Voyons ci-dessous les principales étapes de la vente d’une entreprise en Espagne :
1. Estimation initiale et pourparlers.
La première étape de la vente d’une entreprise implique inexorablement une estimation de celle-ci. À cet effet, plusieurs méthodes sont utilisées, telles que les multiples de transactions comparables, la méthode d’actualisation des flux de trésorerie ou la méthode de l’actif net réévalué.
La plus courante, à savoir la méthode des multiples de transactions comparables, utilise les informations relatives aux opérations effectuées dans un même secteur, en appliquant le multiple calculé pour ce type de transactions à l’EBITDA de l’entreprise que l’on souhaite vendre.
Il est ensuite recommandé de dresser un profil anonyme ou « Teaser » qui résume les informations les plus importantes relatives à l’entreprise pour d’éventuels investisseurs, en l’absence des données qui permettraient de l’identifier. C’est précisément ce document que l’on fait initialement parvenir à des acquéreurs potentiels.
2. Accord de confidentialité (Non-Disclosure Agreement « NDA »).
Les personnes ayant un intérêt, eu égard au profil anonyme, signent ensuite un accord de confidentialité en s’engageant à ne pas révéler les informations qui leur seront fournies durant les étapes suivantes et à ne pas utiliser, à leur profit ou à celui d’autrui, les données auxquelles elles auraient accès à l’occasion de la remise des documents et des négociations subséquentes.
3. Mémorandum d’information (Information Memorandum).
Après signature du NDA, ce document offre à l’acquéreur potentiel des informations relatives à l’activité de l’entreprise et à ses principaux aspects économiques et financiers. Ces informations doivent servir de base pour que l’autre partie puisse prendre une décision fondée sur la viabilité de l’opération et son intérêt à acquérir la société. Le document porte notamment sur les matières suivantes : l’historique de l’entreprise, les détails concernant le marché où elle intervient, sa structure et son organigramme, ses produits, chiffre d’affaires, l’immobilisation des actifs de l’entreprise ou encore le nombre de clients et de fournisseurs. Il est toutefois recommandé d’exclure les informations sensibles pouvant mettre en péril la capacité concurrentielle de la société dans l’hypothèse où la vente n’aboutirait pas.
4. Lettre d’intention (Letter Of Intent « LOI »).
La lettre d’intention est parfois appelée « Term sheet » ou « Memorandum of Understanding (MoU) » et reprend l’accord conclu entre les parties pour l’acquisition de l’entreprise en fixant les principales conditions de l’opération prévue. Dans ce document, les parties expriment leur volonté de négocier de bonne foi en vue de conclure le contrat et fixent les principales conditions de l’acquisition. Il n’existe toutefois aucune obligation de vendre ou d’acheter l’entreprise, de sorte qu’il s’agit uniquement de formaliser l’existence de pourparlers, ce qui provoque une certaine sécurité face à une éventuelle rupture abusive des pourparlers ou « culpa in contrahendo » de la part de l’acquéreur potentiel.
La signature de la lettre d’intention permet aux parties d’avancer dans l’échange d’informations, le vendeur ayant une plus grande certitude que lesdites informations ne seront pas utilisées contre ses intérêts. Une clause d’exclusivité peut parfois être fixée, permettant à l’acheteur de s’assurer que le vendeur ne négociera pas avec un autre acquéreur éventuel.
Mais attention, le caractère contraignant ou non contraignant des lettres d’intention doit être parfaitement compris par les parties dans le cadre de la transmission de l’entreprise et c’est pourquoi les services d’un avocat sont nécessaires pour rédiger de telles lettres car… sont-elles contraignantes ?
Parler d’« intentions » dans un système juridique comme le système espagnol provoque une certaine confusion. Il est toutefois vrai qu’elles fixent notamment les bases d’une future négociation et si celles-ci sont mises à l’écart, leur efficacité peut être contestée devant les tribunaux.
La lettre d’intention est un accord formel fixant les termes et conditions d’une transaction de manière plus générique, ainsi que les conditions de la future négociation qui devra se faire de bonne foi. Disons que l’objectif de cet instrument commercial est de fixer les conditions pour que l’opération soit conclue avec succès.
La lettre d’intention fixe généralement un chiffre ou une formule de référence pour le calcul du prix et indique également les délais pour terminer les négociations ainsi que le calendrier pour réaliser la due diligence.
Nul ne peut garantir qu’une lettre d’intention n’est légalement pas contraignante car tout dépendra de la rédaction adéquate de ses clauses, du caractère indéterminé de l’objet, de l’établissement de conditions suspensives et, surtout, de l’introduction de la clause impérative de son caractère non contraignant. Même si l’accord d’intention, dans ses grandes lignes, n’impose pas la signature du contrat de vente envisagé, ni ne fait naître à lui seul le droit d’en réclamer l’exécution, il constitue en revanche un contrat contraignant avec un objet, une cause et des consentements.
Les accords d’intention sont des contrats atypiques et complexes et, en raison de cette complexité, deux types de responsabilité peuvent être soulevés :
Responsabilité extra-contractuelle basée sur la rupture injustifiée des négociations relatives au contrat envisagé, en raison de sa nature de « pourparlers ».
Responsabilité contractuelle en raison d’une violation des obligations assumées dans les accords d’intention.
Les arrêts les plus instructifs sur ce concept d’accord d’intention sont peut-être les suivants : arrêt du Tribunal Supremo [Cour suprême] du 3 juin 1998, arrêt du Tribunal Supremo du 11 avril 2000, arrêt du Tribunal Supremo du 7 juin 2011 et arrêt du Tribunal Supremo du 24 juin 2011.
Par conséquent, les principales caractéristiques des accords d’intention selon cette jurisprudence sont :
Ces accords sont conclus durant un processus de négociation.
Ils constituent des accords précontractuels distincts de l’avant-contrat.
Ils ne peuvent être comparés au contrat envisagé dans la mesure où ils comportent une certaine incertitude eu égard aux éléments essentiels de ce contrat.
Ils ne peuvent être considérés comme une offre susceptible d’acceptation.
Ils font partie intégrante des pourparlers.
Ils peuvent reprendre des accords relatifs au contenu du contrat définitif ou du processus de négociation.
Le document doit être déterminé par le contenu plus que par le titre.
Et ce qui est particulièrement important est qu’ils peuvent comprendre des obligations contraignantes et, par conséquent, la jurisprudence admet implicitement qu’ils peuvent être considérés comme des contrats.
5. Due Diligence.
Ce terme d’origine anglo-saxonne est utilisé pour se référer au contrôle juridique et financier de l’entreprise à acquérir, en analysant le respect des obligations légales et en vérifiant sa situation juridique et financière. Il s’agit en définitive d’acquérir de plus amples connaissances de l’entreprise en vue d’évaluer l’opportunité de l’investissement, de déterminer la valeur de l’entreprise et de soupeser les risques qu’implique l’opération pour l’acquéreur.
La Due Diligence identifie les risques et les circonstances de l’acquisition de manière à pouvoir vérifier la réalité des données fournies par le vendeur durant les pourparlers. Cet examen permet de moduler le prix, voire d’écarter l’opération, s’il s’avère, durant ce processus, que celle-ci n’est pas viable. La Due Diligence permet également au vendeur de limiter sa responsabilité dans la mesure où il est entendu que toute circonstance mise en exergue durant la Due Diligence a été prise en compte pour déterminer le prix de l’acquisition.
Ces processus impliquent une vérification exhaustive d’une multitude de documents juridiques et financiers de l’entreprise et requièrent une collaboration intense entre les deux parties à l’opération ainsi que celle de leurs conseillers juridiques. La Due Diligence conclut par un rapport identifiant l’état des différents aspects de l’entreprise portant en tout état de cause sur des questions d’ordre social, fiscal, du droit du travail et financier. Ce rapport inclut normalement une évaluation des différentes contingences observées et une estimation pondérée de la situation juridique et financière de la société.
