L’union libre n’est pas un épiphénomène. En France, sur 32 millions de personnes majeures qui déclarent vivre en couple, 7 millions sont en union libre. Cela représente 1 couple sur 5 environ et concerne des couples de tout âge et de tout sexe.
Parmi les couples de concubins, nombreux sont ceux qui, à un moment ou à un autre, vont vouloir bâtir un projet en commun et acquérir un logement ensemble, bien souvent destiné à devenir leur future résidence principale.
Napoléon aurait dit : « Les concubins (ni pacsés, ni mariés) se passent de la loi… La loi se désintéresse d’eux ! »
Humainement, on comprendra aisément la posture d’un couple de concubins qui a fait le choix de la liberté et ne veut pas s’imposer de contraintes.
Ne parle-t-on pas d’ « union libre » d’ailleurs ?
Ceci étant dit, le réveil a posteriori peut alors s’avérer douloureux.
Ah Liberté chérie ! Ou plutôt « Chère Liberté »… Ils l’apprendront souvent à leur dépends : la liberté a un prix.
Alors comment (leur) éviter le pire en pareil cas ?
1°) Sur la situation risquée du concubin survivant en concurrence avec un ou plusieurs héritier(s) du concubin décédé.
Il importe d’abord de décrire succinctement quelle sera la situation du concubin survivant au décès de son compagnon en l’absence de mesures de protection et en présence d’héritiers de ce dernier.
Rappelons qu’au plan civil, les concubins survivants ne bénéficient d’aucune protection légale spécifique, à la différence des conjoints mariés.
En l’absence de disposition(s) testamentaire(s), le concubin survivant ne sera donc pas reconnu comme un héritier au sens de la loi mais comme un simple tiers à la succession.
Sauf dispositions spécifiques, il ne recevra rien en provenance de la succession du défunt.
La succession sera réglée « hors sa vue » en tenant compte des seules règles de dévolution légale.
Aussi, en présence d’enfants du concubin décédé, ces derniers vont hériter de l’entière succession de leur parent décédé.
Autrement dit, ils vont recueillir 100 % de la succession de leur parent - qu’ils vont se partager par parts égales - et parmi celle-ci, la quote-part que possédait ce dernier dans le bien immobilier indivis.
A titre d’exemple, si le défunt possédait 40 % du bien indivis et avait deux enfants d’un premier lit, au jour de son décès, chacun de ses enfants recueillera 20 % de quote-part indivise dans le bien.
Le concubin survivant n’aura en outre aucun droit au maintien dans le logement, à la différence des conjoints mariés.
En raison du principe selon lequel nul ne peut être contraint à demeurer dans l’indivision, les enfants du 1er lit seront en droit de solliciter le partage judiciaire et la vente du logement avec répartition du prix de vente entre les co-indivisaires en proportion de leur quote-part respective dans le bien.
Qu’importe au demeurant le pourcentage détenu par ces derniers dans le bien et même s’ils sont « minoritaires ».
Le concubin survivant ne pourra s’y opposer.
Il pourra simplement proposer de racheter la quote-part indivise des enfants de feu son concubin ; mais encore faut-il qu’il en ait les moyens à ce moment-là !
Sauf cas d’un rachat, il ne pourra pas se maintenir dans les lieux.
Il devra quitter le logement dont il était propriétaire avec son compagnon décédé, recueillera uniquement sa quote-part dans le bien indivis et devra trouver à se reloger.
Cette situation place donc le concubin survivant dans une situation beaucoup trop précaire.
Une fois cette situation décrite, que peut-on faire ?
2°) Sur les mesures à prendre pour accroître les droits du concubin survivant sur le logement indivis en présence d’héritiers.
Comme solution, d’aucuns proposeront aux concubins de conclure un PACS ou de se marier ! En effet, les partenaires pacsés et les conjoints mariés disposent d’un large panel de protections spécifiques (non détaillées ici).
Ce serait oublier que les concubins disposent eux-aussi, et contrairement à la croyance commune, de différents « leviers », plus ou moins sophistiqués, pour accroître la protection de leur compagnon dans le cadre de leur projet d’investissement immobilier et ce même en présence d’héritier(s). Étant précisé que l’efficacité des mesures mises en place variera selon que l’on est en présence ou non d’enfants communs, ou que l’un ou l’autre a des enfants d’un premier lit.
Au-delà de ces mesures spécifiques, le premier réflexe « basique » à avoir, pour les concubins (mais aussi pour les époux et les partenaires pacsés), en cas d’achat à crédit, a trait à la souscription d’une assurance emprunteur a 200 %: 100 % Monsieur et 100 % Madame.
On ne le dira jamais assez, mais choisir une quotité d’assurance de prêt à 200 % (et non pas à 100 % comme proposé habituellement) est un gage de sécurité et de tranquillité pour les co-emprunteurs.
En effet dans le cas d’un prêt assuré à 100 % (solution la plus répandue aujourd’hui), et si par malheur le risque venait à se réaliser pour l’un des co-emprunteurs (invalidité, décès…), le survivant (ou le valide) devrait continuer à rembourser sa quote-part de capital assuré.
En revanche, en cas de souscription d’une assurance emprunteur à 200 %, en cas de réalisation du risque, le bien sera totalement remboursé. Le prêt sera intégralement et définitivement soldé.
Depuis le 1er janvier 2018, rappelons que tout emprunteur peut changer d’assurance de prêt immobilier, même s’il a souscrit son crédit voici plusieurs années. Il convient donc de vérifier ses contrats en cours et à modifier le cas échéant son assurance emprunteur. D’autant que le surcoût généré est minime par rapport à l’intérêt « prévoyance » de cette mesure de protection simple et efficace.
Cela étant précisé, des solutions simples peuvent être mises en place en amont par les concubins pour maintenir « malgré tout » le survivant dans les lieux ; toutes conditions par ailleurs réunies :
• soit en lui léguant sa succession via un legs universel ou a minima sa quote-part dans le bien via un legs à titre particulier ou un legs particulier, mais dans la limite de la quotité disponible - en présence d’héritiers réservataires - et avec des droits de mutation à 60 %.
Les concubins peuvent en effet parfaitement se léguer mutuellement via un testament leur quote-part indivise dans le bien indivis.
En l’absence d’héritiers réservataires, le survivant héritera sans difficulté de la part du défunt dans le bien indivis ; ce qui évitera qu’il se retrouve en co-indivision avec des « étrangers » sur le bien ainsi recueilli.
Les concubins peuvent même se léguer leur entière succession si telle est leur volonté. Rien ne peut y faire obstacle ; sauf peut-être l’impact fiscal de ladite technique (cf. nos développements ci-après).
En présence d’héritiers réservataires, le but peut-être plus difficile à atteindre notamment si le défunt n’avait pas d’autres éléments de patrimoine autre que sa quote-part indivise dans le bien indivis.
En effet, en pareil cas, en présence d’héritiers réservataires, la part léguée devra respecter la quotité disponible qui est d’ordre public. Elle ne saurait excéder cette dernière.
A titre de rappel, la quotité disponible correspond à la part dont une personne peut disposer librement, par donation ou testament, en présence d’héritiers réservataires, c’est-dire en présence d’héritiers du défunt qui ont légalement vocation recueillir leur part de réserve (principalement : les enfants).
Plus il y a d’héritiers réservataires, plus la quotité disponible est réduite.
Si le legs excède la quotité disponible, il sera rapporté et réduit (« amputé » de la réserve globale).
A titre d’exemple, en présence d’un enfant unique, le montant de la réserve est de ½ et la quotité disponible est de ½. Autrement dit, en présence d’un enfant unique, un concubin ne pourra léguer à sa compagne par testament que la moitié de sa succession.
Aussi, à titre de règle pratique, s’il souhaite lui léguer sa quote-part dans le bien indivis (afin d’éviter qu’elle se retrouve en co-indivision avec le ou les enfants du 1er lit), la valeur de cette quote-part devra être inférieure à la moitié de la valeur totale de la succession.
Etant précisé que sur cette quote-part ainsi transmise (par le biais d’un testament), le survivant légataire aura néanmoins à payer d’importants frais de succession.
En effet, les concubins sont considérés fiscalement comme des étrangers l’un vis-à-vis de l’autre et taxés comme tels. Ils sont soumis aux droits de mutation à titre gratuit à 60 % et ne peuvent prétendre à aucun abattement spécifique.
Aussi toute transmission à titre gratuit à leur profit, par donation ou succession, est-elle lourdement taxée. C’est un frein non négligeable qu’il faut garder en tête, sans pour autant qu’il soit « paralysant ».
• Soit en prévoyant une convention d’indivision avec insertion d’une clause de rachat.
Par cette clause de rachat, en cas de décès d’un concubin, le survivant pourra acquérir sa part en priorité, mais à condition bien évidemment qu’il puisse financer ce rachat de quote-part et désintéresser les éventuels héritiers réservataires.
Les concubins soucieux de se protéger mutuellement peuvent également prévoir d’insérer une clause de rachat dans leur convention d’indivision par laquelle le concubin survivant pourra racheter en priorité la quote-part du défunt.
Cette clause doit être réciproque.
Par ce biais, le concubin survivant évitera de se retrouver en co-indivision avec les héritiers du défunt et pourra garder le logement « pour lui/elle ».
