Cependant, des protocoles d’accord sont souvent signés entre les employeurs et les salariés dans le but de mettre fin à tout litige né ou à naître. Il n’est pas rare qu’un tel protocole lèse les intérêts du salarié qui aurait pu se prévaloir des règles de droit mauricien pour obtenir une indemnité supérieure. Il est alors impératif pour les parties de bien connaître la législation en vigueur afin de mener à bien les négociations.
I. Rappel du contexte.
Considérée comme un Etat fiscalement très attractif pour les sociétés et les particuliers (taux d’imposition de principe de 15% mais pouvant être ramené à 3%, voire à 0%), l’île Maurice a réussi à convaincre de nombreux candidats à l’expatriation, la délocalisation ou l’externalisation. Les sociétés multinationales implantées bénéficient souvent d’un assujettissement fiscal unique, soumis aux barèmes du droit mauricien grâce au jeu des conventions fiscales bilatérales applicables. Leur arrivée a engendré le détachement et la mobilité de nombreux salariés dorénavant employés selon des règles de droit mauricien dans divers pays. Par ailleurs, lorsque le salarié exécute son travail hors du territoire mauricien, l’employeur s’affranchit du paiement des cotisations sociales ou de charges patronales à Maurice. C’est pourquoi il existe souvent un premier contrat de travail avec l’entité mauricienne comportant un salaire nettement plus conséquent que celui figurant dans un deuxième contrat de travail conclu entre le salarié et l’entité locale de l’autre Etat où le travail sera effectivement exécuté.
Des contrats de travail sont ainsi signés dans ce contexte de droit international privé.
L’employeur est souvent une société mauricienne, dont les filiales ou clients sont situés sur le continent africain. Des expatriés sont occasionnellement recrutés par la société mauricienne. Lorsque les salariés sont détachés de manière permanente à l’étranger, le contrat de travail régi par le droit mauricien ne s’oppose pas à l’application de dispositions légales impératives du lieu d’exécution du contrat de travail (lois de police).
En tout état de cause, le droit mauricien ne s’oppose pas non plus à l’application des lois d’un Etat étranger qui seraient plus favorables aux salariés lorsqu’il existe un critère de rattachement avec cet Etat et/ou lorsque cela a été convenu entre l’employeur et le salarié.
L’insertion d’une clause contractuelle qui stipulerait l’application exclusive d’une loi étrangère très défavorable au salarié peut, dans certaines circonstances, difficilement faire échec à l’application des règles d’ordre public du droit mauricien. Le contrat de travail peut être rédigé en langue française et la jurisprudence mauricienne a commencé à reconnaître la notion de « multiplicité d’employeurs » pour un même travail accompli par un salarié pour le compte de plusieurs employeurs.
II. L’encadrement de la rupture du contrat de travail.
La rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur est cependant rigoureusement encadrée par le droit mauricien. Le non-respect de la législation par l’employeur peut avoir des conséquences financières non-négligeables. Au fil des réformes, les lois mauriciennes sont devenues de plus en plus protectrices des salariés, même si la crise sanitaire de 2020 est venue apporter son lot de changements. Le droit du travail mauricien est en évolution permanente.
De manière générale, le droit mauricien a des origines française et britannique. Le droit du travail, ayant une nature civile a, lui, toujours été majoritairement influencé par le droit français. Le droit civil mauricien est en effet d’origine française. Si les textes en vigueur en droit du travail sont rédigés en anglais (Le « Workers Rights Act 2019 » (WRA 2019) et le « Employment Relations Act »), les juridictions mauriciennes s’appuient principalement sur la jurisprudence et la doctrine françaises pour définir les contours de la loi et motiver leurs décisions. La doctrine du Professeur G. Camerlynck a, par exemple, largement contribué à combler les vides juridiques du droit du travail à Maurice.
De manière générale, l’employeur peut rompre le contrat de travail en respectant un préavis de 30 jours (sauf si le contrat de travail prévoit un délai supérieur), et en versant au salarié une indemnité qui correspond à trois mois de « rémunération » par période de 12 mois consécutifs d’ancienneté (la « rémunération » comprend le salaire et les autres avantages ou émoluments en numéraire et en nature). Un calcul au pro-rata est également prévu par la loi.
Par ailleurs, l’employeur peut procéder au licenciement pour :
i. le manque de performance d’un salarié (« poor performance ») ;
ii. la faute grave du salarié (« Misconduct ») ;
iii. le motif économique, la réorganisation de l’entreprise ou sa fermeture (« reduction of workforce, and closure of enterprise »).