6. Conclusion du contrat de vente (Sale and Purchase Agreement « SPA »).
En signant le contrat de vente, les parties s’engagent en qualité d’acquéreur et de vendeur, mais la transmission de la société ne se produira qu’une fois respectées les conditions suspensives précisées ci-après. Il s’inscrit donc dans le système de « título y modo » du Code civil espagnol, bien que ce type de contrat suive généralement la structure de la common law anglo-saxonne, dans l’exercice de la liberté contractuelle des parties, structure qui comporte notamment les clauses suivantes :
Déclarations et garanties (« Representations and Warranties »).
Il s’agit d’une kyrielle de déclarations principalement faites par le vendeur et visant à garantir l’exactitude et la véracité de l’état de l’entreprise vendue, en fonction des conclusions de la Due Diligence. Ainsi, le vendeur précise les garanties face à d’éventuelles risques cachés de l’objet de la vente et spécifie la portée ainsi que les conséquences de sa responsabilité en termes d’indemnisation en cas de dommages et préjudices portés à l’acquéreur. Moins la Due Diligence est exhaustive et plus la rédaction détaillée de ce type de clauses est importante, afin de couvrir les aspects les plus importants de l’entreprise.
Conditions suspensives (« Conditions precedents »).
Il s’agit des conditions dont dépendent les conséquences juridiques du contrat de vente. Par conséquent, dans la pratique, la signature du contrat fonctionne comme une promesse de vente qui ne déploie d’effets que lorsque ces conditions seront remplies.
Clauses de changement défavorable significatif (Material Adverse Change « MAC »).
De telles clauses sont introduites en vue de garantir à l’acquéreur le droit de résilier le contrat ou, du moins, de pouvoir renégocier ses conditions sans pour autant mettre un terme à la transaction, lorsque l’opération subit un changement qui en altère objectivement les circonstances, en produisant un dommage effectif à l’égard de l’acquéreur.
Prix.
Il est généralement prévu que le prix soit payé comptant à la date de conclusion de l’opération, mais il est fréquent que des paiements échelonnés soient envisagés (assortis de différentes garanties), tout comme d’éventuels réajustements en fonction du rendement postérieur de l’entreprise acquise (voire postérieurs à la date de conclusion de la transaction, comme « earn out »).
Clauses limitatives.
Il est fréquent d’inclure des clauses de non-concurrence ou de non-sollicitation de personnel.
7. Exécution de la vente à la Date de conclusion de l’opération (« Closing »).
Une fois remplies les conditions suspensives, le SPA est dressé en la forme authentique. C’est le moment de la clôture de l’opération ou « closing ». C’est à cet instant que les deux parties concluent l’acquisition de l’entreprise, laquelle est transmise à l’acquéreur à l’occasion de cet acte.
Il est courant d’envisager des obligations postérieures à la conclusion de l’opération, communément appelées « post-closing », en exécutant plusieurs obligations prévues dans le SPA. Ces obligations peuvent consister en un contrat de transition précisant les services que le vendeur doit fournir jusqu’à la mise en œuvre des processus de vente dans l’entreprise objet de ladite vente, de réajustements de prix ou de paiement d’un earn-out au vendeur.
Il faut en tout état de cause considérer que le processus d’acquisition de l’entreprise varie substantiellement selon les caractéristiques de chaque opération et les intérêts des parties. L’acquisition peut par exemple être faite par le biais d’une restructuration de société telle qu’une fusion ou une scission, ou encore en acquérant uniquement une unité de production, sans toutefois acheter d’actions ni de parts sociales de la société (très courant dans les acquisitions d’entreprises faisant l’objet d’un redressement judiciaire).