L’une de ces modifications, probablement la plus commentée, est la promotion des modes appropriés de résolution des litiges alternatifs à la voie judiciaire ("MASC"), ce qui se traduit par l’obligation de recourir à l’un d’eux avant d’intenter une action en justice dans les affaires civiles et commerciales.
Sur le papier, cela représente un changement majeur pour les clients et les avocats (certains auteurs parlent d’un "impact profond sur la pratique de l’avocature"). Mais est-ce vraiment le cas ? Analysons les changements et leurs conséquences pratiques.
Les changements introduits en matière de MASC.
La LO 1/2025 définit les MASC comme "tout type d’activité de négociation, reconnue dans cette loi ou d’autres, à laquelle les parties à un conflit ont recours de bonne foi pour trouver une solution extrajudiciaire, que ce soit par elles-mêmes ou avec l’intervention d’un tiers neutre".
Elle énumère spécifiquement les modes suivants :
- La médiation, réglementée par la Loi 5/2012 du 6 juillet.
- La négociation directe entre les parties ou par l’intermédiaire de leurs avocats.
- La conciliation privée, similaire à la médiation, mais où le conciliateur propose aux parties des solutions au conflit et les invite à en proposer également.
- L’offre contraignante confidentielle, par laquelle une partie formule une offre et est tenue de l’exécuter si elle est expressément acceptée.
- L’avis d’un expert indépendant sur la matière faisant l’objet du litige.
- Le processus de droit collaboratif, qui repose sur une négociation entre les parties et leurs avocats (qui doivent être accrédités en la matière) en vue de parvenir à une solution consensuelle, ces avocats renonçant à saisir les tribunaux en cas d’échec.
La nouveauté, comme nous l’avons mentionné, réside dans l’instauration d’une condition de recevabilité : avant de déposer une requête en justice en matière civile ou commerciale, le demandeur doit avoir eu recours à un MASC et, dans sa demande, indiquer lequel et en apporter la preuve. Faute de cette preuve, l’assignation en justice sera déclarée irrecevable.
Le point crucial est la manière dont le demandeur doit attester du respect de cette obligation.
La LO 1/2025 prévoit les règles suivantes :
- Sans intervention d’un tiers neutre, la preuve peut être apportée par un document signé par les deux parties ou, à défaut, par tout document prouvant que la partie adverse a reçu la demande de négociation ou de proposition.
- Avec intervention d’un tiers neutre, il conviendra de fournir un document établi par ce dernier mentionnant les circonstances du processus de MASC (y compris, le cas échéant, la non-comparution ou le refus de participer de l’autre partie).
Par ailleurs, la LO 1/2025 fixe les conditions dans lesquelles le processus de MASC est considéré comme terminé sans accord, notamment :
- Si 30 jours s’écoulent sans réunion ni contact après la réception de la demande initiale.
- Si, après une proposition, 30 jours passent sans accord ni réponse.
- Si 3 mois s’écoulent après la première réunion sans accord.
- Si l’une des parties met fin aux négociations par écrit.
Afin de renforcer l’usage des MASC, la LO 1/2025 ajoute deux mesures complémentaires.
Tout d’abord, la demande d’une partie adressée à l’autre en vue d’ouvrir une négociation par le biais d’un MASC, dès lors que l’objet de la négociation est dûment défini, interrompt la prescription ou suspend le délai de forclusion des actions à compter de la date à laquelle l’initiative de communication est établie. Cette interruption ou suspension se prolongera jusqu’à la signature de l’accord ou jusqu’à la clôture du processus sans accord.
Ensuite, la réforme modifie le régime des dépens dans la Loi de Procédure Civile, à plusieurs niveaux :
- En première instance, il n’y aura pas de condamnation aux dépens en faveur de la partie victorieuse (qu’elle soit demanderesse ou défenderesse) si elle a refusé, de manière expresse ou par des actes concluants, sans motif légitime, de participer à un MASC. En cas de reconnaissance partielle des prétentions ou d’acquiescement, il pourra y avoir condamnation aux dépens si l’une des parties ne s’est pas présentée, sans motif légitime, à un MASC.
- Dans le cadre d’un incident de contestation de la taxation des dépens, la partie condamnée à payer les dépens pourra demander son exonération ou une réduction du montant si elle a présenté une offre à la partie adverse dans le cadre d’un MASC et que le contenu de cette offre, refusée par la partie destinataire, est substantiellement identique à la décision judiciaire mettant fin au litige.
Conséquences pratiques.
Comme évoqué au début de cet article, l’exigence de recourir à un MASC avant d’introduire une action en justice semble constituer un changement majeur, car elle impose une évolution dans la mentalité des clients et des avocats : éviter la voie judiciaire devient une obligation ayant des implications procédurales et financières concrètes.
La réforme implique également des conséquences pratiques pour les clients et les avocats :
- Les clients avec une forte activité contentieuse – notamment les entreprises opérant dans des secteurs où les impayés sont fréquents – devront intégrer ces MASC dans leurs pratiques avant de confier leurs dossiers à leurs avocats. Cela impliquera probablement de modifier leurs lettres de mise en demeure afin d’exprimer clairement leur volonté de négocier.
- Les avocats devront faire preuve d’une grande prudence : avant d’engager une procédure judiciaire, il sera indispensable de s’assurer que le client – ou l’avocat lui-même – a tenté un MASC. À minima, une négociation devra avoir eu lieu et être rigoureusement documentée pour être prouvée lors du dépôt de l’assignation en justice. Cet aspect soulève d’ailleurs d’importantes questions quant à la confidentialité des communications lorsqu’elles sont échangées entre avocats.
Cependant, mon impression est que l’impact réel de cette réforme sera plus limité qu’il n’y paraît, du moins à court terme. En Espagne, la culture de la négociation et du compromis reste peu développée. Lorsque deux parties – entreprises ou particuliers – ont un litige et ont déjà fait appel à des avocats, elles sont rarement enclines à « faire marche arrière » pour parvenir à un accord. Beaucoup estimeront que, si elles n’ont pas réussi à se mettre d’accord seules, leurs avocats n’y parviendront pas davantage. Par conséquent, il est probable que de nombreux clients demandent simplement à leurs avocats de « remplir la formalité » du MASC avant d’intenter une action en justice.
La réglementation de la LO 1/2025, malgré ses bonnes intentions, n’empêche pas une application purement formelle de l’obligation. Il suffira d’envoyer une lettre de mise en demeure mentionnant une volonté de négociation pour satisfaire à l’exigence préalable avant de déposer une assignation en justice. Certes, l’assignation ne pourra pas être déposée immédiatement : un délai de 30 jours calendaires devra s’écouler après l’envoi de la lettre de mise en demeure ou l’échec des négociations. Mais ce délai reste relativement court. À titre de comparaison, en matière d’expulsion locative, pour empêcher la possibilité de régularisation de la dette, le délai d’attente entre la lettre de mise en demeure et l’action en justice est de 30 jours ouvrables.
Par ailleurs, il est probable que certaines parties souhaitent réellement négocier ou recourir à un autre MASC, mais se heurtent à l’inflexibilité ou à l’attitude dilatoire de l’autre partie, qui refusera tout accord et provoquera l’échec du processus de MASC. Malheureusement, l’engorgement des tribunaux espagnols, où les procédures de première instance peuvent durer 2, 3 voire 4 ans, favorise ces comportements opportunistes. En pratique, « jouer la montre » peut être une stratégie rentable pour la partie défenderesse – souvent un débiteur – qui préfère attendre l’issue du procès plutôt que de régler immédiatement ses obligations.
Ainsi, dans les premières années suivant l’entrée en vigueur de la réforme, le MASC risque d’être perçu comme une simple formalité. Ce n’est qu’avec le temps, si les tribunaux appliquent strictement la LO 1/2025 et sanctionnent les parties refusant injustement de recourir aux MASC, que ces mécanismes seront véritablement adoptés. Mais cette évolution ne sera pas culturelle : elle ne surviendra que si les clients et leurs avocats constatent qu’ignorer les MASC coûte plus cher que d’y recourir.