Il devra néanmoins désintéresser la succession du montant de la quote-part du défunt.
Il devra disposer pour cela des liquidités nécessaires et/ou souscrire un prêt.
• Soit en achetant le bien via une Société civile immobilier (SCI) et en prévoyant des dispositions spécifiques.
L’achat via une SCI créée à cet effet peut-être préconisé dans certains cas ; toutes conditions par ailleurs réunies.
En effet, acheter via une SCI est souvent une solution plus pérenne et plus organisée que l’indivision (même en présence d’une convention d’indivision).
Concrètement, les deux concubins créent une SCI qui achète le logement. Chaque concubin reçoit des parts sociales en proportion de sa part dans le capital social de la société. Lors du décès d’un des concubins, ses parts reviennent à ses héritiers sauf disposition contraire.
On se retrouve alors dans la même situation que décrite précédemment ; sauf que, dans ce cas, il existe des solutions pour protéger spécifiquement l’associé survivant.
En effet diverses techniques, destinées à éviter que soit contestée la présence de l’associé survivant dans le logement détenu par la SCI, existent. Elles vont permettre assez simplement aux concubins de se protéger mutuellement tout en faisant du « sur mesure ».
Pour l’essentiel, nous pouvons citer :
L’insertion d’une clause d’agrément.
La clause d’agrément contenue dans les statuts de la SCI va permettre aux associés en place d’approuver ou de refuser l’entrée dans la société de nouveaux associés.
Ainsi, le concubin survivant pourra empêcher les héritiers du défunt de devenir associés de la société à condition pour lui d’avoir suffisamment de fonds pour racheter leurs parts (cf. nos développements ci-dessus).
Le recours au démembrement croisé des parts de SCI.
Le démembrement croisé de propriété consiste pour chaque concubin à acheter la moitié des parts de la société en nue-propriété et l’autre moitié en usufruit.
Par ce mécanisme, le concubin survivant va pouvoir récupérer l’usufruit des parts qu’il possède en nue-propriété ; et ce en franchise de droits (cf. article 1133 du Code général des impôts).
Le concubin survivant possèdera alors la pleine propriété de la moitié des parts et l’usufruit sur l’autre moitié.
Les héritiers du concubin défunt ne conserveront que la nue-propriété de la moitié des parts de la société.
Le concubin survivant pourra continuer à demeurer dans le logement jusqu’à son propre décès.
Rappelons néanmoins que la création et la gestion d’une SCI exige un certain formalisme, des contraintes et génère un coût non négligeable ; qu’il conviendra d’apprécier au cas par cas. Elle suppose également un délai de création (rédaction et signature des statuts, immatriculation etc.) qu’il ne faudra pas négliger.
• Soit en achetant le bien en tontine.
L’achat en tontine peut-être préconisé dans certains cas ; toutes conditions par ailleurs réunies.
La clause de tontine est une clause insérée dans l’acte de vente et qui prévoit qu’au décès du premier acquéreur, le survivant sera considéré comme ayant toujours été le seul et unique propriétaire.
Ainsi, après le décès d’un concubin, le concubin survivant recouvrera l’intégralité de la propriété du bien avec effet rétroactif au jour de l’acquisition du bien.
N’étant pas assimilé à une libéralité, l’avantage procuré par la tontine échappe aux règles du rapport et de la réduction pour atteinte à la réserve.
Les héritiers du concubin décédé n’auront aucuns droits sur le bien immobilier car celui-ci sera hors masse successorale. Le logement restera la propriété exclusive du concubin survivant.
Autre conséquence et pas des moindres : l’avantage procuré par la tontine ne sera soumis à aucun droit de mutation à titre gratuit.
Les effets de la tontine sont donc extrêmement intéressants et offrent une protection très importante au concubin survivant ; au détriment des héritiers du défunt.
Mais attention car en cas de mésentente entre les concubins, le risque de blocage est patent.
Contrairement à l’indivision où il est toujours possible de provoquer le partage devant le juge, seul un accord des parties peuvent remettre en cause le pacte tontinier.
Raison pour laquelle la tontine est à manier avec précaution.
En conclusion, quand deux personnes achètent en commun un bien immobilier sans être ni mariés ni pacsés, elles oublient parfois qu’elles peuvent faire courir un risque à l’autre en n’assurant pas son avenir en cas de « coup dur » ; à savoir notamment en cas de décès.
En l’absence de règles protectrices légales, ce sont les concubins eux-mêmes qui devront prévoir des solutions. Bien que le concubinage soit l’expression d’une liberté, il ne doit pas pour autant aboutir à un « no man’s land » de la prévoyance au détriment du concubin survivant.
Autant éviter d’ajouter de la douleur à la douleur. Dans ce domaine, deux concubins avertis en valent mieux qu’un.