Le recouvrement des charges de copropriété en procédure collective.

Par Adrien Cucchi, Avocat.

418 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # procédure collective # charges de copropriété # créance antérieure et postérieure # droit des entreprises en difficulté

Ce que vous allez lire ici :

Les procédures collectives organisent la gestion des dettes des entreprises en difficulté. Cet article traite spécifiquement du recouvrement des charges de copropriété, soulignant l'importance de respecter les règles déclaratives pour préserver les droits du syndicat des copropriétaires en cas de redressement ou liquidation judiciaire.
Description rédigée par l'IA du Village

« Au bal des procédures collectives, il n’y a pas de créanciers heureux ».

Cette citation de Francine Macorig-Venier, professeure des universités en droit privé et sciences criminelles à l’Université Toulouse Capitole, a pour mérite de mettre en avant cette procédure qui peut se révéler ingrate.

-

Les procédures collectives sont des mécanismes juridiques fondamentaux du droit des entreprises en difficulté.

Elles visent à organiser la gestion du passif d’une société en cessation des paiements, en mettant en place une procédure permettant, selon les cas, sa sauvegarde, son redressement ou sa liquidation.

Le principe fondamental des procédures collectives repose sur la notion de cessation des paiements, définie par l’article L631-1 du Code de commerce comme l’impossibilité de faire face au passif exigible avec l’actif disponible.

Elles impliquent une mise en commun des intérêts des créanciers, qui doivent, pour espérer recouvrer leur dû, respecter des règles strictes en matière de déclaration et de fixation des créances.

Dans ce contentieux gargantuesque des procédures collectives, un pan y est consacré au cas spécifique du recouvrement de charges de copropriété, sujet de cet article.

Le recouvrement des charges de copropriété constitue une problématique singulière dans ce domaine.

En vertu de la loi du 10 juillet 1965, les charges de copropriété sont des créances nées de la gestion courante de l’immeuble et dès lors qu’un copropriétaire est placé en redressement ou liquidation judiciaire, le syndicat des copropriétaires est confronté à des règles spécifiques, dictées par le Code de commerce, encadrant le traitement de sa créance.

La notion de « créance antérieure » ou « postérieure » est ici centrale car elle délimitera les modalités de recouvrement.

La procédure collective impose d’une part ce que l’on appelle la discipline collective, ou le suivi de l’ensemble de la procédure collective, et la suspension des poursuites individuelles, plaçant le syndicat dans une situation où il doit s’insérer dans la procédure, sous peine de perdre toute chance de recouvrement.

La créance de charges soulève différents enjeux techniques et processuels durant la procédure collective : la déclaration de créance [1], sa vérification [2], l’ancien privilège immobilier spécial [3] et, en certains cas, la question d’un éventuel relevé de forclusion [4].

L’enjeu est de savoir si la créance de charges est opposable à la procédure, quelle part est antérieure ou postérieure au jugement d’ouverture et comment le syndicat peut préserver ses droits.

Ce sujet, à la croisée du droit des entreprises en difficulté et du droit de la copropriété, soulève des problématiques essentielles d’interprétation des textes et de jurisprudence.

C’est pourquoi il convient de revenir sur la nature juridique de la créance de charges de copropriété et d’y appréhender sa place en matière de procédure collective, avant de vérifier quelles sont les obligations à respecter en la matière puis d’apprécier l’importance de la distinction entre créances antérieures et postérieures.

I - La nature juridique de la créance de charges de copropriété et sa place en matière de procédure collective.

L’article 10 de la loi du 10 juillet 1965 fonde l’obligation du copropriétaire au paiement des charges de copropriété, disposant que les copropriétaires sont tenus de participer aux « charges relatives à la conservation, à l’entretien et à l’administration des parties communes, générales et spéciales… ».

Le règlement de copropriété fixe la quote-part afférente à chaque lot pour chaque catégorie de charge et indique les éléments pris en considération ainsi que la méthode de calcul permettant de fixer les quotes-parts de parties communes et la répartition de charges.

Jusqu’à peu, la créance de charges de copropriété bénéficiait d’un privilège immobilier spécial [5], reconnu par la Cour de cassation [6].
Depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021, prise en application de la loi Pacte n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises, le droit des sûretés a été réformé, entrainant une transformation de ce privilège immobilier spécial.

