L'obligation de résultat du constructeur en cas de non-conformité des travaux non réceptionnés. Par Blandine Mischler, Avocat.

L’obligation de résultat du constructeur en cas de non-conformité des travaux non réceptionnés.

Par Blandine Mischler, Avocat.

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Il est acquis dans l’inconscient des acteurs aux opérations de construction qu’il n’existe pas de responsabilité sans désordre.
Le principe prétorien de l’absence de responsabilité sans désordre n’est pourtant pas absolu et doit être à relativiser dès lors que les non-conformités portent sur les règles de l’art, auxquelles le constructeur demeure tenu, même en l’absence de désordre et de réception des travaux.

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Le principe prétorien de l’absence de responsabilité sans désordre n’est pas absolu.

Il est acquis dans l’inconscient des acteurs aux opérations de construction qu’il n’existe pas de responsabilité sans désordre, sauf prescriptions techniques obligatoires ou disposition contractuelles expresses.

Ce principe est à relativiser.

Les constructeurs sont appelés à la plus grande prudence en présence de non conformités, même non accompagnées de désordres.

Ils restent débiteurs d’une obligation de résultat, même en l’absence de désordre, dès lors que les travaux ne sont pas conformes aux règles de l’art.

Doit être en préambule rappelé que, le seul constat du non-respect d’une norme constructive, postérieurement à la réception des ouvrages, ne peut suffire à caractériser un préjudice indemnisable au bénéfice du maître de l’ouvrage.

Il en est autrement avant le prononcé de la réception des travaux puisqu’il pèse alors sur le constructeur une obligation contractuelle de résultat lui imposant la réalisation d’un ouvrage exempt de désordre, de malfaçon ou de non-conformité.

C’est cette obligation de livrer un ouvrage « conforme » qui mérite une attention toute particulière.

Ce principe qui se dégage des courants doctrinaux d’une part et de la jurisprudence de la Cour de cassation d’autre part, appelle à se remémorer la force contraignante des DTU (Document technique unifié), quand bien même ils ne seraient pas contractualisés.

Historiquement, les DTU résultent de l’unification des cahiers des charges, clauses et spécifications techniques disparates qu’imposaient les divers maîtres d’œuvre et maîtres d’ouvrages lorsqu’ils étaient amenés à passer des marchés de travaux.

Ils ont vu le jour en 1958 à l’initiative du CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment) avant de devenir Norme Française.

Ils n’ont en revanche aucun caractère réglementaire et sont, en tant que tels, dépourvus de toute propriété contraignante s’ils ne sont pas intégrés au bloc contractuel, ou que le bloc contractuel n’y fait pas, a minima, référence.

Les constructeurs pourraient alors penser que dès lors que les DTU ne sont pas mentionnés au devis et/ou aux pièces du marché de travaux, ils ne les lient pas et partant, ils ne sont pas tenus de s’y conformer.

Ce prisme est également régulièrement adopté par les experts judiciaires qui écartent alors toute responsabilité en cas de non-conformité des travaux non réceptionnés en l’absence de désordre.

C’est là que la plus grande vigilance s’impose.

En effet, l’entrepreneur est par ailleurs tenu de construire dans le respect des règles de l’art, qui, elles, sont nécessairement entrées dans le champ contractuel, même en l’absence de mention expresse en ce sens.

Dès lors, les mesures contenues dans les DTU, et qui ne seraient que l’expression écrite des règles de l’art, doivent-elles être considérées comme s’imposant aux constructeurs.

Quant à la jurisprudence, la 3ᵉ chambre civile de la Cour de cassation considère seulement qu’en l’absence de désordre, le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi, ni par le contrat ne peut donner lieu à une mise en conformité à la charge du constructeur.

Dans un arrêt rendu le 27 février 2001 [1], la Cour de cassation a précisé que le non-respect des normes techniques imposées par les DTU, qui ont voulu harmoniser les techniques de construction au niveau européen et qui sont édictées par les professionnels du bâtiment sans pour autant revêtir de valeur réglementaire, ne peut être sanctionné en l’absence de désordre constructif si elles n’ont pas été contractualisées :

« Vu l’article 1134 du Code civil :
Attendu, selon le jugement attaqué (Tribunal d’instance de Reims, 4 mai 1999), statuant en dernier ressort, que Mme X..., procédant à l’extension de sa maison d’habitation, a chargé la Société d’exploitation Ch. Desgrippes (société Desgrippes) des travaux de couverture ; qu’après réception avec réserves, alléguant que la pente du toit n’était pas conforme aux règles de l’art, elle a assigné l’entreprise en réparation de son préjudice ;
Attendu que pour accueillir cette demande, le jugement retient que le degré de pente de la toiture n’est pas conforme à la norme applicable pour ce type de construction, la pente minimale imposée par le Document technique unifié (DTU) en vigueur n’étant pas respectée, et que l’entrepreneur n’a pas satisfait à ses obligations contractuelles ;
Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, en l’absence de désordre constaté, si le marché conclu était contractuellement soumis au DTU invoqué, le tribunal n’a pas donné de base légale à sa décision
 ».

