (ii) vis-à-vis des enfants (détermination du lieu de résidence, modalités de contribution à leur éducation et à leur entretien, etc.). Ces protocoles sont généralement négociés via les avocats respectifs. Les mesures prévues auront vocation à s’appliquer jusqu’à la signature de la convention de divorce, c’est-à-dire pendant quelques mois. Leur objectif : éviter que la situation s’envenime en offrant un cadre sécurisant aux « époux-parents » pendant la phase de négociations des mesures définitives. Raison pour laquelle leur pratique se développe de plus en plus.
A défaut d’accord, le conjoint désireux de partir malgré tout, pourra solliciter judiciairement une autorisation de résider séparément auprès du juge aux affaires familiales compétent.
Cette autorisation pourra être obtenue soit rapidement (en quelques jours), dans le cadre d’une ordonnance de protection, mais uniquement en cas de danger imminent avéré (cf. ci-dessus), soit plus tardivement (en quelques mois, voire un ou deux ans selon les tribunaux - cf ci-dessus) dans le cadre d’une ordonnance sur mesures provisoires [2] en présence d’une procédure de divorce judiciaire classique (hors bref délai). L’objectif poursuivi par le conjoint demandeur sera le plus souvent l’octroi de la jouissance du logement conjugal. S’il y parvient, l’autre conjoint défendeur devra trouver à se loger ailleurs par ses propres moyens et souvent sans délai (à moins qu’il ait pu obtenir un délai de prévenance).
En tout état de cause, il sera rappelé que l’époux ou l’épouse qui introduirait une action contentieuse à l’encontre de son conjoint, quelle qu’en soit la nature, fera au-delà et de manière quasi-définitive, une croix sur un divorce amiable (par consentement mutuel). Il lui sera donc toujours conseillé de tenter de trouver préalablement un accord avec son conjoint, soit directement soit via son conseil habituel, avant d’introduire son action. Sauf à ce que le contexte ne s’y prête absolument pas ; ce qui est malheureusement parfois le cas.
Un départ du domicile conjugal avant le divorce effectif et la fin « officielle » du devoir de cohabitation ne s’improvise pas. Aussi, dans une vision prudentielle, le conjoint désireux de quitter le domicile conjugal devra-t-il agir en conséquence pour que la fin de cessation de communauté de vie se passe dans les meilleures conditions et ne lui fasse pas courir des risques inutiles en compromettant irrémédiablement le bon déroulé de son divorce à venir.