Tribunal de police : d’un droit à une aide juridictionnelle pour les contraventions des 1ère à 4ème classes ?

Par Samy Merlo, Élève-Avocat.

1700 lectures 1re Parution: Modifié: 5  /5

A l’heure actuelle, seuls les prévenus de contraventions de 5ème classe peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle par devant le tribunal de police (Décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, annexe I, tableau 2, colonne IX).
Article mis à jour par l’auteur en novembre 2023.

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Plus précisément, l’on parle ici des prévenus majeurs et non protégés : au contraire, les prévenus mineurs, majeurs protégés, mais encore les parties civiles et les civilement responsables ont, quant à eux et en tout état de cause, droit à cette aide lorsqu’ils y sont éligibles [1].

Mais en sera-t-il encore ainsi l’année prochaine ?

L’année prochaine, oui : c’est précisément le temps qu’il faudra au Conseil constitutionnel pour trancher la question prioritaire de constitutionnalité [2] soulevée en ce sens par l’intéressé, sous réserve de ce qu’en aura jugé la Cour de cassation entre temps [3].

En effet, dans un précédent article, (Covid-19 : le port du masque obligatoire était-il inconstitutionnel durant tout ce temps ?), nous évoquions les péripéties d’un requérant parti malgré lui en croisade judiciaire contre les restrictions covid, en l’espèce l’obligation de port du masque, dont l’omission constituait alors une contravention de 4ème classe.

Traduit devant le Tribunal de police de Marseille, le requérant, majeur et non protégé, [4] se voyait refuser l’accès à un avocat au titre de l’aide juridictionnelle, ce refus étant fondé sur le décret rappelé en introduction.

Pour mémoire, ce décret porte application d’une loi, celle du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

Or, aux termes de l’article 10 de cette loi :

« L’aide juridictionnelle est accordée en matière gracieuse ou contentieuse, en demande ou en défense devant toute juridiction ainsi qu’à l’occasion de la procédure d’audition du mineur prévue par l’article 388-1 du Code civil et de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité prévue par les articles 495-7 et suivants du Code de procédure pénale.

Elle peut être accordée pour tout ou partie de l’instance ainsi qu’en vue de parvenir, avant l’introduction de l’instance, à une transaction ou à un accord conclu dans le cadre d’une procédure participative prévue par le Code civil.

Elle peut être accordée en matière de divorce par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire.

Elle peut également être accordée à l’occasion de l’exécution sur le territoire français, d’une décision de justice ou de tout autre titre exécutoire, y compris s’ils émanent d’un autre Etat membre de l’Union européenne à l’exception du Danemark ».

Bien que ni l’article 10, ni aucun autre article de cette loi, ne prévoient textuellement la possibilité d’exceptions, force est pourtant de constater que le pouvoir réglementaire en a décidé autrement en ayant omis de prévoir une telle aide pour les contraventions des quatre premières classes, ce que n’ont pas contredit, en l’espèce, le Bureau d’aide juridictionnelle, ainsi que le premier président de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.

A leur décharge, il est vrai que l’article 6§3c de la Convention européenne des droits de l’Homme n’oblige ses États-parties à prévoir cette aide que « lorsque les intérêts de la justice l’exigent », ce qui s’apprécie notamment au regard de la gravité de l’infraction et de la peine encourue, tout particulièrement s’agissant d’une peine d’emprisonnement, fût-elle de courte durée [5].

Toutefois, la Cour de Strasbourg précise que ce critère ne consiste pas à rechercher si l’absence d’aide juridictionnelle a « réellement lésé » celui qui y prétendait, mais si « l’hypothèse apparaît plausible en l’occurrence » qu’un avocat serait utile [6].

Or, il s’avère, précisément, que si l’infraction de non-port du masque covid n’était punie, à l’époque, que d’une amende à la première verbalisation, il n’en allait pas de même au bout de quatre verbalisations dans un délai de trente jours : la quatrième infraction devenait, en effet, un délit passible de six mois d’emprisonnement [7].

Dans ces conditions, l’État n’est-il pas tenu de prévoir la possibilité d’une aide juridictionnelle dès la première contravention, dès lors que celle-ci peut potentiellement constituer un élément constitutif d’un futur délit ?

En effet, ce sont donc in fine les droits de la défense d’un prévenu potentiellement amené à comparaître devant un tribunal correctionnel et encourant une peine d’emprisonnement qui sont en jeu : le prévenu ne pourra donc plus contester la matérialité de l’un des éléments constitutifs du délit, à savoir l’état préalable de récidive légale, alors même qu’il aura été privé de la possibilité d’une défense effective en temps utile par devant le tribunal de police.

