La lésion en matière de transaction immobilière.

Par Pascal Bellanger, Avocat.

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Le prix de vente d’un immeuble est par nature libre, mais il existe toute de même une limite : celui-ci ne doit pas être lésionnaire. C’est pourquoi l’agent immobilier devra veiller à l’appréciation du prix de l’immeuble à commercialiser et éviter tout risque de lésion.

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Comme tout contrat de vente, la vente d’un immeuble est une rencontre de volonté, sur une chose et sur un prix.

Si pour la chose, la limite à la liberté contractuelle est celle de commercialiser ou vendre une chose conforme à son usage, exempte de vices, la question se pose quant à la liberté totale du prix.

Le prix est-il totalement libre et peut on vendre à un prix sans rapport avec la valeur de l’immeuble ?

Le professionnel en charge de la commercialisation du produit peut il proposer celui-ci sans apprécier la valeur du bien mis en vente ?

Dans le cas d’un prix surestimé, l’acquéreur n’aura pas véritablement de garantie, ni de protection, s’il achète pour un prix déraisonnable ou injustifié.

Sa seule possibilité sera de démontrer qu’il a été trompé et d’invoquer les vices du consentement, ce qui n’entre pas dans le champ des actions pour lésion.

Pour le vendeur, le prix de vente d’un immeuble bénéficie d’une protection si le prix de vente est très inférieur à celui du marché : la lésion.

En effet, en matière d’immeuble, l’article 1674 du Code Civil prévoit la possibilité d’annuler la vente lorsque que le vendeur est victime d’une lésion pécuniaire de plus des 7/12èmes dans le prix de vente.

Cette action limitée à la vente immobilière, est enfermée dans des conditions très strictes d’engagement, et est strictement réservée à la vente d’un immeuble.

Si un immeuble est indirectement cédé par exemple lors de la vente de parts de SCI ou s’il fait l’objet d’une donation, d’un apport en société, la Jurisprudence a considéré qu’une action en rescision pour lésion était irrecevable.

De même, ce type d’action n’est pas possible en matière de vente aléatoire, c’est-à-dire d’une vente pour laquelle le prix de sera pas définitivement fixé lors de la réalisation du contrat.

S’il existe un élément incertain sur le prix, il n’y a donc pas possibilité d’invoquer une lésion.

Naturellement cela sera le cas pour la principale vente au prix aléatoire : le viager, mais aussi pour les ventes particulières telles que celles qui prévoient un droit d’usage d’habitation ou une réserve d’usufruit au profit du vendeur.

Il existe une limite si l’aléa n’existe pas réellement, mais la cause de nullité n’est pas la lésion mais l’absence d’aléa.

Ce sera le cas notamment si la vente engagée prévoit une rente dérisoire qui lui garantit un bénéfice notable au décès des crédirentiers.

Ce sera naturellement le juge qui appréciera s’il y a bien aléa au contrat et ce, au jour de la réalisation de la vente.

Pour mémoire, il faut préciser que naturellement, les ventes sur saisie immobilière sont exclues de la rescision pour lésion puisque le prix est fixé en fonction des enchères dont il est considéré par la jurisprudence que le droit applicable est celui des voies d’exécution, et que le montant des enchères est celui du juste prix.

Pour que la lésion soit reconnue, il faut que le prix de vente retenu par l’acte notarié soit inférieur aux 5/12èmes de la valeur vénale de l’immeuble cédé (par exemple, un immeuble cédé moins de 99 999 euros pour un immeuble de 240 000 euros).

La Jurisprudence [1] consacre le principe d’une atteinte au prix qu’aurait pu obtenir le vendeur, si la vente s’était faite à des conditions normales.

Il convient donc de définir la notion de lésion et de déterminer les conditions d’action en rescision pour lésion.

I - Définition de la lésion.

Il sera comparé les deux valeurs à savoir :
- le prix versé par l’acquéreur,
- la valeur à un prix normal de vente.

Pour le premier critère, à savoir le prix versé à l’acquéreur, la détermination est facile : le prix figurant à l’acte de vente notarié.

Ce prix peut être majoré lorsqu’il existe des dispositions particulières, telles que le paiement d’une dette faisant l’objet d’une hypothèque et les frais de levée de la garantie prise sur le bien cédé.

Quoiqu’il en soit, le prix à retenir est celui qui figure à l’acte de vente, à l’exclusion des frais accessoires incombant à l’acquéreur telles que les frais d’enregistrement.

La question pourrait se poser pour les honoraires d’agent immobilier lorsque ceux-ci sont versés par le vendeur. A priori, la jurisprudence ne s’est prononcée sur cette question alors qu’en pratique, les honoraires, comme le prix de vente font parfois l’objet de négociations dans le cadre d’une transaction immobilière.