Seules les deux premières causes seront ici analysées, soit le manque de performance (« poor performance ») et le « Misconduct ». La nouvelle loi de 2019 (le « Workers Rights Act ») qui a remplacé l’ancien « Employment Rights Act 2008 » a créé une nouvelle commission appelée « Redundancy Board » compétente pour statuer sur certains licenciements pour motif économique ou pour cause de fermeture ou de restructuration de l’entreprise. Une procédure stricte encadre la saisine et le fonctionnement du « Redundancy Board » dans le cadre d’un licenciement pour motif impersonnel.
i. Le licenciement pour manque de performance du salarié (« poor performance »).
Plusieurs règles sont ici à respecter et l’employeur doit notamment pouvoir démontrer :
a. Qu’il n’a pu adopter une manière différente de procéder (ex. qu’il n’a pu proposer un reclassement au salarié) ;
b. Que le salarié a eu la possibilité de répondre aux accusations portées contre lui par rapport à sa mauvaise performance alléguée ;
c. Que le salarié ait obtenu un certain délai pour répondre à toute accusation de « poor performance » portée contre lui ; et
d. Que la rupture du contrat ait été effectuée dans le délai statutaire après la réponse du salarié.
Lorsque l’employeur dispose de preuves suffisantes pouvant justifier d’une charge de « poor performance » contre le salarié et éventuellement, un licenciement, il peut notifier au salarié les charges retenues et lui demander des explications. L’employeur doit cependant accorder un délai au salarié pour préparer sa défense et répondre des charges portées à son encontre.
L’employeur peut également convoquer le salarié à répondre de la charge « poor performance » par devant un comité disciplinaire. Le salarié pourra se faire assister par un représentant de son syndicat et/ ou par son représentant légal, ou par un officier du Ministère du Travail. Le président du comité disciplinaire doit être impartial. A la lumière des conclusions (« findings ») du comité disciplinaire, l’employeur pourra procéder au licenciement du salarié pour « poor performance » sous réserve de respecter le délai statutaire prévu à cet effet.
ii. Le licenciement pour faute grave du salarié (le « Misconduct »).
Les dispositions légales à Maurice n’apportent aucune précision quant au degré de gravité du « misconduct ». La jurisprudence mauricienne s’est ainsi inspirée de la jurisprudence française en faisant la distinction entre les divers degrés de gravité de la faute susceptible de justifier un licenciement. Ce degré de gravité relève de l’appréciation souveraine des juges du fond au cas par cas. Il est en conséquence difficile d’établir une liste exhaustive de fautes pouvant être qualifiées de graves, lourdes ou sérieuses.
Depuis la loi de 2008 et l’instauration d’un calcul forfaitaire pour déterminer le montant des indemnités de licenciement en cas de licenciement abusif (soit un « severance allowance » de 3 mois de rémunération par année d’ancienneté), il suffit au salarié de démontrer que son licenciement est abusif (il importe ici de préciser que c’est à l’employeur de prouver la faute grave du salarié).
Pour les licenciements ayant eu lieu avant 2008 sous l’égide de l’ancien « Labour Act 1975 », le montant de l’indemnité pouvait varier (il existait alors le « severance allowance at normal rate » et le « severance allowance at punitive rate »).
Dorénavant, l’employeur doit démontrer une faute grave du salarié pour pouvoir procéder à son licenciement. La jurisprudence continue cependant à parfois nuancer entre le « misconduct », le « gross misconduct », le « serious misconduct » et le « heavy misconduct », sans grande conséquence sur le montant du « severance allowance » alloué au salarié si ledit « misconduct » imputable au salarié n’est pas prouvé par l’employeur.
Par ailleurs, l’employeur doit respecter scrupuleusement la procédure de licenciement. Il doit notifier les charges au salarié dans le délai légal prévu à cet effet à compter de sa connaissance des faits susceptibles de justifier un licenciement. Le salarié doit également disposer d’un délai suffisant pour répondre des accusations formulées à son encontre par l’employeur. La tenue d’un comité disciplinaire présidé par un individu indépendant et extérieur à l’entreprise est ici vivement conseillée.
L’employeur doit également respecter le délai statutaire à compter des conclusions (« findings ») du comité disciplinaire pour procéder au licenciement du salarié. Le salarié n’a alors droit à aucune indemnité de licenciement s’il est licencié pour « misconduct ». S’il estime que son licenciement est abusif, il peut saisir la juridiction compétente et demander la condamnation de l’employeur à lui verser les indemnités de licenciement et le montant correspondant au préavis, outre les autres droits acquis demeurés impayés.
Lorsque préalablement au lancement de la procédure disciplinaire, l’employeur estime qu’il ne dispose pas de preuves suffisantes contre le salarié, il peut procéder à une enquête disciplinaire pour déterminer l’étendue de la responsabilité du salarié. Une mise à pied conservatoire peut être décidée par l’employeur à l’encontre du salarié, dans l’attente des conclusions de l’enquête. Des conditions strictes encadrent la mise à pied conservatoire.