Et force est de constater que le décret susmentionné n’opère aucune distinction selon qu’on a affaire à une contravention dont la récidive est susceptible, ou non, de constituer un délit (et/ou une contravention de 5ème classe).

Il reste que le Conseil constitutionnel, saisi d’une QPC, ne statue pas au visa de la Convention européenne des droits de l’Homme, mais bien au visa des droits et libertés que la Constitution garantit [8].

Les Sages, et entre-temps la Cour de cassation, devront donc juger s’ils entendent s’aligner, ou non, sur la position de la Cour de Strasbourg, au visa, non de l’article 6 de la Convention, mais par exemple du principe fondamental reconnu par les lois de la République [9] des droits de la défense [10].

Enfin, la QPC (n°23-83.513) est ainsi rédigée :

« Les dispositions de l’article 10, alinéa 1, de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, interprétées à la lumière du décret d’application n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 et de la jurisprudence des Bureaux d’aide juridictionnelle et notamment une ordonnance du Président de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence en date du 8 février 2023, portent-elles atteinte au respect des droits de la défense, tels qu’ils résultent des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (selon décision du Conseil constitutionnel n° 76-70 DC du 2 décembre 1976), au principe d’égalité des armes qui en découle, ainsi qu’au droit d’accès à l’aide juridictionnelle qui s’évince de la combinaison des articles 12, 15 et 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, en ce qu’elles autorisent des exceptions et, à ce titre, dispensent le pouvoir réglementaire de prévoir une aide juridictionnelle au bénéfice des prévenus indigents majeurs non protégés par devant le tribunal de police pour les contraventions de 1ère à 4ème classe, y compris celles dont la récidive constituera une contravention de 5ème classe ou un délit, alors même qu’une telle aide est prévue dans tous les cas à la partie civile, au civilement responsable, au prévenu mineur ou majeur protégé ; que le représentant du Ministère public est lui-même un juriste de profession ; et que le prévenu se voit en tout état de cause privé de son droit à l’assistance d’un défenseur dans le cadre d’un procès pénal qui lui est intenté » ?

Elle est consultable ici.

A suivre.

Mise à jour.

Dans son arrêt QPC en date du 9 août 2023 (n° 23-83.513), la Chambre criminelle a statué en ces termes :

« 11. Sous couvert d’une question relative à l’article 10, alinéa 1er, de la loi du 10 juillet 1991, le développement de celle-ci et le mémoire démontrent que les dispositions contestées résultent du décret d’application n° 2020-1717 du 28 décembre 2020, ayant entraîné le rejet de la demande d’aide juridictionnelle devant le juge du fond au motif des poursuites du chef de contravention de quatrième classe.

12. Ces dispositions ne sont pas de nature législative mais réglementaire.

13. La question prioritaire de constitutionnalité est, dès lors, irrecevable. »

La question de l’existence d’un droit général à une aide juridictionnelle, constitutionnellement garanti par les articles 12, 15 et 16 de la DDHC, reste donc à ce jour en suspens.

Et, pour l’heure, force est de constater que les prévenus, majeurs et non protégés, de contraventions des 1ère à 4ème classes, n’ont toujours pas accès à cette aide, quelles que soient leurs charges et ressources.
Dont acte.

Samy Merlo, Juriste auto-entrepreneur
Mail : samy.merlo.juriste chez laposte.net
Site internet : (voir profil)

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Notes de l'article:

[1Ibidem. Le décret ne précise toutefois pas si la condition de minorité ou de protection s’apprécie au moment des faits ou au moment de la demande … le lecteur ne trouvera pas de réponse à cette question au sein de cet article.

[2Ou « QPC ».

[3Et sauf intervention du législateur ou de l’exécutif durant ce laps de temps.

[4Tant au moment des faits qu’à tout autre moment.

[5Benham contre Royaume-Uni, 10 juin 1991, n°19380/92, §61.

[6Artico contre Italie, 13 mai 1980, n°6694/74, §§34-35.

[7Article L3136-1, alinéa 4, du Code de la santé publique.

[8Article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 ; voir également décision n°74-54 « IVG » 15 janvier 1975.

[9Ou « PFRLR ».

[10Selon décision du Conseil constitutionnel n° 76-70 DC du 2 décembre 1976.

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