Le contrôle, inhérent à la relation de travail.
Il est entendu que le salariat (qui suppose un contrat de travail, écrit ou non, et un lien de subordination) induit le contrôle des tâches réalisées en échange d’une rémunération. Il s’agit du pouvoir de direction de l’employeur.
Cependant, cette surveillante ne doit pas être constante et rester proportionnée au but recherché C’est ainsi l’article L1121-1 du Code du travail qui précise que
« nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ».
Par ailleurs, l’article L1222-4 du Code du travail dispose qu’
« aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».
C’est la CNIL (Commission Nationale Informatique et Libertés) qui est chargée de veiller à la protection des données personnelles et peut condamner l’employeur en cas de surveillance abusive et disproportionnée.
Son rapport annuel 2021, relève d’ailleurs que certains dispositifs de contrôle des salariés travaillant à distance sont excessifs. Selon le rapport 2023, ce sont ainsi plus de 1 000 plaintes concernant la mise en œuvre de dispositifs de vidéoprotection ou vidéosurveillance sans une information correcte des personnes ou respect de leur vie privée, qui ont été reçues.
Cette situation, correspond à l’essor du travail hybride et aux usages de technologies pouvant être assimilées à des technologies de contrôle (géolocalisation, logiciels de travail collaboratif, outils de visioconférences avec usage des webcams).
Ainsi, le travail à distance questionne la conciliation entre respect à l’intimité et la vie privée et contrôle des tâches effectuées dans le cadre de la relation d’emploi.
Une jurisprudence évolutive.
Ainsi, concernant l’activation des caméras en visioconférences, la CNIL indiquait sur son site dès mars 2020 (1ᵉʳ confinement), sur son site :
« Lorsqu’il n’est pas possible ou souhaitable de recourir à un dispositif de floutage, l’employeur ne peut pas imposer systématiquement l’activation de leur caméra aux salariés en télétravail qui participent à des visioconférences. Son activation doit donc en principe être laissée à l’appréciation des salariés dans la mesure où, dans la plupart des cas, une participation via le micro est suffisante ».
En situation de travail hybride, les ordinateurs portables sont équipés de webcams. Ces systèmes peuvent permettre aux employeurs de visionner, d’enregistrer, et, le cas échéant, d’archiver les images (en respectant certaines règles) quel que soit le lieu d’exécution du travail.
C’est l’emblématique arrêt Nikon [1] qui avait ouvert un débat, sans y apporter de solution, sur la nécessaire conciliation entre la vie personnelle du salarié et le contrôle de l’employeur sur sa vie professionnelle concernant le secret des correspondances. L’arrêt avait statué sur le droit, du salarié même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée. En France, c’est l’article 9 du Code civil qui garantit ce droit.
Selon une jurisprudence relativement constante (Exprimée en premier lieu dans l’arrêt « Néocel », avec la décision de rejeter les preuves clandestines [2].), avec un arrêt du 23 juin 2021 [3], la haute cour considère que le salarié étant soumis à une surveillance constante, les enregistrements issus de ce dispositif étaient attentatoires à la vie personnelle du salarié et disproportionnés au but de sécurité des personnes et des biens. Ils n’étaient donc pas opposables au salarié.
De même, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence [4] a statué en faveur du salarié car le système de vidéosurveillance avait été mis en œuvre dans l’entreprise préalablement à l’information-consultation du comité d’entreprise (désormais CSE) et n’avait pas fait l’objet d’une déclaration à la CNIL. À défaut d’avoir été préalablement portés à la connaissance du salarié, les moyens de preuve tirés des enregistrements ne sauraient normalement lui être opposés.
Ceci confortait la règle selon laquelle, avant toute mise en place d’un dispositif de surveillance, l’information était nécessaire à la licéité du moyen de preuve.
Revirement de jurisprudence.
La Cour de cassation, dont la jurisprudence vise à une meilleure conciliation du respect des libertés individuelles du salarié et les exigences inhérentes à toute relation de travail, vient cependant de rendre plusieurs arrêts remarqués concernant la surveillance au travail qui ne manquent pas d’inquiéter.
Ainsi, un important revirement de jurisprudence est opéré par un arrêt de la Cour de cassation en date du 22 décembre 2023 [5] qui invite désormais le juge à évaluer si une preuve même déloyale est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et si l’atteinte à l’équité du procès ou aux droits des parties demeure proportionnée.
Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats (il s’agissait dans cette affaire d’un enregistrement audio clandestin utilisé par un employeur lors d’un entretien avec un salarié à l’issue duquel ce dernier avait été mis à pied).
C’est ensuite l’arrêt n° 22-23.073 du 14 février 2024, qui précise que
« Le licenciement pour faute grave d’une salariée fondée sur le visionnage d’une vidéosurveillance de sécurité est justifié malgré la clandestinité du procédé dès lors que cette preuve est indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnée au but poursuivi ».
Plus récemment, dans l’arrêt La Cour de cassation considère que le contrôle de l’activité d’un salarié par un service interne n’est pas en soi illégal, même sans information préalable [6].
Dans un nouvel arrêt du 22 janvier 2025 [7], la Cour de cassation se prononce à nouveau sur la recevabilité comme preuve des données d’un logiciel de gestion des appels, les salariés n’ayant pas été informés de son utilisation comme outil de surveillance et admet que les données du logiciel servent le licenciement pour faute.
Ce revirement pourrait susciter des débats concernant le contrôle, notamment par les webcams en situation de télétravail.
La question du travail hybride.
L’imbrication des temps (personnels, sociaux, domestiques, de travail) et des espaces (domicile, locaux de l’entreprise, espace de coworking), tout comme la porosité des frontières apparue avec l’hybridation du travail peuvent conduire à une surveillance élargie par l’employeur. En effet, l’usage de nouvelles technologies peut produire une surveillance induite, plus intrusive au temps et au lieu du travail.
Alors qu’il est communément admis que la relation managériale à distance s’articule autour de trois dimensions : autonomie, confiance et contrôle, les usages numériques en constante évolution ont produit, au-delà de la question ou non de l’activation de la webcam, de récents apports jurisprudentiels. Il semblerait que l’on assiste à une succession de décision quant à l’exception de recevabilité des preuves illicites et déloyales qui tend à questionner la surveillance en mode hybride notamment avec un usage accru des webcams à domicile.
Ceci pourrait aboutir à l’apparition de stratégies d’évitement (occultation de la caméra sur l’ordinateur, floutage..) et de contentieux potentiels.
L’usage de l’IA laisse présager d’autres décisions à venir en matière de surveillance au travail.