Plus récemment, dans un arrêt publié au Bulletin le 10 juin 2021 [2], la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a jugé que :
« Pour condamner l’entrepreneur et son sous-traitant à indemniser le propriétaire de l’ouvrage du coût de la mise en conformité des toitures avec les prescriptions du document technique unifié (DTU) 43.3, l’arrêt énonce que, quand bien même le marché ne fait pas référence à ce document, celui-ci et l’ensemble des DTU font partie intégrante de la catégorie plus large des règles de l’art, ensemble des règles et techniques professionnelles validées par l’expérience et admises par les professionnels, opposables à ceux-ci, et que la responsabilité des constructeurs et du contrôleur peut donc être retenue puisque la charpente de l’entrepôt livré s’est révélée non-conforme à un DTU.
En statuant ainsi, après avoir relevé que le DTU 43.3 n’était pas mentionné dans le marché et n’avait pas été contractualisé et que la non-conformité n’avait été à l’origine d’aucun désordre, la cour d’appel a violé les textes susvisés
 ».

Doivent donc être dissociés les simples énonciations des règles de l’art applicables reprises aux DTU des prescriptions techniques spécifiques qu’ils s’attachent à définir.

Dans le premier cas, les simples énonciations des règles de l’art reprises aux DTU sont opposables au constructeur, même si le(s) DTU n’ont pas été contractualisés.

Cette solution vise à protéger le maître d’ouvrage auquel il ne saurait être demandé, avant la réception des travaux qu’il sait ne pas être respectueux des règles de l’art et porteurs de désordres latents susceptibles de se révéler dans toute leur ampleur dans les délais d’épreuve, de renoncer par avance aux garanties décennale d’une part et contractuelle de droit commun d’autre part.

C’est ainsi que la Cour de cassation a étendu son analyse au non-respect des règles de l’art qui correspondent à l’état de la technique connue au moment de la réalisation de l’ouvrage.

Dans un arrêt rendu le 5 janvier 2022 elle a ainsi rappelé que [3] :
« En premier lieu, la cour d’appel a relevé que, si le contrat s’analysait en un marché à forfait pour tous les travaux qui y étaient visés, le descriptif du lot gros œuvre, annexé à celui-ci et signé par les maîtres de l’ouvrage, stipulait expressément que le devis incluait le coût de fondations simples adaptées à un sol stable mais que, si le bureau Socotec préconisait des fondations spéciales en puits ou plots de bétons, le coût de ces travaux serait en supplément.
7. Elle a pu en déduire, par une interprétation souveraine de la commune volonté des parties, exclusive de dénaturation, que le marché n’était forfaitaire que pour la partie convenue des prestations, et retenir que le coût de réalisation des fondations spéciales, si celles-ci venaient à s’imposer dans les conditions prévues au contrat, dont les maîtres de l’ouvrage avaient été préalablement informés, serait à la charge de ceux-ci dans les conditions du droit commun.
8. Ayant constaté que l’étude de sol avait conclu à la nécessité de fondations spéciales selon deux options et que le constructeur avait mis en œuvre l’option la moins onéreuse, elle a pu retenir, sans être tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes ni de répondre à des simples allégations dépourvues d’offre de preuve, que, même si aucun devis préalable n’avait été établi, la signature par les maîtres de l’ouvrage du « bon à payer » constituant la facture de travaux supplémentaires de fondations en puits manifestait de manière non équivoque la volonté de ceux-ci d’accepter les travaux supplémentaires réalisés hors forfait, de sorte que cette facture était due.
9. La cour d’appel a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision. Sur le second moyen
 ».

Dans le second cas, le DTU qui n’a pas été contractualisé est inopposable au constructeur.

La Cour de cassation a récemment rappelé qu’avant le prononcé de la réception des travaux, sous réserve de l’application du principe de proportionnalité entre la solution réparatoire et le dommage subit, le constructeur est redevable d’une obligation contractuelle de résultat qui lui impose de réaliser un ouvrage exempt de désordre, de malfaçons ou non-conformité.

Il reste que la Cour de cassation considère toujours, nonobstant l’absence de contractualisation de la norme, que la responsabilité contractuelle du constructeur peut être recherchée même en l’absence de désordre, dès lors que son respect est rendu obligatoire par la loi, peu importe son absence de contractualisation.

Doit être rappelé que les seuls défauts de conformité n’entrent pas dans le champ d’application de la garantie décennale prévue issue de l’article 1792 du Code civil en l’absence de réception d’une part et de désordre d’autre part.

Le principe édicté par la Cour de cassation selon lequel le non-respect des normes techniques imposées par les DTU, qui ont vocation à harmoniser les techniques de construction au niveau européen et qui sont édictées par les professionnels du bâtiment sans pour autant revêtir de valeur réglementaire, ne peut être sanctionné en l’absence de désordre constructif sauf si elles n’ont pas été contractualisées, est à rapprocher des prescriptions imposées par la norme Afnor NFP 03-001.

La norme Afnor NFP 03-001 met à la disposition des intéressés un cahier des clauses types comme Cahier des Clauses Administratives Générale applicable aux travaux du bâtiment faisant l’objet de marchés privés (CCAG).

L’Afnor est une association chargée d’une mission d’intérêt général qui constitue, avec ses filiales, un groupe international au service du développement durable.

Elle accompagne et guide les professionnels pour élaborer les normes volontaires nationales et internationales.

La norme Afnor NFP 03-001 est un document qui prend en compte notamment la réglementation sur la lutte contre le travail dissimulé et la fraude au détachement, les entreprises groupées, les délais de paiement, les intérêts moratoires, la médiation et l’assurance décennale.

Le CCAG, qui reprend donc la norme Afnor NFP 03-001, fait fréquemment parti des pièces contractuelles intégrées aux marchés de travaux pour régir les relations contractuelles entre les différents intervenants aux opérations de constructions.

Doit être spécifié que les parties ont la possibilité d’y faire référence dans sa globalité mais aussi de supprimer et/ou compléter ses dispositions.

Sur la base de ce qui précède, la Cour de cassation a ainsi jugé que la norme Afnor NFP 03-001 ne peut prévaloir sur les dispositions du contrat en l’absence de contractualisation.

Dans un arrêt rendu le 21 mars 2019 [4] la Cour de cassation a ainsi jugé que :

« Vu l’article 1793 du Code civil ;
Attendu que, pour accueillir la demande en paiement de certains travaux non prévus au marché, l’arrêt retient que la norme NF P 03-001 mentionne que les prix rémunèrent l’entrepreneur de tous ses débours, charges et obligations normalement prévisibles ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la norme NF P 03-001 ne peut prévaloir sur les dispositions du contrat, que les travaux de minage et de modification du canal de dévalaison n’avaient été ni autorisés par écrit, ni ratifiés de manière non équivoque par le maître d’ouvrage et que l’augmentation du coût des matières premières, qui n’avait pas fait l’objet d’un accord entre les parties, ne constituait pas une circonstance imprévisible pour l’entreprise, la cour d’appel a violé le texte susvisé
 ».

Dans un arrêt rendu trois ans plus tard, le 4 mars 2021 (Cass. Civ 3, 4 mars 2021, n°19-16.952), elle a réaffirmé sa position :
« Vu l’obligation pour le juge de ne pas dénaturer l’écrit qui lui est soumis :
4. Pour juger que la norme Afnor NF P 03 001 s’applique aux relations entre les parties en ses dispositions relatives aux délais de vérification et de notification du décompte général définitif, l’arrêt retient que les parties ont entendu, à l’article 4 du cahier des clauses générales, se référer à cette norme à défaut de mention contraire du contrat.
5. En statuant ainsi, alors que l’article 4.2 du cahier des clauses générales stipule que « ne sont pas applicables au marché les normes NF P 03 001 et, plus généralement, celles établissant un cahier des clauses générales ou des dispositions contraires au présent CCG », la cour d’appel, qui a dénaturé les termes claires et précis de cette convention, a violé le principe susvisé
 ».

En définitive, l’évolution du courant jurisprudentiel amène à retenir que :

  • Par principe, en l’absence de réception des travaux d’une part et de désordre d’autre part, la responsabilité contractuelle du constructeur ne saurait être retenue en cas de non conformités au DTU non contractualisés,
  • Par exception, le constructeur est responsable même en l’absence de réception des travaux des non conformités aux règles de l’art, même non contractualisées,

L’évolution jurisprudentielle invite donc les constructeurs à la plus prudence dès lors que tout ou partie de son ouvrage, même non réceptionné, est atteint de non-conformité.

Il ne peut donc que lui être recommandé de s’assurer de la teneur du bloc contractuel d’une part et de la nature des non conformités opposées d’autre part.

Si par essence il convient de s’attacher au contrat, qui constitue la loi des parties, le respect des règles de l’art s’imposent, de droit, au constructeur.

Blandine Mischler
Avocat à la Cour
Barreau de Bordeaux

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Notes de l'article:

[1Cass. Civ 3, 27 février 2001, n°99-18.114.

[2N°20-15.277.

[3Cass. Civ 3, 5 janvier 2022, n°20-18.707.

[4Cass. Civ 3, 21 mars 2019, n°17-31.540.

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  • par J Marie ARCIER , Le 21 avril à 10:00

    Il reste toujours à définir ce que sont les règles de l’art, dans leur application technique de conception et de mise en œuvre.
    Aucun document ou référentiel ne permet de s’y référer, donc de scinder ce qui appartient au DTU et ce qui relève "aux règles de l’art".
    Parmi les ouvrages reconnus, l’encyclopédie des métiers des Compagnons du Devoir permettrait de définir cette base, mais le niveau d’exigence serait inatteignable pour la plupart.

    L’expert demeure dans l’interrogation : que sont les règles de l’art hormis le DTU ?
    Comment les différencier ?

    Merci pour votre analyse, intéressante car elle fait à nouveau une synthèse.

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