Le décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile d’application de la loi pour la réforme de la justice publié au journal officiel du 12 décembre 2019 instaure un principe de recours obligatoire aux modes amiables préalable à toute saisine du juge.
Le législateur passe alors de l’incitation des lois du 8 février 1995 et du 18 novembre 2016 à l’obligation par la loi du 23 mars 2019 et du décret du 11 décembre 2019. Le décret impose désormais un préalable de conciliation devant un conciliateur de justice, devant un médiateur ou à la procédure participative [1].
De plus, il prévoit que le justiciable pourra recourir, à son choix à :
- la médiation définie comme un processus « structuré, volontaire et coopératif » de « prévention et de résolution » amiable des différends
- la conciliation, fait le plus souvent intervenir bénévolement le juge lui-même ou un conciliateur de justice en tant que tiers
- la procédure participative assistée par avocats, quant à elle, comporte une phase conventionnelle au cours de laquelle les intéressés cherchent un accord amiable et une phase judiciaire (facultative) au cours de laquelle les parties peuvent demander au juge l’homologation de l’accord intervenu ; Le texte n’envisage par le processus collaboratif, mais n’y fait pour autant pas obstacle. Ce processus, requiert l’intervention d’avocats formés au droit collaboratif.
Le décret étant entré en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2020, il est donc clair que désormais toutes les mises en demeure, assignations et toutes les requêtes devront y satisfaire.
1. Le principe posé : le recours préalable obligatoire aux modes de résolution amiables.
L’article 4 du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile pose le principe selon lequel le demandeur devra justifier, préalablement à toute saisine du juge, d’une tentative de règlement amiable, à peine d’irrecevabilité, que le juge pourra relever d’office. Ce principe ne s’applique qu’aux « instances introduites à compter du 1ᵉʳ janvier 2020 » [2] :
- lorsque la demande en justice tend au paiement d’une somme inférieure ou égale à 5 000 euros, étant précisé que les litiges relatifs au crédit à la consommation et au crédit immobilier sont exclus du domaine d’application de la loi du 23 mars 2019
- lorsqu’elle est relative aux litiges de voisinage, « actions mentionnées aux articles R211-3-4 et R211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire » [3]. La notion de conflit de voisinage qui ne recouvre pas une catégorie définie par la loi doit s’entendre comme recouvrant les conflits relatifs aux fonds dont les parties sont propriétaires ou occupants titrés et qui relevaient jusqu’au 1ᵉʳ janvier 2020 de la compétence du tribunal d’instance.
Remarque : le nouvel article 750-1 du Code de procédure civile renvoie aux actions aux articles R211-3-4 et R211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire : action en bornage, actions relatives à la distance prescrite par la loi, les règlements particuliers et l’usage des lieux pour les plantations ou l’élagage d’arbres ou de haies, les actions relatives aux constructions et travaux mentionnés à l’article 674 du Code civil, les actions relatives au curage des fossés et canaux servant à l’irrigation des propriétés ou au mouvement des usines et des moulins, les contestations relatives à l’établissement et à l’exercice des servitudes instituées par les articles L152-14 et L152-23 du Code rural et de la pêche maritime au visa des articles 640 et 641 du Code civil ainsi qu’aux indemnités dues en raison des servitudes, les contestations relatives aux servitudes établies au profit des associations syndicales prévues par ordonnance n° 2004-632 du 1ᵉʳ juillet 2004 relative aux associations syndicales de propriétaires.
2. Les exceptions au recours préalable obligatoire en cas de motif légitime.
Le principe est assorti d’exceptions, prévues par les dispositions de l’article 750-1 du Code de procédure civile :
1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord
2° Lorsque l’exercice d’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision.
3° Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l’urgence manifeste soit aux circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement soit à l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige.
4° Si le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation.
Ainsi, de nouvelles mentions sont imposées dans les actes introductifs d’instance.
Aux termes de la nouvelle rédaction de l’article 56 du Code de procédure civile, toute assignation et requête qui saisit la juridiction de première instance doit préciser « les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige » sauf justification d’un motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée, à la nécessité de rendre une décision non-contradictoire, à l’indisponibilité des conciliateurs de justice entraînant un délai « manifestement excessif ».
