1. Principe de la liberté d’expression.
La liberté d’expression est une liberté publique fondamentale consacrée par les articles 10 et 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 et 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Elle s’exerce dans et hors l’entreprise et permet au salarié de s’exprimer librement sous réserve toutefois de respecter ses obligations de discrétion et de loyauté.
Elle autorise les salariés à tenir des propos au sujet de leurs conditions de travail, de l’organisation et du fonctionnement de l’entreprise à condition de ne pas commettre d’abus.
Sauf en cas d’abus, l’exercice par un salarié de sa liberté d’expression ne peut donc pas être sanctionné par l’employeur.
La liberté d’expression se distingue du droit d’expression reconnu depuis la loi 86-1 du 3 janvier 1986, lequel donne aux salariés la faculté de s’exprimer directement sur le travail qu’ils effectuent, et de proposer les améliorations qui pourraient en transformer les conditions d’exercice. Ce droit s’exerce de manière collective et directe, sur les lieux et pendant le temps de travail.
2. Restrictions à la liberté d’expression par l’employeur.
En application de l’article L 1121-1 du Code du travail l’employeur ne peut apporter de restrictions à la liberté d’expression que si elles sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché.
A titre d’exemple, l’employeur pourra insérer une clause restrictive de la liberté d’expression dans le contrat de travail d’un médecin salarié soumis au secret professionnel.
3. Respect de la vie privée du salarié par l’employeur.
L’employeur est également tenu de respecter la vie privée du salarié.
Or, les réseaux sociaux sont bien souvent utilisés en dehors du temps et du lieu de travail. En outre, sous certaines conditions le salarié bénéfice d’une protection de la vie privée y compris au sein de l’entreprise.
Les faits ou agissements de la vie privée du salarié ne peuvent pas en principe être utilisés par l’employeur pour justifier un licenciement.
La question du contrôle par l’employeur des propos tenus par les salariés sur les réseaux sociaux est donc particulièrement complexe, dès lors qu’elle met en jeu à la fois la liberté d’expression mais également le respect de la vie privée.
Elle est en outre intimement liée à la loyauté et à la licéité de la preuve des faits reprochés au salarié.
4. Comment caractériser l’abus de droit à la liberté d’expression ?
La liberté d’expression autorise le salarié à émettre des critiques vis-à-vis de son employeur, mais pas à le dénigrer.
Il ressort de la Jurisprudence que l’abus de la liberté d’expression est caractérisé par la tenue de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs à l’encontre de l’entreprise, de ses dirigeants ou encore, de ses collègues de travail [1].
Le salarié est également tenu de respecter son obligation de discrétion, consistant notamment à l’obligation de ne pas divulguer des informations confidentielles relatives à l’entreprise.
Pour apprécier si la liberté d’expression a ou non été outrepassée, les Juges prennent en compte le contexte dans lequel les propos ont été tenus ainsi que de la qualité du salarié et de ses fonctions dans l’entreprise [2].
Ainsi, une simple imprudence dans la tenue, même publique, de propos ne suffit à elle seule à caractériser de la part du salarié un abus de la liberté d’expression dont il jouit [3].
La règle globale est que les propos tenus par le salarié sur l’entreprise en-dehors du temps de travail et depuis un ordinateur ou un téléphone personnel ont un caractère privé.
En revanche, lorsque les propos sont tenus en public, l’employeur peut entamer une procédure disciplinaire s’il est établi que le salarié a abusé de sa liberté d’expression.
5. Les réseaux sociaux sont-ils un espace public ou privé ?
Selon que le réseau social est considéré comme étant un espace public ou privé, les propos échangés ou tenus par le salarié ont un caractère public ou privé.
Toutefois, la frontière entre sphère privée et sphère publique n’est pas clairement tranchée.
Un examen de la Jurisprudence révèle que les réseaux sociaux peuvent en fonction des paramétrages possibles et de leurs configurations, constituer soit un espace privé, soit un espace public.
Ainsi par exemple, il a été jugé que des propos échangés au sein d’un groupe Facebook fermé intitulé « extermination des directrices chieuses » accessible uniquement à des personnes agrées et peu nombreuses (groupe de 14 membres), relevait d’une conversation de nature privée ne justifiant pas un licenciement pour faute grave [4].
Il en ressort que la seule existence de propos injurieux sur un réseau social ne suffit pas à justifier le licenciement d’un salarié.
Vraisemblablement, la position de la Haute Juridiction aurait été différente si les propos litigieux avaient été diffusés sur un post public accessible sans restriction d’accès ou sur un post privé accessible à un grand nombre de personnes.
Le fait pour un salarié de s’interroger, dans le cadre d’une situation de conflit sur le licenciement de l’un de ses collègues, par la voie d’un site internet revêtant un caractère quasiment confidentiel, sans que les propos incriminés soient injurieux ou vexatoires, n’excède pas les limites de la liberté d’expression [5].
Les Juges ont pu retenir à l’inverse que constituent un abus de la liberté d’expression du salarié justifiant un licenciement pour faute grave :
le fait de publier des propos injurieux ou outrageants à l’égard de la hiérarchie sur une page Facebook permettant d’identifier l’employeur justifiait un licenciement pour faute grave [6].
le fait d’afficher à la vue de tous sur l’écran de l’entreprise, des propos injurieux à l’égard de ses collègues et de son employeurs, tenus sur la messagerie privée de son compte Facebook. Le fait d’avoir laissé la messagerie privée ouverte à la vue des personnes présentes dans les locaux avait fait perdre leur caractère privé [7].
La Cour d’appel de Besançon a considéré que le « mur » Facebook est présumé public au motif que « le réseau Facebook a pour objectif affiché de créer entre ses différents membres un maillage relationnel destiné à s’accroitre de façon exponentielle par application du principe ‘’les contacts de mes contacts deviennent mes contacts’’ » [8].
