Résiliation par le cocontractant de l’administration : avez-vous bien lu l’arrêt Grenke Location ?

Par Thomas Manhes, Avocat.

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Explorer : # résiliation unilatérale # contrat administratif # force majeure # intérêt général

Par un arrêt du 8 octobre 2014 largement commenté et diffusé, le Conseil d’Etat a admis sous réserve que le cocontractant de l’administration puisse être à l’initiative de la résiliation.

La résonance donnée à cette décision parait cependant disproportionnée.

Trois réserves et deux conseils aux acheteurs publics s’imposent.

-

Pour rappel, le cocontractant lié à une personne publique par un contrat administratif est tenu d’en assurer l’exécution, sauf en cas de force majeure.

Il ne peut notamment pas se prévaloir des manquements ou défaillances de l’administration pour se soustraire à ses propres obligations contractuelles ou prendre l’initiative de résilier unilatéralement le contrat.

Désormais, les parties peuvent toutefois prévoir dans un contrat qui n’a pas pour objet l’exécution même du service public les conditions auxquelles le cocontractant de la personne publique peut résilier le contrat en cas de méconnaissance par cette dernière de ses obligations contractuelles.

Ceci étant, le cocontractant ne peut procéder à la résiliation sans avoir mis à même, au préalable, la personne publique de s’opposer à la rupture des relations contractuelles pour un motif d’intérêt général, tiré notamment des exigences du service public.

En pratique, il s’agira d’une mise en demeure avant résiliation.

Lorsqu’un motif d’intérêt général lui est opposé, le cocontractant doit poursuivre l’exécution du contrat.

Un manquement de sa part à cette obligation est de nature à entraîner la résiliation du contrat à ses torts exclusifs.

Le cocontractant peut toutefois contester devant le juge le motif d’intérêt général qui lui est opposé afin d’obtenir la résiliation du contrat.

- A la volée, trois réserves s’imposent cependant.

1/ Le marché conclu contenait des “conditions générales de vente” (CGV) prévoyant la possibilité de résiliation. La prudence aurait invité à ne pas signer ce genre de contrat, plutôt imposé que négocié.

Désormais averti et méfiant, quel est le pouvoir adjudicateur qui acceptera une telle clause ?

2/ Les cas de figure visés par le Conseil d’Etat sont en réalité restreints et visent essentiellement les marchés de fournitures.

Exit donc les délégations de service public, les marchés publics portant sur l’exécution d’un service public, voire les contrats de concession.

3/ Cette décision a pour effet de partager l’initiative en matière de résiliation, ce qui parait à la fois risqué et peu souhaitable.

La solution dégagée par la Cour de Nancy en 2013 et sur laquelle s’est prononcé le Conseil d’Etat paraissait équilibrée : il est regrettable qu’elle ait dû plier en 2015.

Pourtant, le cocontractant impayé disposait et dispose toujours d’un outil efficace, pourvue que la créance soit établie : le référé-provision.

Pourquoi s’en priver alors que le formalisme imposé par le Conseil d’Etat est tortueux par définition ? Mise en demeure invitant le pouvoir adjudicateur à présenter un éventuel motif d’intérêt général, réponse de l’administration qui s’opposera à la résiliation, poursuite de l’exécution du contrat dans une ambiance réjouissante, contestation du motif d’intérêt général.

Assurément, si la créance est certaine, le référé-provision parait être le plus court chemin vers le juge.

- Deux conseils s’imposent donc aux acheteurs publics afin de protéger le pouvoir adjudicateur.

1/ Refuser la signature de tout contrat s’apparentant à des clauses types ou encore des CGV.

2/ Corollairement, rester à l’initiative de la rédaction de ses documents contractuels : acte d’engagement, cahier des clauses, etc.

— -

CE, 8 octobre 2014, Société Grenke location : n°370644
CAA Nancy, 2 avril 2015, société Grenke Location : n°14NC01885
CAA Nancy, 27 mai 2013, société Grenke Location : n°12NC00897
Du pouvoir de résiliation unilatérale d’un contrat administratif par le cocontractant de l’administration , par Fabrice Melleray : AJDA 2015 p. 396
De l’exception d’inexécution et de quelques tendances du droit des contrats administratifs, par François LLORENS et Pierre SOLER-COUTEAUX : Contrats et Marchés publics n° 12, Décembre 2014, repère 11.

Avocat
Chargé d\’enseignement UNIVERSITE GRENOBLE ALPES
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  • par MF , Le 17 juillet 2018 à 12:44

    Maître,
    Une erreur s’est glissée à la fin de votre article : "cahier des charges" et non "cahier des clauses". Merci pour votre article très éclairant

  • par Mathilde PERALDI , Le 13 mai 2015 à 15:36

    Excellent article Cher Confrère !
    VBD
    Mathilde PERALDI

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