Cette obligation est sanctionnée par l’irrecevabilité de l’acte relevée d’office par le juge s’il n’est pas justifié lors de l’introduction de l’instance des diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige. La sanction de l’irrecevabilité peut être lourde de conséquences : dans une telle hypothèse, l’assignation ne produira aucun effet interruptif de prescription.
On pourra éviter la formalité en invoquant l’urgence manifeste ou un autre motif légitime.
Cette exception envisagée est celle où il existerait un « motif légitime ». C’est probablement cette exception qui donnera lieu au plus grand nombre de difficultés d’interprétation. Cette liste semble bien limitative, mais il appartiendra naturellement à la jurisprudence de le confirmer lorsque la question se posera, étant rappelé que la sanction de l’irrecevabilité pourra être relevée d’office par le juge. La jurisprudence ne manquera pas de préciser ces limites.
Conseil pratique :
Pour les justiciables, il semble plus que jamais nécessaire d’aménager contractuellement, les dispositions prévues par cette réforme, notamment en stipulant des clauses de médiation, procédure participative ou processus collaboratif préalables dans leurs accords particuliers ou dans leurs conditions générales. Il paraît nécessaire d’adapter immédiatement le texte des actes de procédure concernés. S’agissant du texte des assignations, il est conseillé d’insérer au début de la discussion la mention ci-après :
En cas de tentative :
« X a tenté de trouver une solution amiable de son différend. Il a recouru à la conciliation par un conciliateur de justice, à la médiation ou à la procédure participative (au choix).
Cette mesure n’a toutefois pas permis de mettre fin au différend (V. pièce n° :)
L’absence de solution amiable a conduit X à introduire la présente action ».
En cas d’absence de tentative :
- compte tenu de l’urgence manifeste, dont il est justifié, le requérant n’a pas à accomplir de diligences particulières en vue de parvenir à une résolution du litige
- compte tenu de l’impossibilité liée aux circonstances de l’espèce, dont il est justifié, le requérant n’a pas à accomplir de diligences particulières en vue de parvenir à une résolution du litige
- compte tenu de la nécessité de rendre une décision non-contradictoire, dont il est justifié, le requérant n’a pas à accomplir de diligences particulières en vue de parvenir à une résolution du litige
- compte tenu de l’indisponibilité des conciliateurs de justice entraînant un délai « manifestement excessif », dont il est justifié, le requérant n’a pas à accomplir de diligences particulières en vue de parvenir à une résolution du litige.
Notons.
Il faut constater que développements des modes amiables des différents bien qu’à la mode est un cache misère de la pauvreté des moyens de la justice traditionnelle et qu’en outre, il est loin d’être la panacée. D’une part, parce parce qu’on ne fait pas s’entendre des personnes qui ne le souhaitent pas, d’autre part parce qu’il est source lui-même de contentieux !
1- Où l’amiable devient l’objet de contentieux sur la notion récente de « démarches en vue de parvenir à une résolution amiable du litige ».
En se bornant à relever l’absence de justification d’une tentative préalable de conciliation, sans examiner si le demandeur, qui avait mentionné dans sa déclaration au greffe, au titre des démarches entreprises afin de parvenir à une résolution amiable du litige, avoir envoyé un courrier à l’autre partie en vue d’un accord, justifiait de démarche en vue de parvenir à une résolution amiable du litige, le tribunal n’a pas donné de base légale à sa décision.
Tel est la solution donnée par un arrêt de la deuxième chambre civile la Cour de cassation, rendu le 15 avril 2021 [4].
2- Où l’amiable devient l’objet de contentieux sur la notion récente de « fin de non-recevoir titrée du défaut de mise en œuvé d’une clause de conciliation ».
Le défaut de mise en œuvre d’une clause de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir s’imposant au juge lorsque les parties l’invoquent.
Le moyen tiré du défaut de mise en œuvre de la clause litigieuse, qui institue une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, constitue une fin de non-recevoir. Telle est la solution donnée par un arrêt de la troisième chambre civile la Cour de cassation, rendu le 19 mai 2016 [5].
Si l’article 122 du Code de procédure civile énonce un certain nombre de fins de non-recevoir, la Cour de cassation a reconnu qu’il ne s’agissait que d’une liste indicative. Or il est depuis longtemps acquis que les fins de non-recevoir peuvent provenir d’une source conventionnelle [6]. C’est notamment le cas des clauses par lesquelles les parties conviennent d’instaurer un préalable obligatoire à la saisine du juge, en particulier lorsqu’il s’agit d’instituer un règlement amiable d’un litige qui les opposerait en recourant à la conciliation [7].