Au cas d’espèce, le salarié avait inscrit sur le mur Facebook de son ancien directeur de magasin tout juste licencié, des propos insultants relatifs à son employeur. La Cour a considéré le licenciement pour cause réelle et sérieuse justifié.
Dans un arrêt du 9 février 2010 (n° 08-45.253), la Cour de cassation a considéré que l’inscription d’un site sur la liste des "favoris" de l’ordinateur ne lui confère aucun caractère personnel », de telle sorte que l’employeur peut toujours rechercher les connexions établies par le salarié, hors sa présence.
L’évolution jurisprudentielle bien que fluctuante, semble révéler une fragilisation du caractère « privé » des propos pouvant être tenus sur les réseaux sociaux, permettant ainsi à l’employeur d’user plus aisément de son pouvoir disciplinaire.
Au vu de ce qui précède, dès lors que le site internet ou le blog est en accès libre, l’employeur peut donc contrôler les propos qui y sont tenus par les salariés. Ceux-ci pouvant alors justifier une sanction disciplinaire s’ils caractérisent un abus par le salarié de sa liberté d’expression.
6. Usage abusif de la liberté d’expression : quelles sanctions ?
L’abus par le salarié de sa liberté d’expression est passible de sanction disciplinaire. Il peut notamment constituer une mise à pied disciplinaire, une cause réelle et sérieuse de licenciement, voire selon les faits une faute grave.
L’employeur qui entame une procédure disciplinaire doit alors respecter les règles correspondantes (prescription de faits, formalisme, etc).
L’employeur peut également solliciter la condamnation du salarié pour injures publiques dès lors que les conditions prévues par en la matière par la loi sont remplies.
7. L’utilisation des réseaux sociaux au travail : quelles limites ?
La surveillance et le contrôle des salariés sur le lieu et pendant le temps de travail ainsi que la possibilité de sanctionner des comportements considérés comme fautifs relèvent du pouvoir de direction de l’employeur.
S’il n’existe aucun cadre légal spécifique aux nouveaux médias, l’employeur peut mettre en place des mesures visant à contrôler l’activité des salariés sous réserve de respecter les obligations en la matière (consultation préalable des institutions représentatives du personnel et le cas échéant, déclaration de conformité à la CNIL notamment en cas de mise en place de logiciel de surveillance).
Le règlement intérieur ou/et la charte informatique peuvent ainsi limiter l’usage par le salarié du matériel mis à sa disposition pour l’exécution de son travail ainsi que limiter et surveiller les connexions internet à des fins privées.
Ces mesures peuvent notamment avoir pour objet de vérifier :
L’absence d’utilisation abusive du matériel de l’entreprise à des fins privées (téléphone, ordinateur, connexion internet etc),
L’absence de mise en jeu de la sécurité des réseaux de l’entreprise lesquels peuvent subir des attaques,
L’exécution effective par le salarié de son travail : absence d’atteinte à la productivité
Ce pouvoir de contrôle doit cependant être concilié avec le droit au respect de l’intimité de la vie privée des salariés y compris pendant le temps et sur le lieu de travail.
L’employeur doit en effet tolérer un usage modéré et raisonnable de l’utilisation à des fins privées par exemple de l’ordinateur ou du téléphone.
En outre, l’employeur doit respecter le secret des correspondances identifiées comme privées.
A titre d’exemple, l’employeur n’est pas autorisé à consulter le compte Facebook du salarié, même via un mobile professionnel [9].
L’employeur peut toujours et même en l’absence de cadre spécifique, sanctionner l’utilisation abusive des réseaux sociaux par un salarié durant son temps de travail au titre de son pouvoir de direction et de sanction.
A titre d’exemple, 41 heures de connexion à des fins non professionnelles sur internet en 1 mois, justifie un licenciement pour faute grave du salarié [10].
Selon la Jurisprudence, les connexions internet depuis le poste de travail du salarié appartenant à l’entreprise sont présumées avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur peut en rechercher l’historique hors sa présence [11].
Il est recommandé aux entreprises d’instaurer une charte informatique et d’encadrer l’usage des réseaux sociaux en entreprise.
8. Du bon usage des réseaux sociaux par les salariés.
Sur son site, la CNIL délivre des conseils aux utilisateurs des réseaux sociaux : création de différentes listes pour répartir ses contacts (famille, amis, collègues etc), et adapter les paramètres de confidentialité.
Discussions en cours :
Est-ce que l’employeur peut exiger que des employés alimentent le réseaux sociaux de l’entreprise pour laquelle il travaille ?
Bonjour,
Merci pour votre article, néanmoins vous n’y évoquez pas les droits de l’employeur ou du salarié en cas d’utilisation professionnelle d’un réseau social.
Par exemple, mon employeur me demande de mettre à jour mon profil Linkedin avec une photo et l’appartenance à l’entreprise et de l’utiliser à des fins de communication professionnelle. Mon profil Linkedind ne m’appartient-il pas pleinement ? Ai-je le droit de refuser et quel article de loi invoquer ?
Merci
mon employeur me demande de mettre à jour mon profil Linkedin avec une bannière de l’entreprise, ainsi pour créer une ’cohésion de communication’. Je précise que c’est moi qui paie mon compte et j’estime de plus que c’est Mon profil professionnel et pas un profil uniquement de cette entreprise. qu’en pensez-vous ?
Merci merci de ce texte j’en avais grandement besoins, pour espionnage et surmenage de mon employeur et de mon ex rh en relèvent des informations à mon égard sur les réseaux et mon font part de ses information pour le recarder au travail. Hors voilà cela relève de la vie personnelle.