L’utilisation du téléphone portable par le salarié.

Par Xavier Berjot, Avocat.

131643 lectures 1re Parution: Modifié: 9 commentaires 4.98  /5

Explorer : # téléphone portable # droit du travail # avantage en nature # preuve juridique

L’utilisation du téléphone portable par le salarié pose de nombreuses questions qui revêtent une grande importance pratique, compte tenu du fait que tous les salariés ou presque disposent de cet outil de communication.

-

1. L’employeur peut-il interdire l’utilisation du téléphone portable personnel pendant les horaires de travail ?

L’employeur ne peut apporter des restrictions aux droits des salariés et à leurs libertés individuelles qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché (C. trav. art. L. 1121-1).

L’article L. 1321-3 du Code du travail reprend la même interdiction s’agissant du règlement intérieur, qui ne peut contenir de clauses ainsi restrictives.

Il en résulte qu’une interdiction générale et absolue d’utiliser le téléphone portable personnel, sur le lieu de travail et pendant les horaires de travail, peut être considérée comme abusive.

En revanche, des situations de travail particulières peuvent parfaitement justifier cette interdiction (conduite, travail posté, travaux en hauteur…).

2. L’utilisation du téléphone portable professionnel à des fins personnelles constitue-t-elle un avantage en nature ?

Lorsque, dans le cadre de l’activité professionnelle, l’employeur met à la disposition du salarié un téléphone portable dont l’usage est en partie privé, l’avantage en nature constitué par cet usage privé doit être soumis en partie à cotisations sociales.

L’avantage en nature est évalué, sur option de l’employeur (arrêté du 10 décembre 2002) :

- Soit sur la base des dépenses réellement engagées ;
- Soit sur la base d’un forfait annuel estimé à 10 % du coût d’achat ou, le cas échéant, de l’abonnement, toutes taxes comprises.

Cependant, pour l’Urssaf, l’utilisation raisonnable du téléphone portable pour la vie quotidienne d’un salarié (ex. appels de courte durée) dont l’emploi est justifié par les besoins ordinaires de la vie professionnelle et familiale n’est pas considérée comme un avantage en nature.

De même, l’avantage en nature peut être négligé lorsqu’un document écrit de l’entreprise mentionne que le téléphone portable mis à disposition par l’employeur est destiné à un usage professionnel ou que son utilisation par le salarié découle d’obligations et de sujétions professionnelles (ex. possibilité d’être joint par téléphone à tout moment).

3. L’employeur peut-il reprendre le téléphone portable professionnel mis à la disposition du salarié ?

Si le téléphone portable n’est pas un avantage en nature mais un simple outil de travail, l’employeur est en principe libre de le supprimer, sauf si cette mesure constitue une discrimination ou participe d’un harcèlement moral (Cass. soc. 27 octobre 2004, n° 04-41.008).

En revanche, si le téléphone portable est un avantage en nature, il s’agit alors d’un élément de rémunération et l’employeur ne peut en priver unilatéralement le salarié.

Cette solution est applicable même en cas de dispense de préavis, puisque l’inexécution du préavis ne doit entraîner aucune diminution des salaires mais aussi des avantages que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail jusqu’à l’expiration du préavis (C. trav. art. L. 1234-5).

Il est donc impossible, dans ce cas, de reprendre au salarié le téléphone professionnel dont il a également un usage personnel, ce qui peut évidemment poser des difficultés pratiques, notamment en cas de risque de concurrence de la part d’un ancien salarié.

4. Les données issues du téléphone portable professionnel ou personnel peuvent-elles constituer un mode de preuve ?

Pour la Cour de cassation, si l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectuée à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des SMS, dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur (Cass. soc. 23 mai 2007 n° 06-43.209).

De même, le message vocal de l’employeur laissé sur le téléphone du salarié est un mode de preuve valable (Cass. soc. 6 février 2013 n° 11-23.738).

Par conséquent, l’employeur et le salarié peuvent parfaitement produire en justice les SMS ou messages vocaux échangés au moyen d’un téléphone portable professionnel ou même personnel.

En revanche, constituent un mode de preuve déloyal les vidéos filmées par un téléphone portable et mises en ligne par leur auteur sur un site de partage de vidéos, que l’employeur produit pour établir les actes humiliants commis par un salarié sur un stagiaire, sans apporter la preuve qu’il avait obtenu de façon autorisée ces vidéos destinées à un public limité détenteur d’un code d’accès (CA Douai 30 septembre 2009, n° 08-3130).

5. L’utilisation du téléphone portable professionnel doit-elle faire l’objet d’une déclaration à la CNIL ?

La mise à disposition d’un téléphone portable au bénéfice du salarié conduit l’employeur à disposer des données relatives à l’utilisation de ce moyen de communication, via leur transmission par l’opérateur choisi par l’employeur.
Ainsi, le traitement des données relatives à l’utilisation du téléphone portable dans ce cadre doit faire l’objet d’une déclaration préalable en application de la norme n° 47 issue de la délibération CNIL n° 2005-019 du 3 février 2005.

Attention  : les finalités de ce traitement sont limitées à la simple gestion des moyens de communication et à la maîtrise des dépenses liées à l’utilisation des services de téléphonie. Les finalités relatives à l’écoute ou l’enregistrement des conversations téléphoniques ou la localisation d’un salarié à partir de son téléphone portable sont expressément exclues du champ d’application de la norme.

La durée de conservation des données relatives à l’utilisation des services de téléphonie est limitée à un an courant à la date de l’exigibilité des sommes dues en paiement des prestations des services de téléphonie.

6. Dans quels cas l’utilisation du téléphone portable du salarié peut-elle justifier son licenciement ?

La jurisprudence fournit de nombreux exemples de licenciements liés à l’usage du téléphone portable par le salarié.

Ainsi, est justifié par une faute simple le licenciement du salarié ayant passé des appels téléphoniques en dehors des horaires de travail avec le téléphone portable mis à sa disposition par l’employeur (CA Paris 2 juillet 2008, n° 06-13085).

En revanche, n’est pas justifié le licenciement motivé par l’usage abusif du téléphone portable alors qu’une utilisation privée était largement tolérée dans l’entreprise et que le salarié n’avait pas fait l’objet d’une mise en garde ni même de remarques préalables (Cass. soc. 1er février 2011, n° 09-42.786).

Dans le domaine de la circulation routière, la Cour d’appel de Nancy a pu admettre le bien fondé du licenciement pour faute grave d’un chauffeur envoyant de nombreux SMS au volant, dans la mesure où ce comportement, contrevenant au Code de la route, constitue un manquement caractérisé aux règles élémentaires de sécurité, de nature à créer un danger pour les autres usagers de la route (CA Nancy 14 novembre 2012, n° 12/00388).

Commenter cet article

Discussions en cours :

  • Bonjour,
    Mon employeur peut-il m’imposer d’utiliser mon téléphone personnel pour des appels professionnels ? Dans l’entreprise, chacun utilise son tel perso pour appeler un collègue qui est parfois juste à côté.
    Puis-je bloquer les numéros de mes collègues ? Sachant que j’ai un tel fixe au boulot.
    De plus, peut-il m’imposer d’installer des applis professionnelles (genre recevoir les mails du boulot, regarder le planning des employés, les commandes des boutiques et autre ?) ?
    J’ai un tout petit forfait de 2h d’appel et Internet limité (car je n’aime pas le téléphone) et je ne veux pas faire de hors forfait à cause du boulot.

  • par Haddab , Le 19 novembre 2018 à 09:05

    Bonjour
    Mon un collègue bénéficie d un portable professionnel. Ce dernier a un problème fonctionnel il me demande de l emmener le réparer
    le réparateur me dit que les donner risque de s effacer et y a t’il des choses importante je regarde le contenu du portable je tombe sur des messages me concernant ou mon collègues me traite et me dénigre.
    ai je le droit de récupérer les sms
    merci pour votre reponse

  • par É.p , Le 15 août 2018 à 12:01

    Bonjour,

    mon employeur m a versé une prime forfaitaire pour l aide à l achat d un téléphone portable sous forme de remboursement de frais.
    Je quitte l’entreprise dans les prochains jours et il me demande de lui restituer ce téléphone.
    Dois-je lui restituer ? sachant que la facture du téléphone est à mon nom et que celle ci dépasse le montant de la prime.
    Merci d avance

    E.P

  • par Séverine , Le 18 mars 2018 à 21:16

    Bonjour

    Je suis assistante dans une entreprise où dans le règlement intérieur il est stipulé que le téléphone portable est interdit durant les heures de travail.

    Hors J’ai un enfant autiste et il m’arrive souvent d’avoir de brefs échanges avec les intervenants et le collège de mon fils.

    Comment faire cela sans enfreindre le règlement intérieur ?

  • Bonjour,

    et merci pour ces précisions bien utiles. En revanche, qu’en est-il de l’inverse ? On me demande de plus en plus d’utiliser mon téléphone personnel pour envoyer des messages de confirmation ou autres délires à l’entreprise qui m’embauche... Est-ce normal ? Puisque l’utilisation du téléphone portable personnel est interdite sur le lieu de travail, que l’utilisation à des fins personnelles de celui de l’entreprise est sanctionnée, qu’en est-il du droit des salariés ? Je me suis faite virer de mon dernier boulot parce que je refusais d’utiliser mon portable au frais de la société. Et c’est de plus en plus courant.

    Merci pour votre réponse.
    Mélanie.

    • par Sandrine , Le 19 mai 2015 à 11:52

      En poste en qualité d auxiliaire de vie dans une société privée il est notifié dans mon contrat à durée indéterminée à temps partiel que je suis tenue de posséder un portable personnel et dois l utiliser pour les besoins de la boîte "article 19 nécessité d utiliser un téléphone personnel "sans que cela génère de frais professionnels et que le non respect de cette consigne pourra faire l objet de sanctions. Est ce légal car c’est quand même moi qui règle les mensualités du forfait ????

    • par Jacques Simoni , Le 15 octobre 2015 à 13:46

      Bonjour à tous,

      Je me pose cette question dont la réponse est importante, me semble-t-il : un supérieur a-t-il le droit de m’interdire d’utiliser mon téléphone personnel à des fins professionnelles (dans ou en dehors des heures de travail, globalement et absolument) ? J’imagine que non mais je voudrais une confirmation si possible référencée...
      Pour ce cas de figure un peu particulier, je dois vous expliquer la raison inavouée de ce supérieur (n+1), qui est qu’il désire surveiller TOUT rapport hiérarchique/demande d’arbitrage etc... soumis au n+2. Cette consigne neutralise alors toute escalade des plaintes, puisque l’utilisation du seul téléphone professionnel oblige à passer par le bureau du n+1 en question ou celui de son assistante (qui sont les seuls à comporter un téléphone), vous imaginez pour quelles raisons.

      Je vous remercie d’avance pour vos réponses, car la situation est intenable dans mon administration.

      JS

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27843 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs