L’agent immobilier face à l’indivision.

Par Pascal Bellanger, Avocat.

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Explorer : # indivision # vente immobilière # gestion immobilière # droit civil

Si l’agent immobilier participe classiquement à des transactions immobilières entre particuliers, il va rencontrer également des indivisions et doit analyser celles-ci dans le cadre de la commercialisation d’un produit indivis.

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Les mandats habituellement confiés aux agents immobiliers, le sont en principe, par des personnes physiques qui vendent un immeuble, mais il existe un cas de figure que l’agent immobilier rencontre également, notamment lorsqu’il a affaire à une succession, laquelle vend un bien indivis. Il est donc indispensable pour un professionnel de l’immobilier de connaître et d’analyser, ce qu’est une indivision.

C’est un droit de propriété détenu sur un même bien ou sur un même groupe de biens par plusieurs personnes ayant des droits de même nature.

Pour l’agent immobilier, il doit savoir distinguer l’indivision de la copropriété, pour laquelle il existe des lots dont chaque propriétaire est titulaire à titre exclusif.

L’indivision a les caractéristiques que la copropriété d’un ensemble immobilier mais pour un bien indivis, n’y a pas d’affectation concrète des quotes-parts puisque chaque propriétaire a des droits sur le même bien.

Pour l’agent immobilier, qui rencontre habituellement en matière de transaction immobilière, des copropriétés, il est facile d’apprécier les droits d’un vendeur au regard de la copropriété, dont les lots sont déterminés par le titre de propriété et les particularités du bien par le règlement de copropriété.

En revanche, pour l’indivision, l’agent immobilier chargé de la commercialisation devra s’interroger sur la consistance du bien et les droits des indivisaires, avant de proposer un produit à la vente.

Si l’indivision est un être juridique « hybride », elle est régie par le droit civil, puisque deux types de dispositions du Code civil traitent de l’indivision :
- Les articles 815 et suivants qui s’appliquent à l’universalité des indivisions ;
- Les articles 1873-1 à 1873-18 qui régissent l’indivision conventionnelle depuis une loi du 31 décembre 1976.

Il s’agira pour les premières de dispositions qui s’appliquent à une indivision souvent subie du fait d’un décès dont les indivisaires sont généralement les héritiers, et pour les secondes, une indivision choisie, des personnes physiques optant pour ce régime juridique particulier pour la gestion d’un bien déterminé.

L’indivision subie sera en principe, une indivision successorale puisque les héritiers deviendront propriétaires indivis dans l’attente des opérations de partage.

Ce type d’indivision sera approchée par les agents immobiliers principalement dans le cas du mandat de vente.

L’indivision voulue sera principalement rencontrée lors de l’acquisition d’un immeuble par deux époux sous le régime de la séparation de biens ou par deux partenaires liés par un PACS.

Dans le cadre d’une transaction immobilière, il y a lieu d’étudier successivement le cas de l’acquisition puis celui de la vente d’un immeuble en indivision.

I - L’acquisition d’un immeuble en indivision.

Il s’agira d’une volonté des parties à l’acte, d’acquérir un bien sous le régime de l’indivision.

Il peut s’agir d’immeubles achetés par des époux séparés de biens, par des partenaires liés par un PACS ou par des personnes physiques désireuses de porter en commun un projet immobilier dans le cadre d’un investissement locatif ou d’une opération de défiscalisation, même si habituellement, ce type d’acquisition se fait sous le régime de la société civile immobilière.

La seule particularité dans le cadre d’une acquisition en indivision est que l’acte d’achat doit comporter la quote-part de chaque acquéreur car, à défaut, ils sont réputés propriétaires à parts égales.

Si l’acquisition en elle-même ne pose pas de difficultés, la gestion du bien pourra être plus problématique s’il n’est pas prévu d’organisation conventionnelle.

En conséquence, si l’acte d’achat ne comporte pas de convention d’indivision, c’est le régime de l’indivision ordinaire des articles 815 à 815-18 du Code civil qui va s’appliquer.

Même si l’agent immobilier n’a pas d’obligation de conseil à l’égard des acquéreurs, avec lesquels il n’est pas lié contractuellement, il pourra être interrogé par ceux-ci quant à l’opportunité d’achat et devra veiller, s’il est amené à donner des informations, à renseigner correctement les acquéreurs en vertu de l’obligation de renseignement générale figurant au Code Civil. Il lui suffira en pratique de suggérer lors de l’acquisition, une convention d’indivision dont la rédaction sera confiée au notaire rédacteur de l’acte authentique de vente.

a) L’indivision ordinaire.

Pour la gestion des biens indivis lorsqu’il n’existe pas de convention d’indivision, le principe est celui de l’unanimité.

Les actes de disposition requièrent l’accord de tous les indivisaires. A défaut, les actes ne sont pas opposables aux indivisaires, qui n’ont pas été consultés.

Depuis le 1er janvier 2007, la majorité des deux tiers suffit pour les actes d’administration, ainsi que pour certains actes de dispositions nécessaires au paiement des charges de l’indivision, et pour les actes conservatoires, nécessaires à la sauvegarde des biens indivis, tout indivisaire peut agir seul (par exemple, lorsqu’il existe un local commercial et que le commerçant fait l’objet d’un redressement judiciaire, un indivisaire pourra effectuer auprès du mandataire judiciaire, la déclaration de créance sans l’accord des autres indivisaires).

Depuis 2009, cette majorité des deux tiers permet au juge d’autoriser la vente d’un bien indivis.

Pour les actes d’administration, c’est-à-dire les actes de gestion normale du bien indivis afin de le conserver ou de le faire fructifier, la réforme des successions a permis que la majorité des deux tiers des indivisaires suffise.

Ce sera le cas par exemple, du paiement de menus travaux d’entretien ou de petites réparations et plus généralement, de tous les actes concourant à la gestion, le paiement des impôts ou des échéances de crédit immobilier, l’encaissement des loyers, etc.

En pratique, les difficultés surviennent, surtout en matière de succession, lorsqu’un indivisaire s’oppose à la réalisation d’actes de dispositions ou à un acte d’administration.

Il peut également être hors d’état de manifester sa volonté suite à une absence, un éloignement, un problème d’aliénation mentale ou une grave maladie l’empêchant de donner un consentement valide.

Il faudra alors qu’un autre indivisaire se fasse autoriser judiciairement à le représenter.

C’est le président du tribunal qui fixera l’étendue de l’autorisation et définira précisément les actes que peut accomplir le mandataire, tel qu’autoriser une transaction immobilière.

Pour l’agent immobilier dans une telle hypothèse, il devra tenir compte des délais de procédure et dans le cadre de la commercialisation ; prévenir l’acquéreur de la difficulté pratique même si cela risque fort de le décourager.

Lorsque l’indivisaire est en état de manifester sa volonté et qu’il fait obstacle notamment à une vente, les indivisaires peuvent obtenir de la justice, l’autorisation judiciaire qui peut porter sur l’aliénation du bien indivis.

Les juges procèdent à une appréciation au cas par cas, l’autorisation étant donnée lorsque le refus met en péril l’intérêt commun.

La nécessité de vendre le bien est classiquement reconnue par la justice lorsqu’il s’agit d’assurer le paiement des droits de succession ou d’éviter une dégradation progressive de l’immeuble, ce qui est souvent le cas dans le cas d’une obstruction par un indivisaire puisque l’immeuble indivis est souvent vide, non chauffé, et sujet à dégradations, voire à occupation illicite.

Ce pourrait être le cas également lorsque l’immeuble est en indivision suite à un divorce et que l’un des deux époux occupe seul le bien et refuse tout mandat de vente ou toute proposition d’achat.

La première Chambre Civile de la Cour de Cassation par un arrêt du 8 mars 2017, a considéré que le refus de l’ex conjoint qui mettait obstruction au partage, mettait en péril l’intérêt commun de l’indivision et qu’en conséquence, il y avait lieu à vente judiciaire.

Il existe tout de même un cas où la vente n’est pas possible même judiciairement, c’est lorsque le bien est grevé d’un usufruit et que le nu-propriétaire veut vendre le bien, alors que l’usufruitier s’y oppose [1].