Faut-il déduire du prix de l’immeuble, le montant de la commission versée à l’agent immobilier ?

A priori, la réponse est négative dans la mesure où l’agent immobilier perçoit du vendeur une rémunération sous forme de commissions, conséquence de l’exécution de sa mission. Cette commission étant prélevée sur le prix de vente de l’immeuble, il faut considérer le prix de l’immeuble tel qu’il est fixé à l’acte notarié.

Pour le second critère, il faut établir la valeur réelle de l’immeuble vendu au sens de la jurisprudence soit « le montant de la vente si elle s’était faite à des conditions normales », ce qui va s’avérer beaucoup plus subjectif.

Ce sera cette valeur normale au moment de la vente et non au moment de la procédure ou de la contestation en justice, qu’il faudra établir.

En effet, de nombreux événements sont susceptibles de modifier la valeur d’un immeuble.

Ce sera le cas par exemple d’une modification des règles d’urbanisme telle que la modification d’un zonage qui permet de rendre constructible un terrain ou une partie de celui-ci.

La jurisprudence a décidé en 2009 qu’une modification du POS n’était pas « notoirement inéluctable » et qu’en conséquence, il n’y avait pas matière à prendre en considération la modification de la règle d’urbanisme pour déterminer la valeur du bien à la date de la vente [2].

Il en sera de même dans les hypothèses où il existe des baux (principalement en matière commerciale), le caractère libre ou occupé d’un bien modifiant notablement sa valeur.

En pratique, Les juridictions saisies procéderont à une expertise immobilière, l’expert désigné devant prendre en compte les éléments de la vente à la date de celle-ci et non à la date de l’expertise.

Tous les embellissements, travaux intervenus postérieurement à la vente, modification du bien ne devront pas être pris en considération.

Il peut également survenir des modifications dans la situation juridique du bien, lesquelles ne devront pas prise en considération.

En effet, si l’immeuble est cédé avec une réserve d’usufruit au profit d’un tiers et si l’usufruitier décède à une date proche de la vente, la valeur de l’immeuble est corrélativement augmentée sans que cela ne puisse entraîner la reconnaissance d’une lésion puisque la valeur réelle de l’immeuble est prise en considération à la date de la vente lorsque celui-ci était grevé d’usufruit.

De même en pratique, si l’immeuble a été revendu dans le délai de l’action en rescision, le vendeur initial peut se considérer victime d’une lésion en prenant en considération le prix de revente.

Or, ce seul critère ne suffira pas puisqu’un immeuble peut parfaitement faire l’objet de modifications ou bénéficier d’événements extérieurs qui en modifient notablement la valeur telle que pour un terrain, la mise à disposition par la collectivité territoriale d’un réseau d’eaux usées, la réfection d’une voirie ou la création celle-ci, ou encore la modification des réseaux apportant une plus-value à l’immeuble litigieux.

Quoiqu’il en soit, pour prendre en compte établir l’hypothèse d’une lésion, il faudra effectuer la comparaison entre les deux valeurs à considérer : le prix payé et la valeur vénale.

II - L’action en rescision pour lésion.

A priori, seul le vendeur peut agir puisqu’il a seul un intérêt pour engager une telle action. En effet l’acquéreur, lequel a dans cette hypothèse, acheté à vil prix, n’a aucun intérêt à agir.

Le délai de cette action est limité à deux ans à compter du jour de la vente.

Il est rappelé que le jour de la vente n’est pas celui de la réalisation de l’acte authentique notarié constatant le transfert de propriété mais celui de la rencontre des volontés c’est-à-dire de l’accord sur la chose et sur le prix.

Pour apprécier ce jour, il faut déterminer au cas par cas, si la vente est intervenue lors de la réalisation du compromis, lors de la levée d’option pour une promesse unilatérale de vente ou lors de la levée des conditions suspensives dans l’hypothèse où l’avant-contrat en prévoit.

Ce délai est extrêmement bref, aussi, en pratique le vendeur lésé agira rapidement devant le tribunal judiciaire compétent, c’est-à-dire celui du lieu de situation de l’immeuble.

Le vendeur devra donc fournir à la juridiction saisie, dès l’origine du litige, une expertise amiable établie par un expert en immobilier estimant la valeur de l’immeuble au moment de la vente « aux conditions normales de vente » ou à tout le moins, un avis de valeur d’un agent immobilier qui risque de s’avérer insuffisant si des contestations sérieuses sont émises par l’acquéreur.

La procédure est particulière en la matière puisqu’il faudra d’abord rapporter la preuve de la lésion par jugement qui ne pourra se faire au sens de l’article 1678 du Code Civil que par rapport de trois experts tenus de dresser un seul procès-verbal commun.

Le demandeur à la procédure devra donc fournir des éléments pour justifier que le prix de la vente est lésionnaire au préalable à l’engagement de la procédure, motif pour lequel une expertise immobilière, même non contradictoire semble indispensable.

Si le tribunal considère que ce fait est vraisemblable, il y aura lieu à désignation des experts qui établiront la valeur du bien au moment de la vente. Le tribunal au terme d’un second jugement retiendra la lésion si les experts l’ont établi et si le juge qui conserve naturellement son pouvoir d’appréciation suit l’avis des experts, comme c’est le cas en pratique.

En effet, il faut rappeler que la différence des valeurs doit être de 7/12èmes, critère légal qui laisse une marge importante entre les deux valeurs, ce qui rend en pratique extrêmement rare, la possibilité d’une telle action, car on ne se trouvera pas dans l’erreur sur le prix du marché mais bien plus un prix déterminé avec fraude.

Si la lésion est retenue, c’est à l’acquéreur de choisir quant aux conséquences de celle-ci.

En effet l’article 1680 du Code Civil lui ouvre une option :
- Soit rendre la chose en contrepartie du prix qu’il a payé que le vendeur lui remboursera,
- Soit conserver le bien acquis en payant le supplément du juste prix sous la déduction du 10e du prix total.

Curieusement, le Code Civil ne fixe aucun délai pour que l’acquéreur se positionne, c’est pourquoi en pratique, les vendeurs sollicitent de la juridiction saisie qu’elle fixe un délai à l’acquéreur pour lever l’option.

S’il conserve le bien acheté, il devra verser le juste prix, non sur la différence de prix au moment de la vente mais sur celle au moment où doit intervenir le règlement complémentaire.

Il versera donc un supplément de prix au regard du marché immobilier au jour du jugement et non au jour de la vente, ce qui peut sembler injuste mais la rescision pour lésion qui est une action à la fois rarissime et gravissime a valeur de sanction.

Il conservera toutefois 1/10ème de la valeur de l’immeuble qui sera déduit du supplément de prix, étant noté que ce dixième est celui du prix total de l’immeuble et non seulement du versement complémentaire.

En outre, l’acquéreur devra verser les intérêts au taux légal à compter du jour de la décision et non du jour de la vente.

Il en résulte que curieusement l’immeuble ne sera acquis que pour un prix équivalent à 90 % de sa valeur vénale.

Enfin, Il faut noter que cette option a des conséquences fiscales puisque le complément de prix devra supporter les droits d’enregistrement.

Concernant la restitution du bien vendu, si l’acquéreur retient cette option, la vente est considérée comme anéantie et chacun doit restituer à l’autre ce qu’il a reçu de son cocontractant.

Cette annulation de vente sera publiée auprès de la direction de la publicité foncière, les droits d’enregistrement devant être remboursés à l’acquéreur.

Peuvent se poser de multiples questions liées à la dégradation de l’état de l’immeuble, à une indemnité d’occupation, au remboursement d’éventuels embellissements ou travaux effectués sur l’immeuble qui pourront donner lieu à de nombreux contentieux accessoires qui font qu’en pratique, lorsqu’une action en rescision est envisagée, les praticiens doivent lorsqu’ils sollicitent du tribunal, une expertise judiciaire, prévoir les questions accessoires rendant possible l’exécution de la décision de justice, sinon le contentieux deviendra inextricable.

Pour l’agent immobilier qui a perçu une rémunération sur cette vente, rien n’est prévu.

Mais si un agent est intervenu dans le cadre d’une vente lésionnaire c’est-à-dire avec une valeur inférieure au 5/12èmes de la valeur réelle, il a manifestement engagé sa responsabilité et verra sans aucun doute sa responsabilité engagée dans le cadre de la procédure.

En effet, l’agent immobilier est tenu à l’égard du vendeur, son mandant, d’une obligation de diligences et de loyauté qui fait que si le prix est minoré dans de telles proportions, la question de la collusion avec l’acquéreur se posera.

C’est pourquoi pour éviter tout risque de lésion, l’agent immobilier lors d’une transaction immobilière doit être vigilant au prix de vente.

Pascal Bellanger
Avocat au Barreau de Nîmes

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Notes de l'article:

[13° chambre civile de la Cour de cassation, 20 novembre 1984, bulletin civil n° 195.

[2Troisième chambre civile de la Cour de Cassation, 17 juin 2009, bulletin III, n° 785.

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