Sur le recouvrement à postériori des droits de douane...

Par Jean Pannier, Avocat

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Explorer : # recouvrement des droits de douane # contrôle douanier # droits de la défense # importation

Lorsque des marchandises ont été importées puis dédouanées, parfois plus d’une année après, l’administration des douanes exerce un droit de contrôle à postériori qui lui permet de poursuivre d’éventuelles infractions et d’émettre des avis de mise en recouvrement (AMR) si elle estime que des droits ont été éludés. Ce genre de situation fait l’objet d’un abondant contentieux.

Jean Pannier est Avocat au barreau de Paris.

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Cass. com., 27 oct. 2009, n° de pourvoi : 08-16870 Non publié au bulletin, Sté Pierre X.. et sté Gondrand c. Douanes ;

 
LA COUR (…) Sur le premier et le deuxième moyens, rédigés en termes identiques ou similaires, réunis :
 

Attendu que la société X... et le commissionnaire en douanes font grief à l’arrêt d’avoir rejeté leur demande en annulation des AMR.
 

Mais attendu, en premier lieu, que l’article 345 du code des douanes n’exige pas que l’établissement d’un AMR, qui constitue un titre exécutoire par lequel la créance douanière est constatée, soit subordonné à la constatation préalable de cette créance ;
 

Attendu, en second lieu, qu’il ne ressort ni de l’arrêt ni de leurs conclusions que les sociétés demanderesses aient soutenu devant la cour d’appel que les AMR litigieux seraient nuls au regard des exigences posées à l’article 345, alinéa 3, du code des douanes, dès lors qu’ils ne comporteraient aucune indication sur les éléments de liquidation de la créance invoquée, tels que la nature et le taux des droits applicables ; que le moyen est donc nouveau ; qu’il est mélangé de fait et de droit ;

 
Attendu, en troisième lieu, que, par motifs adoptés, l’arrêt relève que tant les responsables de la société X... que le déclarant en douane de la société Gondrand ont été auditionnés et ont pu faire valoir leurs explications sur les quatre opérations d’importation litigieuses, ainsi que fournir tous documents justificatifs ; qu’il relève encore, toujours par motifs adoptés, que les représentants légaux des sociétés demanderesses ont assisté à la rédaction du procès-verbal de notification d’infraction les concernant et ont pu faire valoir leurs observations ; qu’en l’état de ces constatations abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par la troisième branche, la cour d’appel a statué à bon droit ;
 

D’où il suit que le moyen, irrecevable en sa deuxième branche, n’est pas fondé pour le surplus ;
 

Et sur les troisième et quatrième moyens, rédigés en termes identiques ou similaires, réunis :
 

Attendu que la société X... et le commissionnaire en douanes adressent le même grief à l’arrêt.

 
Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt constate que les opérations d’importation litigieuses n’avaient pas été réalisées pour le compte de la société X..., mais uniquement pour celui de la société Lillier, qui en était le seul et véritable donneur d’ordre, que la cour d’appel en a justement déduit que les certificats d’importations se rapportant à ces opérations avaient été irrégulièrement transmis de la première à la seconde société ;
 

Attendu, en deuxième lieu, que le principe de rétroactivité in mitius étant applicable aux seules poursuites pénales, et non à l’action engagée par l’administration douanière devant le juge civil en vue de recouvrir les droits et taxes éludés, c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que, celle-ci ne faisant que réclamer le paiement de sa créance douanière, de nature civile, née des droits et taxes éludés, il importait peu que l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne ait eu pour conséquence la disparition des infractions pénales relatives à la cession prohibée de certificats d’importation de veaux en provenance de ce pays ;
 

Attendu, en troisième lieu, que c’est à bon droit que la cour d’appel, faisant application de l’article 426-4 du code des douanes national et de l’article 201 du code des douanes communautaire, a retenu que la société X... et le commissionnaire en douanes étaient solidairement redevables de la dette douanière correspondant au montant des droits et taxes éludés ;

 
D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;
 

 
 PAR CES MOTIFS :

 
REJETTE le pourvoi ;

 Condamne les sociétés Pierre X... et Française de transports Gondrand frères et aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à l’Administration des douanes et droits indirects la somme globale de 2 500 euros et rejette leur demande ;

Mme Favre, prés. ; SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Waquet, Farge et Hazan, av.

NOTE :

La chambre commerciale fragilise sensiblement la situation des opérateurs confrontés à une administration toute puissante. La présente décision, curieusement non publiée, intervient dans le contexte très aléatoire des contrôles douaniers à postériori c’est-à-dire effectués souvent plusieurs mois après le dédouanement des marchandises.

La société Pierre X... ayant pour activité le commerce de viande en gros, avait obtenu, le 8 août 2003, de l’office national interprofessionnel des viandes de l’élevage et de l’aviculture (l’OFIVAL), la délivrance de deux certificats d’importation ouvrant droit à l’importation à taux réduit d’un certain nombre de veaux de Pologne ; estimant que cette opération d’importation, intervenue au cours de l’année 2003, avait en réalité été réalisée par la société Y..., ayant pour activité le négoce et le transport d’animaux vivants, et non par la société X..., l’administration des douanes a dressé, à l’encontre de cette dernière et de la société Gondrand frères (commissionnaire en douanes), un procès-verbal de constat d’une infraction douanière qualifiée de manoeuvre ayant pour but ou pour effet d’obtenir un avantage à l’importation, puis a émis à leur encontre deux avis de mise en recouvrement (AMR) ; celles-ci ont alors assigné l’administration douanière en annulation des ces AMR ;

La société X... et le commissionnaire en douanes font grief à l’arrêt d’avoir rejeté leur demande en annulation des AMR :

Le pourvoi soutenait que, selon l’article 345 du code des douanes, seules peuvent faire l’objet d’un AMR les créances préalablement “constatées” par l’administration des douanes, ce qui suppose un ordre de recette notifié au débiteur et qu’un procès-verbal de constat ou de notification d’infraction ne peut constituer un tel ordre de recette ; il affirmait qu’en décidant que les AMR pouvaient être directement notifiés aux redevables, la cour d’appel avait violé les articles 341 et 345 du code des douanes ;
 

En outre, selon l’article 345, alinéa 3, du code des douanes, l’AMR indique le fait générateur de la créance ainsi que sa nature, son montant et les éléments de sa liquidation or, en l’espèce, les AMR litigieux ne comportaient aucune indication sur les éléments de liquidation de la créance invoquée et notamment sur la nature des droits applicables et leur taux ; ainsi, en déclarant réguliers les AMR, les requérants estiment que la cour d’appel a violé l’article 345, alinéa 3.

Il faut rappeler ici que la cour de justice de l’Union européenne évoque régulièrement les exigences du Code des douanes communautaire (CJCE (2ème chambre) 16 juillet 2009 Affaires jointes C‑124/08 et C‑125/08) selon lesquelles l’article 221, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire, doit être interprété en ce sens que la communication par les autorités douanières au débiteur, selon les modalités appropriées, du montant des droits à l’importation ou à l’exportation à payer ne peut être valablement effectuée que si le montant de ces droits a été préalablement pris en compte par lesdites autorités. (Voir également : Paris (1ère chambre B) 19 décembre 2008, Gaz. Pal. 14-16 juin 2009, note J. Pannier)
 

De même, le principe général des droits de la défense impose, même en l’absence de texte, le droit pour toute personne d’être entendue avant qu’une mesure qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; en affirmant que les droits de la défense étaient suffisamment garantis par la possibilité d’exercer un recours à l’encontre des AMR une fois ceux-ci émis et notifiés, énonce le pourvoi, la cour d’appel a violé ce principe. (CJCE (2ème ch.) 18 décembre 2008 Affaire : C- 349/07 Sopropé)

Enfin, soutenait le pourvoi, les droits de la défense et le principe du contradictoire supposent que le redevable à l’encontre duquel l’administration des douanes envisage de délivrer un AMR puisse faire connaître son avis dans un délai donné en ayant eu au préalable connaissance de tous les éléments qui fondent la position de l’administration des douanes ; qu’en retenant que le représentant des exposantes avait pu répondre aux enquêteurs et faire valoir ses observations lors de la notification des procès-verbaux d’infraction, ce qui n’impliquait pas qu’elles aient pu disposer du délai nécessaire, et de tous les éléments du dossier, la cour d’appel a encore violé le principe susvisé ;

Le pourvoi soutenait un troisième et un quatrième moyens, rédigés en termes identiques :

