Incidence du décès du bénéficiaire d'assurance-vie dans le réglement du capital décès, par Emilie Ban, Juriste

Incidence du décès du bénéficiaire d’assurance-vie dans le réglement du capital décès, par Emilie Ban, Juriste

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Commentaire des arrêts divergents rendus par la Deuxième [1] et Première [2] Chambres Civiles de la Cour de Cassation

Après le décès de l’assuré, lorsque le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie décède avant d’avoir accepté la stipulation faite à son profit ou demandé le règlement du capital décès, quel est le sort de ce capital notamment en cas de désignation d’autres bénéficiaires de même rang ou à titre subsidiaire ? Le problème est en effet le suivant : si le contrat ne prévoit aucune clause de représentation, la part du capital décès revenant au bénéficiaire décédé entre-t-elle dans l’actif de sa succession ou est-elle reversée en plus prenant aux bénéficiaires subséquents ?

Alors que la réponse à ces questions avait été clairement apportée par les arrêts Marquois [3] et Jacobée [4] , la Deuxième Chambre Civile de la Cour de cassation, par son arrêt en date du 23 octobre 2008, opère un audacieux revirement de jurisprudence en considérant que lorsqu’un contrat d’assurance-vie désigne deux bénéficiaires de premier rang, à part égale et que l’un des deux bénéficiaires décède sans avoir accepté le bénéfice de l’assurance-vie, ses héritiers (ici ses enfants) ont vocation à recueillir la prestation décès, même s’il est non acceptant.

Deux semaines plus tard, la Première Chambre Civile saisie de faits similaires mais concernant cette fois-ci le règlement du capital décès au titre de la communauté universelle existant entre le bénéficiaire décédé et son conjoint survivant, réaffirme la jurisprudence qu’elle avait clairement établie par les arrêts Marquois et Jacobée.

Ces deux arrêts, d’une part, renforcent l’insécurité juridique qui règne autour du règlement du capital de l’assurance-vie en cas de décès du primo-bénéficiaire et, d’autre part accentuent la situation conflictuelle pouvant exister entre les ayants-droits du primo-bénéficiaire (héritiers, conjoints) et les autres bénéficiaires du contrat.

1/ La position de la Première Chambre Civile :

1.1 Conséquences à l’égard des héritiers du bénéficiaire décédé :

Par les arrêts Marquois et Jacobée, la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation avait clairement établi la règle suivante :

Lorsqu’après le décès de l’assuré, le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie décède sans en avoir accepté le bénéfice et que la clause bénéficiaire du contrat ne réserve pas expressément les droits de ses héritiers, le capital décès revient non pas à ses héritiers mais aux bénéficiaires de même rang ou désignés à titre subsidiaire.

Décisions critiquées par une partie de la doctrine qui considère que cet arrêt implique une nouvelle condition au paiement de la prestation décès : celle de l’acceptation par le bénéficiaire de son vivant du bénéfice de la stipulation faite à son profit.

De plus, la critique de la doctrine porte sur la notion d’exigibilité de la prestation décès. En effet, il est acquis que le capital décès devient exigible à partir du jour où le bénéficiaire survit à l’assuré.

L’exigibilité est le caractère d’une créance venue à son terme et dont le paiement forcé par voie d’exécution peut être mis en œuvre.

L’on peut en déduire que le capital décès étant exigible, il entre dans le patrimoine du bénéficiaire au jour du décès de l’assuré, l’acception de son vivant de la stipulation faite à son profit ainsi que la demande de règlement de la prestation décès auprès de l’assureur étant indifférentes dans cette hypothèse.

Par conséquent, le capital décès étant attribué au bénéficiaire au jour du décès de l’assuré, il doit entrer dans l’actif de sa succession et doit être versé à ses héritiers.

Or, par les arrêts susvisés, la Première Chambre Civile, quant à elle, fait primer la volonté du souscripteur en considérant qu’à défaut de clause de représentation du bénéficiaire réservant expressément les droits de ses héritiers, si le premier bénéficiaire ne peut recueillir les fonds pour une quelconque raison, ceux-ci doivent revenir aux bénéficiaires désignés à titre subsidiaire.

Pour la Première Chambre Civile, le décès de l’assuré met un terme au contrat d’assurance-vie. La prestation décès revenant aux bénéficiaires désignés devient exigible. Toutefois, le décès de l’assuré n’a en aucun cas pour effet l’attribution directe de la prestation décès dans le patrimoine du bénéficiaire.

C’est pourquoi, le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie doit toujours en demander le règlement auprès de l’assureur en fournissant notamment tous les documents nécessaires au paiement.

De plus, bien que le contrat d’assurance-vie soit qualifié de stipulation pour autrui, il est difficile d’en appliquer toutes les conséquences juridiques.