Les dispositions de l’ordonnance du 15 septembre 2021 sont entrées en vigueur le 1er janvier 2022.

Avant cette ordonnance, l’article 19-1 de la loi du 10 juillet 1965 disposait du privilège immobilier spécial du syndicat à l’encontre des copropriétaires qui était prévu à l’article 2374 du Code civil.

Au visa de cet article, il était prévu que le syndicat des copropriétaires disposait d’une créance privilégiée sur les immeubles pour les créances afférentes aux charges et travaux de l’année courante et aux quatre dernières années échues, ainsi que des dommages et intérêts alloués par les juridictions et les dépens.

Toutefois, ce privilège ne bénéficiait au syndicat des copropriétaires qu’en cas de vente du lot de copropriété à laquelle devait s’opposer le syndicat.

Le privilège spécial s’appliquait aux créances relatives à l’année courante et aux deux dernières années échues de manière souveraine : il primait sur ceux de tous les autres créanciers.

En revanche, il restait en concurrence avec celui du vendeur et du prêteur de deniers, dans le cas de créances relatives aux deux années antérieures à la période précitée.

Depuis le 1ᵉʳ janvier 2022, l’article 2402 du Code civil dispose que

« 3° Les créances de toute nature du syndicat des copropriétaires relatives à l’année courante ainsi qu’aux quatre dernières années échues sont garanties sur le lot vendu du copropriétaire débiteur ».

Les dispositions de l’ancien article 2374 ont été supprimées, remplaçant donc ce privilège par cette sûreté du syndicat des copropriétaires sous forme d’hypothèque légale prévue par l’article 2402.

Le privilège immobilier spécial du syndicat a donc été supprimé pour être remplacé par un système d’hypothèque spéciale ayant les mêmes effets.

L’article 2418 du Code civil dispose maintenant que cette hypothèque de l’article 2402 est dispensée d’inscription et prime toutes les autres hypothèques pour l’année courante et pour les deux dernières années échues, même si elle vient en concurrence avec l’hypothèque du vendeur et du prêteur de deniers pour les années antérieures.

Le syndicat des copropriétaires peut donc toujours se passer de l’obligation d’inscription.

A savoir, cette loi est d’application rétroactive, les privilèges immobiliers spéciaux nés avant le 1ᵉʳ janvier 2022 sont donc assimilés à des hypothèques légales.

Dans le cas où ces privilèges n’auraient pas fait l’objet d’une publicité foncière avant cette date, ils seront inscrits au fichier immobilier au visa des dispositions antérieures à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 15 septembre 2021.

II - Les obligations du syndicat des copropriétaires créancier.

Outre les particularités propres au recouvrement des charges de copropriété dans le cadre d’une procédure collective, les syndicats de copropriétaires restent soumis aux dispositions du droit commun en matière de procédure collective.

A ce titre, il est impératif pour le syndic d’effectuer la déclaration de sa créance (A) puis de la faire vérifier et fixer (B).

A) La déclaration de créance et ses modalités spécifiques

La déclaration de créance par le syndic en sa qualité de représentant du syndicat des copropriétaire est impérative [7] et doit être effectuée dans un délai de deux mois [8] après la publication au BODACC du jugement d’ouverture, sous peine de forclusion.

  • 1. La forclusion et son relevé.

La forclusion est définie par le dictionnaire juridique en ligne de Serge Braudo comme « La sanction civile qui, en raison de l’échéance du délai qui lui était légalement imparti pour faire valoir ses droits en justice, éteint l’action dont disposait une personne pour le faire reconnaître ».

A savoir qu’une demande en relevé de forclusion peut être exercée dans un délai de 6 mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au BODACC [9].
Pour les créanciers titulaires d’une sûreté publiée, comme c’est le cas de l’hypothèque légale pour le syndicat des copropriétaires, le délai pour demander un relevé de forclusion court à compter de la réception de l’avis qui leur est donné.
Une fois passé ce délai, le syndicat des copropriétaires perd le droit de déclarer sa créance à la procédure collective.

  • 2. Les modalités de la déclaration de créance.

La déclaration de créance, si réalisée dans le délai précité, peut être faite par le créancier ou par tout préposé ou mandataire de son choix [10].

Le syndic doit distinguer dans sa déclaration de créance les arriérés antérieurs au jugement d’ouverture des provisions exigibles, autrement dit la créance postérieure.

La jurisprudence admet la déclaration d’un montant provisionnel sous réserve d’actualisation pour les créanciers fiscaux et sociaux [11] mais reste plus sévère pour les autres. Toutefois, cette problématique ne s’applique pas aux syndicats de copropriétaires car les charges font l’objet de votes en assemblées générales préalablement à leurs appels, permettant de prévoir et de provisionner les dépenses à venir.

La forme procédurale doit être respectée [12], la déclaration devant être effectuée par lettre recommandée ou par déclaration dématérialisée depuis l’ordonnance de 2021. Le syndic doit y indiquer l’existence d’une hypothèque spéciale pour en bénéficier lors de la répartition de l’actif.

B) La vérification et la fixation de la créance : rôle du mandataire judiciaire et du juge-commissaire.

Le mandataire judiciaire procède à la vérification de la créance [13], en lien avec la comptabilité du débiteur et les pièces produites par le syndicat (état daté, procès-verbaux d’AG).

Le mandataire doit recenser les dettes dans le cadre de la procédure collective et proposer au juge commissaire d’en arrêter le montant exact, c’est ce qu’on appelle la circularisation des créanciers.

A partir de là, les créanciers reçoivent le jugement d’ouverture de la procédure les invitant à transmettre le montant de leur créance, la déclaration de créance vue auparavant.

A la fin du délai permettant d’effectuer sa déclaration de créance, le mandataire transmet au débiteur la liste des créances déclarées pour les vérifier, c’est la vérification des créances.

Le débiteur peut à ce moment-là faire des observations en contestation auprès du mandataire judiciaire qui se doivent d’être sérieuses et motivées [14], sans quoi la contestation sera rejetée.

Le mandataire judiciaire peut également lui-même contester la créance selon des dispositions prévues par le Code de commerce [15], le créancier disposant d’un délai de 30 jours pour répondre à cette contestation.

Le mandataire judiciaire transmet la contestation auprès du juge-commissaire qui statue en la matière.

Enfin, la dernière étape est celle de la fixation de créance, le juge-commissaire prononçant par ordonnance la fixation officielle du montant des créances à inscrire au passif.

La fixation de la créance est essentielle pour la suite : elle conditionne la place du syndicat dans l’ordre de répartition de l’actif.

III - Distinction entre créances antérieures et postérieures : une frontière mouvante.

La distinction entre les créances antérieures et postérieures est importante car elle conditionne l’ordre de priorité dans le remboursement des dettes.

L’article L622-17 du Code de commerce précise que seules certaines créances postérieures sont payables à l’échéance : il s’agit des créances nécessaires au déroulement de la procédure ou de la période d’observation, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période.

L’article L641-13 du Code de commerce dispose également des différentes créances qui nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, sont payées à échéance :

  • celles nées pour les besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l’activité autorisé ;
  • celles nées en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant le maintien de l’activité ou en exécution d’un contrat en cours régulièrement décidée après le jugement d’ouverture de la procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, s’il y a lieu, et après le jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ;
  • celles nées pour assurer la mise en sécurité des installations classées pour la protection de l’environnement en application des articles L512-6-1, L512-7-6 ou L512-12-1 du Code de l’environnement ;
  • celles nées des besoins de la vie courante du débiteur, personne physique.

On serait tenté de penser que les charges postérieures seraient indispensables à la conservation de l’immeuble (chauffage, électricité des parties communes) donc prioritaires.

Toutefois, la jurisprudence a déjà statué dans le sens suivant : la créance née de charges de copropriété postérieurement au jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire d’une SCI ne serait pas inhérente à la liquidation judiciaire qui serait née pour assurer son bon déroulement.

Dès lors, aucun paiement à l’échéance ne saurait être exigée par le syndicat selon l’article 641-13 du Code de commerce [16].

Plus récemment, il a été statué que « Si les charges de copropriété peuvent intégrer la catégorie des créances nées en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur, cet article applicable à la liquidation judiciaire, exige que l’activité soit maintenue, ce qui n’est pas le cas.
En conséquence, il ne peut qu’être conclu que la créance de charges de copropriété échue postérieurement au jugement de liquidation judiciaire, n’entre pas dans la catégorie des créances postérieures éligibles au traitement préférentiel de l’article L641-13 et doit être déclarée
 ».