Ainsi, l’efficacité de la clause de conciliation se trouvait-elle soumise à la réunion de deux conditions : d’une part, que le principe d’un règlement amiable ait été érigé comme préalable obligatoire à la saisine du juge, d’autre part, que les modalités de sa mise en œuvre aient été expressément prévues par les parties au contrat. En ce sens, la Haute juridiction a pu juger que lorsque les parties n’ont pas pris la précaution de définir les conditions de mise en œuvre de la clause de conciliation, la demande introduite en méconnaissance du préalable prévu ne peut donner lieu à une fin de non-recevoir [8].
De cette façon, la cour restreignait sa solution aux seules clauses « assorties de conditions particulières de mise en œuvre ». Partant, la fin de non-recevoir ne s’imposait pas lorsque « les parties au contrat se bornaient à prendre l’engagement de résoudre à l’amiable tout différend par la saisine d’un médiateur sans désigner celui-ci ou préciser, au moins, les modalités de sa désignation » [9]. Elle était également écartée lorsque la clause prévoyait « le recours préalable à un conciliateur (…) de manière elliptique en termes très généraux », ce qui en faisait une simple « clause de style » [10].
Tel est le rappel effectué par un arrêt de la deuxième chambre civile la Cour de cassation, rendu le 12 septembre 2024 [11].
3- Où l’amiable devient l’objet de contentieux sur la notion récente de « la fin de non-recevoir tirée du non-respect de la clause de règlement amiable de la convention Coral » ?
Il était contesté par la société Areas Dommages que la clause d’escalade puisse constituer une clause de conciliation préalable, alors que la convention Coral devait s’analyser en une convention d’arbitrage et que, s’agissant d’une exception de procédure, et non d’une fin de non-recevoir, elle aurait dû être soulevée in limine litis devant le juge de la mise en état.
Par un arrêt en date du 7 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris a considéré que la convention Coral ne pouvait pas être qualifiée de convention d’arbitrage, qui n’est que facultative, pas plus que de convention de conciliation, puisqu’excluant le recours à un tiers non partie à la convention, de sorte que la seule sanction possible était celle de la nullité de l’assignation pour défaut de mention des diligences entreprises pour parvenir à la résolution amiable du litige, en application de l’article 56 du Code de procédure civile, qui n’était pas invoquée par la Matmut.
Par son arrêt rendu le 25 janvier 2024 [12], la Cour de cassation a cassé et annulé cette décision, au motif que « le moyen tiré du défaut de mise en œuvre d’une clause instituant une procédure de tentative de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».
Pour la toute première fois, la Cour de cassation s’est donc prononcée sur la qualification de la clause d’escalade visée à l’article 4 de la convention Coral, en considérant qu’il s’agit d’une clause instituant une procédure de tentative de règlement amiable obligatoire et préalable à la mise en œuvre d’une procédure judiciaire.
La jurisprudence du fond avait déjà eu l’occasion de se prononcer à ce sujet, avec parfois une acception assez extensive de la notion de clause de tentative de conciliation obligatoire et préalable, tout en reconnaissant qu’une fin de non-recevoir pouvait avoir une source conventionnelle.
Dans un arrêt en date du 19 mai 2016 [13], la Cour de cassation a ainsi retenu cette qualification pour une clause au terme de laquelle : « pour tous les litiges pouvant survenir dans l’application du présent contrat, les parties s’engagent à solliciter l’avis d’un arbitre choisi d’un commun accord avant tout recours à une autre juridiction », alors qui plus est que le contrat était dépourvu de toute modalité précise de mise en œuvre, écartant ainsi la notion d’arbitrage.
S’agissant de la convention Coral, la jurisprudence a pu considérer que les parties étaient liées par une clause compromissoire, au regard des dispositions de l’article 1442 alinéa 2 du Code de procédure civile, ce qui constituait une fin de non-recevoir et non une exception de procédure, en ce qu’elle tendait à faire déclarer l’intimé irrecevable en sa demande, sans examen au fond pour défaut du droit d’agir [14].
Encore, la jurisprudence a pu tout simplement constater que la demande était irrecevable faute d’avoir respecté la procédure conventionnelle de tentative de règlement amiable, au visa de l’article 56 du Code de procédure civile [15].
Bien entendu, l’irrecevabilité de l’action ne peut profiter qu’à l’assureur adhérent à la convention et non aux tiers, qui ne peuvent invoquer à leur profit la clause de tentative de règlement amiable prévue par l’article 4 de la convention Coral, ou se la voir opposer, l’article 1 alinéa 5 de la convention indiquant que : « Ses dispositions s’imposent aux assureurs adhérents mais sont inopposables aux victimes assurées ou tiers » [16] :
« Ainsi, quelle que soit la convention applicable en l’espèce, la société Axa est fondée à soulever la fin de non-recevoir de l’action que la SMACL dirige à son encontre, faute de mise en œuvre préalable de la procédure d’escalade dont elle ne pouvait se dispenser au motif qu’elle l’estimait inutile et qui n’était pas rendue impossible par la prétendue indétermination des sommes fondant son recours subrogatoire. L’action de la SMACL est toutefois recevable en ce qu’elle est dirigée contre le X ».
Dans un arrêt en date du 21 septembre 2023 [17], la Cour d’appel de Versailles a très clairement indiqué que s’agissant d’une convention prévoyant notamment une procédure de conciliation préalable obligatoire, sa méconnaissance constituait une fin de non-recevoir qui pouvait être soulevée en tout état de cause, de sorte qu’aucune irrecevabilité ne pouvait être encourue du fait que l’argument n’avait pas été soulevé in limine litis.
La qualification de fin de non-recevoir du moyen tiré du non-respect de la procédure d’escalade prévue par la convention Coral, a également été retenue par la Cour d’appel d’Angers dans un arrêt en date du 6 décembre 2023 [18], échappant à la compétence du Juge de la mise en état avant l’entrée en vigueur de l’article 55 II du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019.
L’arrêt qui a été rendu par la Cour de cassation le 25 janvier 2024 [19] confirme donc, de la façon la plus claire qu’il soit, et avec une rédaction qui se veut générale, que le défaut de mise en œuvre de la clause instituant une procédure de tentative de règlement amiable obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande.
Le hasard faisant bien les choses, au moins deux cours d’appel ont statué dans un sens strictement identique [20].
A toutes fins, il sera rappelé que le défaut de respect d’une clause de conciliation préalable obligatoire constitue une fin de non-recevoir qui n’est pas régularisable, ce que la Cour d’appel de Bordeaux a également reconnu s’agissant de la clause d’escalade de la convention Coral [21].
Tel est le rappel effectué par un arrêt de la troisième chambre civile la Cour de cassation, rendu le 12 septembre 2024 [22].
Références.
Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile
Décret n°2023-357 du 11 mai 2023 relatif à la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile
Décret n°2023-1391 du 29 décembre 2023 (JORF n°0304 du 31 décembre 2023 applicable aux instances d’appel et aux instances consécutives à un renvoi après cassation introduites à compter du 1ᵉʳ septembre 2024)
Article 750-1 du Code de Procédure Civile
Cass. civ. 3ème,19 mai 2016, n°15-14-464
Cass. civ.2ème, 15 avril 2021, F-P, n°20-14.106
Cass. civ. 2ème, 14 avril 2022, n° 20-22886
Cass. 1 ère civ., 1ᵉʳ février 2023, n° 21-25024
Cass. civ. 3ème, 25 janvier 2024, n° 22-22.681
Cass. civ. 2ème, 12 septembre. 2024, n° 21-14.946.
Discussion en cours :
Bonjour Cher Confrère,
Merci beaucoup pour votre éclairage.
Juste une précision : le nouvel article 750-1 du cpc en vigueur depuis le 13 mai 2023 (version issue du Décret n°2023-357 du 11 mai 2023 - art. 1) ne renvoie pas uniquement aux actions visées par les articles R211-3-4 et R211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire (action en bornage, actions relatives à la distance prescrite par la loi, les règlements particuliers et l’usage des lieux pour les plantations ou l’élagage d’arbres ou de haies, les actions relatives aux constructions et travaux mentionnés à l’article 674 du Code civil, etc...), mais aussi aux actions relatives à un "trouble anormal de voisinage".
Bien confraternellement. Jean-Michel LATU