C’est pourquoi, la Première Chambre Civile a établi l’exception suivante dans son attendu de principe :

« Si le bénéfice d’une stipulation pour autrui est en principe transmis aux héritiers du bénéficiaire désigné lorsque celui-ci vient à décéder après le stipulant mais sans avoir déclaré son acceptation, il en va autrement lorsque le stipulant, souscripteur d’une assurance-vie, a désigné d’autres bénéficiaires de même rang ou en sous-ordre sans réserver les droits des héritiers des bénéficiaires premiers nommés ».

Il faut noter que cet attendu de principe répond à une question sous-jacente qui était celle de l’acceptation post-mortem du bénéfice de l’assurance-vie par les héritiers du bénéficiaire décédé.

La Première Chambre Civile considère en effet qu’en l’absence de bénéficiaires subséquents, les ayants-droits du bénéficiaire décédé peuvent accepter le contrat, la stipulation pour autrui leur étant transmise.

1.2 Conséquences à l’égard du conjoint survivant marié sous le régime de la communauté universelle avec le bénéficiaire décédé.

Pour la Première Chambre Civile, le bénéfice d’un contrat d’assurance-vie ne constitue pas un actif dans le patrimoine du bénéficiaire. Il n’y a pas d’attribution directe (cf. supra).

Toutefois, il est à noter que le droit du bénéficiaire à l’encontre de l’assureur est qualifié de droit personnel et de droit de créance conformément à l’article L. 132-12 du Code des assurances. C’est pour cette raison que les créanciers du souscripteur ne peuvent en aucun cas saisir le montant de la prestation décès [5].

En réalité, le montant du capital décès est à « mi-chemin » entre les deux patrimoines que constituent celui du souscripteur et celui du bénéficiaire. Et chacun d’eux bénéficie en principe d’un droit personnel sur le contrat.

En l’espèce, la Première Chambre Civile considère que le bénéfice du contrat n’ayant pas été accepté par le bénéficiaire avant la dissolution du régime matrimonial c’est-à-dire avant son décès, le montant de la prestation décès n’était pas entré dans son patrimoine et, par voie de conséquence, n’était pas entré dans la communauté.

Etant en présence de bénéficiaires subsidiaires, le conjoint survivant ne peut en aucun cas accepter de manière post mortem le bénéfice du contrat aux lieu et place du bénéficiaire décédé. Le capital décès doit donc être versé aux bénéficiaires subséquents.

Cet arrêt est la stricte application des règles posées par les arrêts Marquois et Jacobée. La Première Chambre Civile applique fidèlement sa jurisprudence.


II- La position de la Deuxième Chambre Civile :

Par son arrêt du 23 octobre 2008, la Deuxième Chambre Civile n’adhère pas à l’exception posée au principe de transmission de la stipulation pour autrui et propose dans son attendu de principe sans précédent que « le bénéfice d’une stipulation pour autrui est transmis aux héritiers du bénéficiaire désigné lorsque celui-ci vient à décéder après le stipulant, sauf manifestation contraire de volonté de ce dernier » et que « le contrat d’assurance vie qui mentionnait deux bénéficiaires par parts égales comportait deux stipulations pour autrui distinctes dont le bénéfice de l’une d’entre elles avait été transmise aux enfants du bénéficiaires ».

Ainsi, lorsque le bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie décède, ses héritiers ont vocation à recueillir le bénéfice du contrat, même s’il est non acceptant.

Pour consacrer ce droit des héritiers du bénéficiaire, la Deuxième Chambre Civile « tronçonne » la clause bénéficiaire rédigée par le stipulant et considère que la désignation de chaque bénéficiaire constitue une stipulation pour autrui distincte, transmise en tant que telle à ses héritiers.

Il s’agit véritablement d’une nouvelle interprétation de la volonté du souscripteur désignant plusieurs bénéficiaires qui conduit à faire disparaître les clauses de représentation au profit le cas échéant de clauses d’exclusion.

En effet, aux termes de cet arrêt, le stipulant qui souhaite que la prestation décès soit versée aux bénéficiaires subséquents devra désormais prévoir expressément une clause d’exclusion des héritiers du primo bénéficiaire.

Par cet arrêt, le droit des héritiers est pleinement consacré, ces derniers continuent effectivement la personne du défunt. Il n’y a donc pas lieu d’interpréter la désignation de bénéficiaires subséquents et d’en extirper le souhait qu’aurait eu le souscripteur d’écarter par cette désignation les héritiers du primo bénéficiaire. A défaut, il aurait expressément manifesté sa volonté contraire.

Théorie séduisante mais qui fait totalement abstraction du fort intuitu personae que comporte la clause bénéficiaire des contrats d’assurance-vie.

Dans les faits, le bénéficiaire est désigné en raison même de sa personne. Le souscripteur ne souhaite pas forcément que ses héritiers en bénéficient. C’est pour cette raison qu’un ou plusieurs bénéficiaires subsidiaires sont très souvent désignés.

En effet, en établissant un contrat d’assurance-vie, le souscripteur prévoit les conséquences patrimoniales de son décès et aménage la transmission de son épargne mais il n’anticipe pas forcément l’hypothèse du décès du bénéficiaire qu’il a désigné.

Toutefois, cet arrêt ne permet pas de régler le cas du conjoint survivant marié sous le régime de la communauté universelle.

En effet, cet arrêt ne consacre pas l’attribution directe du capital décès dans le patrimoine du bénéficiaire dès le décès de l’assuré.

Il est donc impossible pour un conjoint survivant de s’appuyer sur cet arrêt pour demander le règlement de la prestation décès en invoquant l’argument selon lequel celle-ci est entrée dans la communauté dès le décès de l’assuré.

Pour préserver ses droits en se fondant sur cet arrêt, le conjoint survivant doit donc demander le paiement de la prestation décès en tant qu’héritière du bénéficiaire et non pas en tant que conjoint survivant marié sous le régime de la communauté universelle.

Conclusion :

La Première Chambre Civile maintient et réaffirme avec force sa position, son arrêt étant hiérarchisé P+B+I.

Juridiquement, la décision de la Première Chambre Civile est critiquable puisque l’exception qu’elle instaure est une pure création prétorienne, ne s’appuyant sur aucune règle juridique applicable aux contrats d’assurance-vie.

Mais elle a pour le moins le mérite d’être celle qui préserve au mieux la volonté du souscripteur.

Nul doute que les assureurs vont continuer d’appliquer la jurisprudence établie par la Première Chambre Civile et considérer l’arrêt rendu par la Deuxième Chambre Civile comme un arrêt divergent.

Toutefois, cette divergence entre la Première et la Deuxième Chambre Civile de la Cour de Cassation ne manquera pas d’alimenter les tribunaux puisqu’elle « entretient » le contentieux pouvant exister entre les héritiers lésés du bénéficiaire décédé et les bénéficiaires subséquents.

Afin de mettre un terme à cette situation litigieuse et d’éviter toute procédure judiciaire, la seule solution réside dans la rédaction de la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie.

Les banquiers et assureurs, bien qu’avisés de l’importance et du soin à apporter dans la rédaction de la clause bénéficiaire n’envisagent pas systématiquement avec leurs clients l’hypothèse et les conséquences du décès du primo bénéficiaire sauf s’ils en font la demande expresse.

En effet, les bancassureurs doivent répondre aux exigences et besoins exprimés par leurs clients sur la base des informations fournies par ceux-ci et il ne s’agit pas d’une démarche active.

En d’autres termes, en l’absence d’exigences spécifiques exprimées par le client, le bancassureur n’a aucune obligation de l’alerter ou de le mettre en garde sur les conséquences du décès du primo-bénéficiaire qu’il désigne.

Dans la plupart des cas, le souscripteur n’envisage pas l’hypothèse et les conséquences du décès du primo-bénéficiaire. Or, pour éviter tout litige, il serait utile pour les assureurs de prévoir systématiquement avec le souscripteur le sort du capital décès en cas de décès du primo-bénéficiaire.

Toutefois, cette solution systématique bien qu’elle apporterait une sécurité juridique, serait susceptible d’influencer le souscripteur dans la rédaction de sa clause bénéficiaire, voire même de générer une certaine confusion susceptible de l’induire en erreur.

En effet, la rédaction systématique d’une clause de représentation ou d’exclusion des ayant-droits du primo-bénéficiaire complexifie grandement la conclusion de ce contrat, qui rappelons-le est le placement préféré des français.

De plus, quelle serait la place laissée à l’acceptation du primo-bénéficiaire si le sort de son décès est déjà réglé par le souscripteur ?

Les assureurs ne sont pas à l’abri de nouveaux litiges et de procédures judiciaires intentées sur le fondement de la décision de la Deuxième Chambre Civile. Toutefois, la solution de la rédaction systématique d’une clause de représentation ou d’exclusion n’est pas la meilleure.

Il est donc difficile d’avoir une vision prospective du sort de la prestation décès en cas de décès du bénéficiaire de l’assurance-vie et de dire quelle Chambre de la Cour de Cassation aura le dernier mot, même si aujourd’hui force est de constater que l’avantage est à la Première Chambre Civile.

Emilie BAN

Juriste en droit bancaire

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Notes de l'article:

[1Cass.Civ 2ème 23 octobre 2008 FS- PB n° 07-19163

[2Cass.Civ 1ère, 5 novembre 2008 FS-PBI n° 07-14598

[3Cass. Civ 1ère 10 juin 1992 n° 90-20262

[4Cass. Civ 1ère 9 juin 1998 n° 96-10794. Bull. civ I n° 204

[5Cass. Civ 1ère, 28 avril 1998, n° 96-10333

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