 
Sauf dispositions l’interdisant, un importateur peut confier à un tiers la responsabilité commerciale de l’achat de la marchandise et la responsabilité de la logistique ; or, en l’espèce, il ressort des constatations des juges du fond que les bovins ont été achetés en Pologne par la société X... qui les a ensuite revendus à la société Y... ; il ressort en outre des procès-verbaux de constat visés par l’arrêt attaqué que le prix d’achat a bien été payé par la société X... à l’éleveur polonais ; enfin, il était constant que les bovins avaient été mis en libre pratique au nom de la société X... ; en retenant néanmoins que les bovins avaient été en réalité importés par la société Y... qui les avaient choisis et transportés et que les certificats d’importation avaient été en réalité transmis à la société Y..., la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l’article 1134 du code civil ainsi que les règlements CE n° 1128/1999 du 28 mai 1999 et n° 954/2002 du 4 juin 2002 ;
 

Ill ne peut y avoir cession ou transmission d’un certificat d’importation lorsque le bénéficiaire de ce certificat a acquis la marchandise et l’a mise en libre pratique en son nom et sous couvert du certificat ; en reprochant à la société X... d’avoir transmis irrégulièrement des certificats d’importation, tout en relevant qu’elle avait acquis les marchandises et qu’elle les avaient mises en libre pratique sous couvert des certificats, la cour d’appel a aussi violé l’article 9 du règlement CE n° 954/2002 du 4 juin 2002 ;
 

A la suite de l’adhésion le 1er mai 2004 de la Pologne à l’union européenne, les dispositions communautaires relatives notamment à la libre circulation des marchandises sur le territoire douanière de la communauté économique européenne et celles relatives à l’interdiction de toutes mesures restrictives ou d’effet équivalent sont devenues applicables sur le territoire de la Pologne ; par suite, en application du principe de la rétroactivité in mitius, l’infraction d’importation sans déclaration de marchandises provenant de Pologne ou de cession de certificats d’importation ne pouvait plus être poursuivie ; en se fondant sur la commission d’une infraction douanière, la cour d’appel aurait violé aussi l’article L. 112-1 du code pénal ; (J. Pannier, La rétroactivité in mitius en matière douanière, JCP éd. Entreprise et affaires 2010, 1109)

 
Enfin, selon le pourvoi, aucune disposition ne prévoit que la transmission ou la cession irrégulière de certificats d’importation entraîne pour le bénéficiaire de droits d’importation et pour le commissionnaire en douane, l’obligation de payer des droits de douane correspondant à la réduction de droits de douane attribuée par les certificats ; en outre, l’importation des veaux ayant été faite sous couvert de certificats authentiques et réguliers, comme le relève d’ailleurs l’arrêt attaqué, n’a entraîné aucune violation du contingent accordé par la communauté européenne et donc aucune atteinte à ses intérêts financiers de sorte qu’aucun droit n’a été éludé ; en retenant que l’administration des douanes pouvait réclamer le paiement des droits et taxes éludés, la cour d’appel a violé les dispositions des règlements CE n° 1128/1999 du 26 mai 1999 et n° 954/2002 du 4 juin 2002 ;

Cette affaire ne mettait pas vraiment en jeu un plan de fraude pour échapper à des taxes ou à des restrictions douanières utiles. Il eut été facile alors de liquider ce contentieux jusqu’auboutiste en tirant les conséquences de l’entrée de la Pologne dans l’Union européenne par application de la rétroactivité in mitius comme l’a fait jusqu’à présent la chambre criminelle à propos de l’Espagne (Cass. crim. 9 mars 1993, bull. crim. n° 102 ; Gaz. Pal. 23-24 juin 1993, note d. Bayet ; JCP E. 1993, II. 504, note J.Pannier ) puis de la RDA. (Cass. crim. 2 juin 1993, Bull. crim. n° 198 ; Gaz. Pal. 1994, jur. 28 rapport d. Bayet ; RSC. 1994, 319, obs. B. Bouloc ; RJF. 11/93 n° 1499, note X.).

En présence d’une telle opération, la réaction de l’administration des douanes montre une fois de plus qu’une approche économique de la réalité et des contraintes des opérateurs, en situation de concurrence perpétuelle, ne pourra voir le jour qu’à la faveur d’une réforme en profondeur du code des douanes et d’un vrai coup de rabot des excès douaniers que les juges laissent trop souvent prospérer, comme en l’espèce. Cette situation est comparable au casse-tête du remboursement des droits de douane indument perçus par l’administration. Elle place les opérateurs en situation d’infériorité par rapport à une douane surarmée. (Voir notre étude sur cette question à paraître prochainement au Recueil Dalloz et sur Omnidroit).

Jean PANNIER
jean.pannier chez gmail.com
Docteur en droit
Avocat à la Cour de Paris

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