L’employeur disposera ensuite d’un certain délai à compter des conclusions de l’enquête diligentée pour inviter le salarié à répondre des charges formulées à son encontre, éventuellement devant un comité disciplinaire.
Selon la jurisprudence, lorsque la faute grave est alléguée, elle doit ressortir des documents du comité disciplinaire. La procédure disciplinaire à l’encontre du salarié doit être effectuée dans une langue que ce dernier comprend (habituellement en français ou anglais).
Il importe enfin de noter que la notion de « prise d’acte » en droit français se retrouve dans celui du « constructive dismissal » en droit mauricien. Il s’agit ici du salarié qui est contrait de prendre acte de la rupture pour des faits imputables à employeur et qui rendent impossible la poursuite du contrat de travail. Le « constructive dismissal » n’est en aucun cas une démission. Le salarié peut saisir le juge afin qu’il statue sur les conséquences de cette rupture. Si les faits invoqués par le salarié justifient la rupture du contrat de travail, le juge estimera qu’il y avait effectivement « constructive dismissal ». Dans le cas contraire, il s’agira d’une démission. Le « constructive dismissal », lorsque reconnu comme tel, produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En tout état de cause, le salarié victime d’un licenciement abusif a droit :
a. soit à une indemnité équivalente à 3 mois de « rémunération » par période de 12 mois d’ancienneté ;
b. soit à des dommages-intérêts en raison du préjudice subi par la rupture fautive du contrat de travail par l’employeur.
A cela, il convient d’ajouter les autres droits acquis du salarié (préavis, éventuelles indemnités de congés payés, treizième mois, etc…)
Comme indiqué, le droit mauricien continue son évolution en protégeant davantage le salarié ou certaines catégories de salariés. Parmi les principaux apports de la nouvelle WRA 2019 figurent notamment les suivants :
Le droit à la prime du 13ème mois (aussi appelée « bonus de fin d’année ») à certains salariés disposant d’au moins 8 mois consécutifs d’ancienneté auprès d’un employeur, sauf exceptions prévues par la loi (notamment les salariés sous « remuneration orders »). En cas de rupture du contrat de travail pour quelque cause que ce soit, le montant de ce 13ème mois est calculé au prorata et correspond au douzième des revenus perçus durant l’année civile ;
L’obligation de compléter un comité disciplinaire dans un délai de 30 jours, sauf exceptions prévues par la loi.
La pandémie liée au Covid-19 a également profondément impacté le droit du travail mauricien en 2020 et en 2021. Le législateur mauricien est venu de l’avant avec de divers amendements soit pour faciliter le licenciement pour motif économique dans certains secteurs soit pour interdire à certains employeurs de procéder à des licenciements durant une période déterminée.
Discussions en cours :
Bonjour et merci pour cet article qui est très bien expliqué. Serai-il possible de savoir ce qu’il en est du 3e motif de licenciement : "le motif économique, la réorganisation de l’entreprise ou sa fermeture (« reduction of workforce, and closure of enterprise » ?
Bonjour,
Pouvez vous me dire si le fait d’avoir une entreprise française ( maison mère) qui soit en liquidation judiciaire et que notre entreprise Mauricienne qui est une branche de la maison mère donc par effet de domino entraine la mise en liquidation de celle ci, soit le produit des effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse et donc pouvoir bénéficier à une indemnité de trois mois de rémunération par année d’ancienneté
Bonjour,
J’aimerai avoir quelques précisions au niveau de comment une société peut qualifier un point reproché á un salarié comme une faute grave ?
Merci pour cet article qui eclaire bien la problématique du licenciement pour les employeurs à l’ile Maurice. Pourriez vous nous en dire plus sur les points (iii)Licenciement pour motif économique et
(iv) la réorganisation de l’entreprise ou sa restructuration svp ?
Cher Monsieur,
Je vous invite à me contacter à l’adresse mail indiquée
Bien cordialement
Maître S. C. Bhaganooa
Avocat au Barreau de Paris
Barrister-at-Law au Barreau de Maurice
Très utile effectivement, merci.
Oui.
Pourriez vous nous en dire plus sur les points
(iii)Licenciement pour motif économique et
(iv) la réorganisation de l’entreprise ou sa restructuration
Bonjour,
Je rejoins l’assistance saluant l’utilité de cet article, étant sur le point de signer un contrat de droit Mauricien, je ne peux que vous remercier.
Bien cordialement,
Mon cher confrère, Merci pour cet article qui est très clair et qui va m’être bien utile dans le cadre d’un dossier en cours.
Bien confraternellement,
Mon Cher Confrère,
Je suis enchanté que cet article puisse vous apporter des éléments utiles dans le cadre de votre dossier.
Bien confraternellement