Historiquement, la Cour de cassation exigeait d’une preuve qu’elle soit licite et loyale pour être recevable. Par exemple est jugé illicite un enregistrement de vidéosurveillance qui n’ a pas l’objet d’une information préalable auprès des salariés [1].
A) Les évolutions aux droits à la preuve.
Les premières évolutions proviennent de la Cour européenne des droits de l’homme qui a établi le principe de l’égalité des armes, qui garantit que toutes les parties au procès disposent des mêmes opportunités pour défendre leurs intérêts [2].
Ce principe est intégré à l’article 6 de la Convention, qui souligne le droit à un procès équitable. L’égalité des armes implique que chaque partie doit être informée des arguments et preuves de l’autre, permettant ainsi une véritable confrontation des positions.
Puis dans plusieurs jurisprudences, la Cour européenne des droits de l’homme a pour la première fois mis en balance le droit à la preuve avec le droit au respect de la vie privée.
À titre d’exemple dans l’arrêt du 13 décembre 2022, n°26969/16, la CEDH a accepté comme moyen de preuve. L’utilisation par l’employeur de données issues d’un système de géolocalisation installé sur un véhicule utilisé par le salarié pour ses déplacements professionnels
En l’espèce, il s’agissait d’un délégué médical portugais qui avait été licencié en raison de données recueillies via un système GPS installé sur son véhicule de fonction. Le salarié avait contesté son licenciement en invoquant l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale. La CEDH a statué que le salarié était conscient de la présence du système de géolocalisation dans son véhicule, ce qui a joué un rôle central dans la décision. Le tribunal a reconnu que même si la collecte et l’utilisation de ces données ont un impact sur la vie privée du salarié, le licenciement était proportionné aux objectifs légitimes de l’employeur, qui souhaitait vérifier l’utilisation appropriée du véhicule. Ainsi, la Cour a jugé que le licenciement était justifié.
B) Une preuve ne peut pas être rejetée automatiquement par son Illicéité.
L’arrêt de l’Assemblée plénière du 22 décembre 2023 (n° pourvoi 20-20.648) a traité la possibilité pour une partie d’obtenir des preuves, y compris des preuves obtenues de manière potentiellement illicite, lorsqu’elles sont essentielles pour garantir le droit à un procès équitable.
En l’espèce, un salarié d’une entreprise qui travaillait depuis son domicile s’est vu être licencié pour faute grave pour avoir refusé de donner le suivi d’activité commerciale. Pour justifier la mauvaise foi du salarié, la direction avait produit un enregistrement audio d’une conversation durant un entretien informel. Cet élément, censé démontrer les agissements fautifs du salarié, présentait toutefois une faille majeure : il avait été capté sans que le principal intéressé n’en soit informé.
Face à cette situation, le conseil des prud’hommes et les magistrats de la Cour d’appel d’Orléans ont tranché en faveur du salarié.
Leur raisonnement s’est appuyé sur le caractère dissimulé de l’enregistrement, le rendant ainsi irrecevable comme moyen de preuve. Cette décision a conduit à qualifier le licenciement de dépourvu de cause réelle et sérieuse. L’employeur a contesté cette décision devant la Cour de cassation qui a établi un nouveau principe important concernant l’admissibilité des preuves déloyales ou illicites en matière civile.
En effet, elle a concilié le droit à la preuve avec les droits du salarié en appliquant le principe de proportionnalité. Elle a jugé que des preuves obtenues de manière illicite, comme les données d’enregistrement sans le consentement de l’intéressé, pouvaient être admises si elles étaient essentielles pour la défense de l’employeur et que leur usage respectait un équilibre avec le droit au respect de la vie privée. Elle a également précisé qu’une preuve ne pouvait pas être exclue des débats au seul motif qu’elle est illicite et que le juge doit rechercher si cette atteinte est proportionnée au but poursuivi.
C) Est-ce que le recours à un détective privé est légal ?
En général, lorsqu’un client contacte notre agence de détective privé, c’est qu’il a épuisé toutes les autres possibilités. Ainsi nous vous conseillons au mieux, car en droit il y a parfois des lois et des contradictions jurisprudentielles.
Selon l’article L1222-4 du Code du travail, il est stipulé
« qu’aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à sa connaissance ».
Ce qui signifie que vous devez informer vos salariés dans leur contrat de travail ou le règlement intérieur que vous réservez le droit de les faire surveiller par un détective privé. Cependant, depuis que nous exerçons notre activité, nous n’avons jamais vu de telle clause, car dans la plupart des cas une entreprise ne pense pas à inscrire ces dispositions.
Parallèlement, comme évoqué précédemment, nous avons plusieurs jurisprudences qui tendent à accepter des preuves obtenues de manières d’illicite à la condition qu’elle soit proportionnée au but recherché et qu’il n’existait aucun autre moyen de démontrer les faits préjudiciels à l’employeur.
À titre d’exemple, la jurisprudence suivante met en balance le principe de proportionnalité avec le rapport du détective [3]. En l’espèce, il s’agissait d’un responsable commercial dans une société de plomberie en arrêt maladie depuis 2 ans qui s’est vu être licencié pour avoir dénigré son entreprise et travailler de manière dissimulée dans un domaine concurrentiel. Le salarié a donc contesté son licenciement devant le conseil de prud’hommes du Mans. Pour étayer les faits fautifs du salarié, l’employeur a produit des attestations ainsi que des rapports d’enquête d’un détective privé ayant recours à des surveillances effectuées grâce à des filatures ainsi. Le conseil de prud’hommes a accepté le rapport du détective privé et donc débouté le salarié de sa demande.
Cette décision a été contestée devant la cour d’appel qui a de nouveau donné raison à l’employeur, mais qui a écarté des débats les rapports de l’agent de recherches privées au motif que ce moyen de preuve est illicite et qu’il n’est pas mis en évidence que l’employeur ne pouvait pas atteindre un résultat identique en utilisant d’autres moyens. Ainsi, en l’espèce, l’employeur a utilisé d’autres preuves plus respectueuses de la vie privée comme des attestations et un constat d’huissier. Dès lors la cour d’appel a considéré que ces derniers moyens de preuves étaient suffisants pour démontrer le préjudice subi et qu’il n’était pas nécessaire de recourir à un détective privé.
Ce qu’il faut retenir, c’est que malgré le principe de l’illégalité du recours à un détective privé sans information préalable du salarié, celui-ci peut être admis en justice lorsqu’il constitue l’unique moyen de preuve disponible et que la surveillance est proportionnée à l’objectif poursuivi.
Discussion en cours :
La lecture de votre article démontre surtout qu’au civil ce n’est pas légal.
Faire suivre son salarié permettra à l’employeur de confirmer ou pas ces doutes et potentiellement d’intimider son salarié pour le licencier, mais se servir de ces éléments devant un tribunal est risqué surtout si l’arrêt maladie peut être relié à un harcèlement de l’employeur.
Prudence.