Cadre dirigeant : il doit disposer d’une autonomie décisionnelle.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Elise de Langlard, Juriste.

Dans son arrêt du 5 mars 2025 (n° 23-23.340), la chambre sociale de la Cour de cassation a procédé à une cassation partielle de la décision rendue par la Cour d’appel de Versailles, en ce qui concerne la reconnaissance du statut de cadre dirigeant d’un salarié.

En l’espèce, la Haute juridiction rappelle que la simple mention de ce statut dans un contrat de travail ou dans l’organigramme de l’entreprise ne suffit pas à le caractériser. En outre, elle réaffirme que l’autonomie décisionnelle effective, ainsi que la participation à la direction de l’entreprise, constituent des critères essentiels et déterminants dans cette reconnaissance.

Ainsi, cette décision illustre la rigueur avec laquelle la cour encadre l’application du régime des cadres dirigeants, en particulier concernant le paiement des heures supplémentaires, soulignant l’importance de respecter ces critères dans la qualification du statut.

-

I. Les faits.

Embauché par la société Eurotrainer, filiale du groupe Ermewa, en tant que responsable de maintenance le 15 octobre 2007, un salarié a été promu au poste de directeur achats division ferroviaire/BU wagons d’Ermewa Group, avec un statut de cadre IIIC, indice 240, en mai 2016.

Licencié le 4 juillet 2018, il a saisi le conseil de prud’hommes le 26 octobre 2018 afin de contester son licenciement et réclamer le paiement d’heures supplémentaires.

Ce dernier arguait qu’il ne disposait pas d’une autonomie suffisante dans l’exécution de ses missions pour être considéré comme cadre dirigeant, en raison des contraintes imposées par sa hiérarchie.

Le demandeur contestait la qualification de cadre dirigeant qui lui était attribuée, affirmant qu’il ne répondait pas aux critères définis à l’article L3111-2 du Code du travail. Il faisait valoir qu’il était soumis à une forte supervision, que ses initiatives étaient limitées par ses supérieurs et qu’il ne participait pas réellement à la définition des stratégies de l’entreprise. Par conséquent, il réclamait le paiement d’heures supplémentaires et des congés payés afférents.

En revanche, la société Streem Interservices, anciennement Ermewa Interservices, soutenait qu’il occupait un poste clé, impliquant une large autonomie décisionnelle et une rémunération élevée, le qualifiant ainsi de cadre dirigeant au sens de la loi. L’employeur ajoutait que les difficultés rencontrées par le salarié étaient dues à son incapacité à créer des liens de confiance avec ses collaborateurs.

Suivant ces arguments, la cour d’appel a validé la qualification de cadre dirigeant et a rejeté les demandes du cadre dirigeant supposé. En effet, elle a estimé que les critères permettant de reconnaître un cadre dirigeant étaient bel et bien réunis, notamment la rémunération élevée, l’indépendance dans l’organisation de l’emploi du temps et la participation effective à la direction de l’entreprise.

Par conséquent, le salarié était en droit de bénéficier du statut de cadre dirigeant, malgré ses contestations et les critiques qu’il formulait à l’égard de l’organisation de son travail.

Le salarié s’est pourvu en cassation.

II. Moyens.

Le salarié fait grief à l’arrêt de rejeter ses demandes en paiement à titre de rappel d’heures supplémentaires, de congés payés afférents et de contrepartie obligatoire en repos, alors « que sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ».

Ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l’entreprise.

Il appartient à celui qui se prévaut de la qualité de cadre dirigeant d’en rapporter la preuve ; qu’en l’espèce, le salarié contestait bénéficier d’une autonomie dans l’exercice de ses fonctions de direction des Achats, en faisant valoir qu’il était entravé par son supérieur hiérarchique pour la constitution et la gestion de son équipe, qu’il était évincé des projets impliquant la fonction Achats et relégué à l’exécution de tâches administratives, qu’il n’était pas décisionnaire en matière de stratégie, laquelle relevait exclusivement de ses supérieurs hiérarchiques, de sorte qu’il ne participait pas à la direction de l’entreprise.

III. La solution de la Cour de cassation.

La Cour de cassation a cassé partiellement l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles, estimant que celle-ci n’avait pas suffisamment caractérisé l’autonomie effective du demandeur dans l’exercice de ses fonctions.

En effet, elle rappelle que le statut de cadre dirigeant repose sur trois critères cumulatifs : l’importance des responsabilités impliquant une grande indépendance dans l’organisation du travail, la capacité à prendre des décisions de façon largement autonome, ainsi qu’une rémunération située parmi les plus élevées de l’entreprise.

Or, la cour d’appel n’ayant pas vérifié si le cadre dirigeant supposé en l’espèce disposait réellement de cette autonomie décisionnelle, la Haute juridiction a, par conséquent, censuré l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles.

IV. Analyse de la décision.

Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Cour de cassation visant à restreindre l’application du statut de cadre dirigeant. En effet, elle réaffirme que ce statut ne peut être reconnu sur la seule base des mentions contractuelles ou de l’organigramme de l’entreprise. Ainsi, l’autonomie effective du salarié doit être prouvée, ce qui implique qu’il participe réellement aux décisions stratégiques de l’entreprise.

À cet égard, un arrêt du 4 novembre 2021 (n° 20-18.813) rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation peut être rapproché de notre affaire en ce qu’il nous renseigne sur la question de la qualification de cadre dirigeant en vertu de l’article L3111-2 du Code du travail, qui définit les conditions de travail et les critères à respecter pour être considéré comme tel. Dès lors, pour cela, un salarié doit non seulement disposer d’une autonomie dans son travail, mais aussi participer activement à la définition stratégique de l’entreprise.

En effet, l’article L3111-2 du Code du travail pose plusieurs critères cumulatifs pour reconnaître la qualité de cadre dirigeant : la grande indépendance dans l’organisation du travail, la capacité à prendre des décisions de manière autonome et un salaire parmi les plus élevés dans l’entreprise. Cependant, ces critères ne se limitent pas à l’autonomie dans l’organisation du travail ; il faut également que la personne soit impliquée dans la direction de l’entreprise, notamment en participant à la définition de la politique de l’entreprise, et non seulement en la mettant en œuvre.

Ainsi, dans l’affaire de 2021, la Cour de cassation a relevé que la cour d’appel ne s’était pas suffisamment appuyée sur des éléments précis concernant la participation réelle du prétendu cadre dirigeant à la définition de la politique de l’entreprise. La cour a jugé que, bien que ce dernier disposait d’une grande autonomie dans son travail et d’une rémunération élevée, cela ne suffisait pas à caractériser sa qualité de cadre dirigeant au sens de l’article L3111-2, puisque l’employeur justifiait qu’il devait signaler ses absences et demander l’autorisation de s’absenter, ce qui contredisait l’idée qu’il avait une autonomie totale sur son temps de travail.

Par conséquent, cet arrêt du 5 mars 2025 rappelle aux employeurs l’importance de démontrer concrètement l’autonomie de leurs cadres pour éviter des requalifications en faveur du régime général des salariés et le paiement d’heures supplémentaires.

Cela suppose un examen approfondi des faits concrets du salarié pour déterminer s’il remplit effectivement les critères de la qualité de cadre dirigeant.

Rejoignant la jurisprudence antérieure, la Cour de cassation insiste ainsi sur la nécessité de démontrer que le salarié participe véritablement à la direction de l’entreprise, et non seulement à sa gestion quotidienne.

En effet, la participation à la direction de l’entreprise implique une contribution à la définition de la politique de l’entreprise et non simplement la mise en œuvre de décisions prises par d’autres.

Au total, cette décision renforce la protection des salariés en limitant l’usage abusif du statut de cadre dirigeant et en garantissant une meilleure application des dispositions relatives aux heures supplémentaires.

Sources :

Cass. soc. 5 mars 2025, n° 23-23.340
Cadres dirigeants : panorama de jurisprudence 2018 /2019
Droit des cadres dirigeants : panorama de jurisprudence 2016 /2017 [1].

Frédéric Chhum, Avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
Elise de Langlard, Juriste
Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

4 votes

L'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 230 membres, 27779 articles, 127 233 messages sur les forums, 2 840 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• [Enquête] Où en est-on du télétravail chez les juristes et les avocats ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs