1. Le principe général posé par la Cour de cassation.
Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché [1].
Pour la Cour de cassation, il résulte de ce texte que, sauf abus, le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
Ainsi, une cour d’appel ne peut pas juger que des publications sur Facebook constituent un abus de la liberté d’expression du salarié, sans rechercher si la configuration privée du compte personnel Facebook ouvert par le salarié sous un pseudonyme, ne conférait pas aux publications diffusées sur ce compte et aux commentaires qu’il avait publiés sous pseudonyme sur des groupes publics, le caractère d’une conversation de nature privée, seules les personnes qu’il avait agréées ayant pu accéder aux publications diffusées sur son compte et l’identifier sous le pseudonyme avec lequel il commentait ou « aimait » les publications diffusées sur des comptes ouverts au public [2].
Le caractère privé ou public des propos tenus sur les réseaux sociaux constitue donc le critère permettant de déterminer si la publicité de ces propos autorise l’employeur à les utiliser contre le salarié.
2. L’application au réseau LinkedIn.
Les juridictions du fond livrent des analyses intéressantes sur les possibilités, pour l’employeur, de se prévaloir des messages que le salarié poste sur LinkedIn.
2.1. Caractère public ou privé des posts.
Dans un arrêt du 31 mai 2024 [3], la Cour d’appel de Douai a jugé que la publication d’un message sur le réseau social LinkedIn, par un salarié, ne relève pas de la protection essentielle de la vie privée, peu important qu’il ait été publié pendant une période de congés.
Comme le relèvent les juges :
- Le réseau social LinkedIn a pour objet de permettre à ses membres d’entretenir des relations entre professionnels ;
- Le message, quand bien même il serait réservé aux relations de premier niveau du salarié, était accessible à des membres LinkedIn du monde professionnel et partageable à l’infini.
L’employeur était, par conséquent, en droit de faire état du message litigieux dans le cadre d’une procédure disciplinaire.
Pour les juges, en publiant de tels propos sur un réseau social professionnel, visibles de clients et fournisseurs de la Société, le salarié avait porté atteinte à l’image de cette dernière.
2.2. Portée des posts sur LinkedIn.
Les posts sur LinkedIn présentant un caractère public, l’employeur peut légitimement s’en prévaloir à l’encontre du salarié.
A tire d’illustrations :
- La publication sur LinkedIn, par un salarié, d’images (moteurs d’avion) issues de documents internes à l’entreprise, peut justifier son licenciement disciplinaire pour violation du secret professionnel et de l’obligation de confidentialité [4] ;
- Un message sur LinkedIn dénigrant le travail d’une collègue au sein de l’entreprise et remettant en cause la pertinence des actions menées par l’employeur sur un réseau social professionnel public se rattachent à sa vie professionnelle et constituent un manquement du salarié à son obligation de loyauté [5] ;
- Dans un arrêt du 11 janvier 2023, la Cour d’appel de Reims [6] a condamné un salarié à verser 1 500 euros de dommages-intérêts à son ancien employeur, en réparation du préjudice causé par un post dénigrant sur LinkedIn : « La plus grande arnaque. Un seul outillage payé par tous les clients et à chaque fabrication », « Juste un semblant d’entreprise dirigée par un blaireau qui a fait soi-disant de grandes écoles », « Je me marre. Cela leur coûte 30 euros et il vous le font payer à 300. Clients fuyez, fournisseurs fuyez. Acheter à l’étranger avec des compositions chimiques un peu douteuses, mais par contre vendu au prix fort ».
3.3. Preuve ou non de l’activité professionnelle ?
LinkedIn est un réseau professionnel sur lequel les salariés peuvent afficher leur poste actuel ou celui qu’ils espèrent pouvoir occuper.
Dans quelles conditions l’employeur peut-il invoquer le poste affiché sur LinkedIn par un salarié ou un ancien salarié ?
Certaines cours d’appel ont statué sur le sujet :
- De simples mentions sur un profil LinkedIn ne suffisent pas à rapporter la preuve d’une activité professionnelle parallèle du salarié pendant l’exécution du contrat de travail, en l’absence d’autres éléments probants [7] ;
- Doit être annulé l’avis d’inaptitude délivré par le médecin du travail à une salariée ayant fait de son état de santé une utilisation de pure convenance. La salariée s’était présentée sur le réseau social LinkedIn comme étant à la recherche d’un emploi, et le refus de mutation qui lui avait été opposé par son employeur était justifié par des contraintes opérationnelles de fonctionnement [8] ;
- La copie de la page LinkedIn d’un salarié, non corroborée par des éléments objectifs et précis permettant de démontrer que celui-ci a bien travaillé pour une entreprise concurrente à l’issue de la relation de travail, est insuffisante pour établir le non-respect l’intéressé d’une clause de non-concurrence [9] ;
- Justifie d’un motif légitime permettant de solliciter des mesures d’instruction la société qui, en vue d’une action en concurrence déloyale, rapporte que l’un des commerciaux démissionnaires a mentionné sur son profil LinkedIn sa qualité d’employé de la société concurrente, ce qui est confirmé par la liste du personnel communiquée par cette dernière aux huissiers de justice, que d’autres ont indiqué sur LinkedIn ou leur CV être commerciaux au sein de la même société [10].