En pratique, il est courant qu’un indivisaire agisse au su et au vu des autres, sans opposition de leur part, et gère le bien. Il engage l’indivision, la justice considérant qu’il y a un mandat apparent tacite.

Dès lors à l’exception des actes exigeant un mandat express et spécial, les actes sont valides.

Naturellement, celui qui exerce un tel mandat tacite engage sa responsabilité en cas de faute.

Dans l’indivision ordinaire, les droits des indivisaires sont relativement simples puisque dans la mesure où ils ont un droit de propriété, ils peuvent en disposer c’est-à-dire en matière d’immeubles, habiter celui-ci.

La seule limite est le fait que l’indivisaire respecte les droits concurrents des coindivisaires et les conventions relatives aux biens. Il ne peut donc empêcher l’entrée dans les lieux d’un autre indivisaire.

Le fait d’occuper un immeuble aura un corollaire puisque l’indivisaire qui jouit privativement du bien est débiteur d’une indemnité d’occupation sauf accord contraire des indivisaires.

L’action en paiement de l’indemnité d’occupation se prescrit par cinq ans, délai qui incite souvent des indivisaires à engager une procédure de licitation partage afin de ne pas perdre le bénéfice de l’indemnité d’occupation due par l’occupant.

En effet, l’indivision ordinaire est normalement provisoire même si elle peut être indéterminée

L’article 815 du Code civil prévoit en effet que nul ne peut être contraint de demeurer dans l’indivision.

Cela signifie que tout indivisaire à tout moment peut demander le partage qu’il lui sera automatiquement accordé par le juge, les opérations de partage débutant généralement par la vente de l’immeuble soit à titre amiable, soit par vente judiciaire.

La vente permettra le cas échéant de régler les dettes de l’indivision.

En effet les créanciers de l’indivision doivent être payés avant toute opération de partage.

Ils ont du reste, la possibilité d’engager des poursuites par voie de saisie et de vente de l’immeuble indivis et seront payés avant partage par prélèvement sur l’actif lors de la vente.

De même si un indivisaire à une dette, les créanciers de l’indivisaire disposent de la faculté de provoquer le partage, ils pourront saisir et faire vendre le bien attribué au débiteur et se payer sur les deniers de la part de leur débiteur, lors du partage.

Bien évidemment, les indivisaires peuvent choisir d’indemniser le créancier de leur indivisaire et de faire l’avance de celui-ci, à l’encontre duquel ils pourront substituer leur créance.

b) L’indivision conventionnelle.

En pratique, les conventions d’indivision sont extrêmement rares et sont principalement choisies par des époux qui divorcent et qui ne souhaitent pas vendre immédiatement l’immeuble dépendant de leur communauté ou de leur régime matrimonial.

Ce pourrait être le cas par exemple, lorsqu’ils ont des enfants adolescents, et qu’ils souhaitent maintenir le lieu de vie de ceux-ci.

La convention d’indivision sera obligatoirement établie par écrit et doit être régularisée devant notaire afin que les règles de la publicité foncière soient respectées, la convention d’indivision devant être publiée.

La convention précisera les quotes-parts de chaque indivisaire sur le bien indivis.

Une convention d’indivision ne peut avoir une durée excédant cinq ans et si elle n’est pas renouvelée par écrit, elle devient à durée indéterminée, mais l’indivision perdra alors sa nature conventionnelle pour devenir une indivision ordinaire.

L’avantage de la convention d’indivision est qu’elle prévoira l’organisation de la gestion du bien notamment lorsqu’il y a des clauses spécifiques comme une occupation gratuite par exemple, en contrepartie de l’hébergement des enfants communs ou le montant d’une éventuelle indemnité d’occupation.

Elle prévoira la répartition d’une éventuelle dette de crédits immobilier et peut nommer un gérant de l’indivision qui représentera celle-ci et agira en son nom ou encore un droit de préemption pour les indivisaires en cas de décès.

Naturellement, le gérant ne peut pas régulariser seul d’actes de disposition, pour lesquels l’indivision conventionnelle tombe sous le même régime que l’indivision ordinaire ou légale.

Le gérant peut être rémunéré ce qui sera en pratique souvent une rémunération en nature à savoir l’occupation du bien indivis.

II- La vente d’un bien indivis.

C’est l’hypothèse qui concernera le plus un agent immobilier, qui rencontrera principalement des ventes d’immeubles par une indivision.

En principe, la vente d’un bien indivis exige l’unanimité des indivisaires.

Il importe peu que l’un des indivisaires ait un droit de propriété alors qu’il n’a pas participé au financement ou seulement pour une petite partie de l’immeuble.

C’est l’indivision qui procède à la vente, les droits de chacun étant calculés dans le cadre des opérations de partage de l’indivision, mais il n’y a pas de droit proportionnel à la vente, au prorata des droits comme pour des parts de sociétés.

Au partage, chacun recevra sa part en fonction de ses droits. C’est ainsi que si un seul indivisaire a contribué au financement de l’acquisition, il peut prétendre à une créance lors du règlement des comptes d’indivision.

Si la vente ne peut pas intervenir à cause d’une unanimité défaillante, il existe des possibilités d’autorisation judiciaire de vendre, soit à la majorité des deux tiers, soit sur autorisation judiciaire.

Dans cette hypothèse, l’aliénation a lieu dans la forme des licitations c’est-à-dire par adjudication devant le tribunal ou le juge de l’exécution.

Les fonds provenant de la vente sont alors séquestrés et transmis au notaire chargé de de partage.

Outre la vente de l’immeuble, il est toujours possible pour un indivisaire de vendre sa quote-part puisqu’il a un droit de propriété et qu’il peut vendre seul sa quote-part tout comme du reste, il peut consentir une hypothèque sur celle-ci.

Dans l’hypothèse d’une vente, les coindivisaires ont un droit de préemption qu’ils ne peuvent utiliser que si l’acquéreur est un tiers à l’indivision.

En pratique, l’indivisaire notifiera par acte d’huissier aux autres indivisaires, le prix et les conditions de la cession envisagée ainsi que les noms, domicile et profession de l’acquéreur potentiel, sans substitution possible.

Dans le mois qui suit la notification toujours par acte d’huissier, l’indivisaire intéressé fera connaître au vendeur qu’il sollicite une préemption au prix et conditions notifiées.

Si un agent immobilier est intervenu et qu’il a droit à une commission, il devra donc la commission à l’agent immobilier dans le cadre de la substitution sollicitée.

Le préempteur devra acheter dans les deux mois.

S’il ne le fait pas, la préemption sera nulle, quinze jours après une mise en demeure de payer demeurée infructueuse.

Si plusieurs indivisaires exercent leur droit de préemption, ils sont réputés l’acquérir ensemble chacun selon leur part respective dans l’indivision.

Pour l’agent immobilier, a priori celui-ci ne rencontrera que le cas de la vente du bien dépendant de l’indivision, et pas la cession de droits indivis sur un immeuble gérée par le notaire dans le cadre d’un partage.

Le professionnel qu’est l’agent immobilier aura donc principalement en matière de cession de biens dépendants d’une indivision à recueillir l’accord de tous les indivisaires au niveau du mandat, puis lors de l’acceptation de l’offre par l’unanimité des indivisaires, sans laquelle la vente ne sera pas parfaite et n’aboutira pas, ce qui ne permettra pas à l’agent immobilier de percevoir la rémunération consécutive à l’exécution de sa mission.

Pascal Bellanger
Avocat au Barreau de Nîmes

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Notes de l'article:

[1Article 815-15, alinéa 2 du Code civil.

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Discussion en cours :

  • par Blanche , Le 28 février à 09:59

    Dans cadre d’une indivision familiale, tous les indivisaires ont signé le mandat de vente avec un agent immobilier. Problème, la maison n’a pas été vidée et l’agent immobilier ne peut ni faire les photos sur son site, ni faire de visites.
    D’autres problèmes surgissent, Chauffage de la maison, tous habitent loin, chacun exige d’un autre qu’il s’en occupe, faire le plein de fuel par exemple... La situation s’éternise, la maison est fermée, n’est plus chauffée et va se détériorer, ça bloque... Que faire ?

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