En revanche, le même arrêt dispose autrement dans le cadre du redressement judiciaire :

« Les créances échues postérieurement, soit à compter du 1ᵉʳ juillet 2012 outre les avances travaux appelées le 3 mai 2012, à une époque où la société X était en redressement judiciaire, peuvent être qualifiées de créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture pour les besoins du déroulement de la procédure de redressement, ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur pendant cette période.
En effet, l’objectif d’une procédure de redressement judiciaire est notamment de permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise et l’apurement du passif et il n’est pas contestable que le règlement des charges de copropriété permet de contribuer à l’entretien du bien et par suite à la poursuite de l’activité.
Ces créances bénéficient donc de la dispense de déclaration de créance et auraient dû être payées à leur échéance en application de l’article L622-17
 » [17].

Conclusion.

Le recouvrement des charges de copropriété en procédure collective constitue un enjeu technique majeur qui place le syndicat des copropriétaires dans une position délicate, à la croisée du droit de la copropriété et du droit des entreprises en difficulté.

La complexité du régime applicable repose sur la nature juridique de la créance de charges, désormais garantie par une hypothèque légale spéciale depuis la réforme du droit des sûretés de 2022, remplaçant l’ancien privilège immobilier spécial.

La procédure collective impose au syndicat de respecter rigoureusement les obligations déclaratives sous peine de forclusion, rendant impératif le dépôt de la déclaration de créance dans les délais, tout en distinguant soigneusement entre créances antérieures et postérieures au jugement d’ouverture.

Cette distinction est essentielle, tant pour la stratégie de recouvrement que pour la préservation des droits du syndicat dans l’ordre de répartition de l’actif.

Si les créances antérieures doivent être systématiquement déclarées, les créances postérieures bénéficient, sous conditions, d’un traitement préférentiel lorsqu’elles sont nécessaires au déroulement de la procédure ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur.

Toutefois, la jurisprudence, particulièrement stricte en matière de charges de copropriété, rappelle qu’elles ne sont pas systématiquement prioritaires et doivent, dans la majorité des cas, faire l’objet d’une déclaration, sauf lorsqu’elles s’inscrivent dans le cadre d’un redressement judiciaire et participent au maintien de l’activité.

En définitive, le syndicat des copropriétaires doit déployer une vigilance accrue et une stratégie rigoureuse dans la gestion de ses créances en procédure collective, sous peine de voir ses droits amoindris, voire anéantis.

La maîtrise des règles de déclaration, de vérification et de distinction temporelle des créances constitue le socle de la préservation de ses intérêts patrimoniaux face aux aléas des procédures collectives.

Adrien Cucchi, Avocat au barreau de Paris
Cabinet BJA Avocats

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

2 votes

L'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1L622-24.

[2L624-1.

[3Ancien art. 2374 du Code civil.

[4L622-26.

[5Anciens articles 2374 du Code civil et 19-1 loi du 10 juillet 1965.

[6Cass. 3e civ., 15 fév. 2006, n° 04-19.095.

[7Art. L622-24 C. com.

[8Art. R622-22 C. com.

[9Art. L622-26 C. com.

[10L622-24 C. com.

[11Cass com 7 avril 2004 n°01-17601.

[12R622-23 et s. C. com.

[13L624-1 et R624-1 C.com.

[14Cass. Com. 2 novembre 2016 n°14-27292 ; Cass. Com. 4 mars 2024, n°12-35029.

[15L622-27 C. com.

[16Cass. Com. 14 novembre 2019 n°18-17.812.

[17Cour d’appel d’Aix-en-Provence 2 février 2023 n° 19/16544.

"Ce que vous allez lire ici". La présentation de cet article et seulement celle-ci a été générée automatiquement par l'intelligence artificielle du Village de la Justice. Elle n'engage pas l'auteur et n'a vocation qu'à présenter les grandes lignes de l'article pour une meilleure appréhension de l'article par les lecteurs. Elle ne dispense pas d'une lecture complète.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27842 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs