L’appel d’un jugement en matière de compétence de juridiction.

Par Benoit Henry, Avocat.

812 lectures 1re Parution: 5  /5

Explorer : # procédure civile # appel compétence # réforme judiciaire # droit d'accès au tribunal

La deuxième chambre Civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt éclairant en matière d’appel de compétence.
L’arrêt du 12 décembre 2024 (Arrêt n° 1202 F-B - Pourvoi n° Y 22-11.816) innove en indiquant que les juges ne peuvent porter une atteinte excessive au droit à l’exercice d’un recours au seul motif que la copie de l’ordonnance l’autorisant à assigner à jour fixe annexée à l’assignation à jour fixe signifiée aux parties était dépourvue de la signature, sans constater aucune autre différence quant au contenu de cette décision, sa motivation et sa date, la cour d’appel a fait preuve d’un formalisme excessif, portant une atteinte disproportionnée au droit des exposants à l’exercice d’un recours, et violant l’article 6, §1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Seulement, c’est la première fois que cette affirmation est faite de manière aussi directe par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation.
Si comme le disait Talleyrand, ce qui va sans dire va mieux en le disant, on ne peut que se féliciter de cette clarification !

-

Le règlement des incidents de compétence a été profondément réformé par le décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 relatif aux exceptions d’incompétence et à l’appel en matière civile (pris pour l’application de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle), et entré en vigueur le 1ᵉʳ septembre 2017.

Le contredit, supprimé par le décret n° 2017-891, a été remplacé par un appel particulier, dont le champ d’application correspond à peu près à celui du contredit, mais qui est élargi : cet appel particulier doit être interjeté pour contester les jugements qui statuent exclusivement sur la compétence.

L’appel ordinaire, de son côté, permet la critique des jugements qui statuent sur la compétence et le fond.

Quant à la procédure de l’appel particulier, elle consiste soit en un jour fixe imposé lorsque la représentation est obligatoire, soit en une fixation prioritaire lorsque la représentation n’est pas obligatoire. Il ne faisait aucun doute ici que le jour fixe imposé devait être emprunté.

Il appartient à l’appelant de se conformer aux articles 84 et 85, plus exactement à leurs dispositions applicables en procédure avec représentation obligatoire.

I- La spécificité des incidents de compétence.

L’appel à jour fixe en matière de compétence est donc imposé lorsqu’il s’agit de l’appel d’un jugement d’orientation en matière de saisie immobilière ou d’un jugement statuant sur la compétence, dit « appel-compétence ».

Dans les deux cas, est invariablement en cause l’articulation des normes propres à ces jours fixes imposés et des normes générales qui traitent indistinctement de la procédure d’appel à jour fixe.

Nonobstant toute disposition contraire et par application des dispositions des articles 83, 84 et 85 du Code de procédure civile, l’appel dirigé contre la décision de toute juridiction du premier degré se prononçant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, lorsque les parties sont tenues de constituer un avocat, relève de la procédure à jour fixe.

1- Le délai d’appel.

Ainsi, l’appelant doit saisir, dans le délai d’appel et à peine de caducité de la déclaration d’appel, le premier président de la cour d’appel en vue d’être autorisé à assigner l’intimé à jour fixe.

C’est donc à bon droit qu’une cour d’appel, tenue de vérifier la régularité de sa saisine, peut juger irrecevable l’appel ou caduque la déclaration d’appel formée par exemple contre un jugement d’un juge de l’exécution s’étant déclaré incompétent pour connaître d’une demande, dès lors que l’appelant n’avait pas saisi le premier président afin d’être autorisé à assigner à jour fixe.

Le décret de mai 2017 a soumis l’appel des jugements statuant sur la compétence sans se prononcer sur le fond du litige à une procédure spécifique en appel, s’inspirant de la procédure à jour fixe visée aux articles 917 et suivants du Code de procédure civile.

2- L’obligation de motiver la déclaration d’appel.

Autre innovation importante, prévue cette fois sous peine d’irrecevabilité de l’appel, la déclaration d’appel doit être motivée, soit dans la déclaration elle-même, soit dans des conclusions jointes à cette déclaration. La déclaration d’appel doit également préciser qu’elle est dirigée contre un jugement statuant sur la compétence.

3- L’obligation de déposer une requête pour être autorisé à assigner à jour fixe.

Ainsi, l’appel doit être formé dans les quinze jours de la notification du jugement statuant sur la compétence par le greffe et, dans ce même délai, à peine de caducité de la déclaration d’appel, une requête à fin d’assignation à jour fixe doit être soumise au premier président de la cour d’appel.

Les moyens d’appel doivent donc être formulés et la juridiction dont la compétence est envisagée précisée par l’appelant.

En matière d’appel-compétence, l’instruction et le jugement sont donc régis par les textes du Code de procédure civile relatifs à la procédure à jour fixe, à l’exclusion des règles relatives à la formation de l’appel-compétence définies aux seuls articles 83, 84 et 85 du Code de procédure civile.

Par conséquent, en application de l’article 84 du Code de procédure civile, l’appelant à un jugement statuant sur la compétence doit solliciter l’autorisation du premier président d’assigner à jour fixe dans le délai d’appel de quinze jours à compter de la notification du jugement sans qu’importe le délai prévu à l’article 919 du même code.

L’appelant assigne la partie adverse pour le jour fixé.

Une copie de la requête, de l’ordonnance du premier président et un exemplaire de la déclaration d’appel visé par le greffier ou une copie de la déclaration d’appel dans le cas mentionné au troisième alinéa de l’article 919, sont joints à l’assignation.

La cour peut-elle déclarer irrecevable l’appel à jour fixe et refuser d’examiner le recours lorsque l’ordonnance l’autorisant à assigner à jour fixe annexée à l’assignation à jour fixe signifiée aux parties est dépourvue de la signature ?

La Cour d’appel d’Aix-en-Provence a répondu positivement.

Afin que les choses soient claires, la Cour de cassation rappelle à la cour d’appel d’Aix-en-Provence qu’elle a fait preuve d’un formalisme excessif, portant une atteinte disproportionnée au droit des exposants à l’exercice d’un recours, et violant l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

II- L’arrêt de la Cour de cassation rendu le 12 décembre 2024.

1- Les faits et la procédure.

Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 18 novembre 2021), la société JMB Solar (la société) a attrait M. [M] et M. [R], tant en leur qualité personnelle qu’en leur qualité de président et directeur général de la société Upsolar Europe, devant un tribunal de commerce à l’occasion d’un litige relatif à la fourniture de modules photovoltaïques.

Par déclaration du 28 avril 2021, M. [M] a interjeté appel du jugement de ce tribunal ayant rejeté son exception d’incompétence et, sur autorisation donnée par ordonnance du 7 mai 2021 d’une présidente de chambre, sur délégation du premier président de la cour d’appel, il a assigné la société et M. [R] pour le jour fixé.

2. L’examen du moyen.

1°- Par son premier moyen, M. [M] fait grief à l’arrêt de déclarer irrecevable son appel, alors « que les juges ne peuvent porter une atteinte excessive au droit à l’exercice d’un recours ; qu’en considérant que l’appel de M. [M] était irrecevable au seul motif que la copie de l’ordonnance l’autorisant à assigner à jour fixe annexée à l’assignation à jour fixe signifiée aux parties était dépourvue de la signature, sans constater aucune autre différence quant au contenu de cette décision, sa motivation et sa date, la cour d’appel a fait preuve d’un formalisme excessif, portant une atteinte disproportionnée au droit des exposants à l’exercice d’un recours, et violant l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

3. La réponse de la Cour de cassation.

Recevabilité du moyen.

La société TQN Solar conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient que celui-ci est nouveau et mélangé de fait et de droit.
Cependant, le moyen invoque une atteinte à la substance même du droit d’accès au juge et n’appelle la prise en considération d’aucun élément de fait qui ne résulterait pas des constatations de l’arrêt.
Le moyen est, dès lors, recevable.

Bien-fondé du moyen.

Vu les articles 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 85, alinéa 2, et 920, alinéas 1er et 2, du Code de procédure civile : selon le premier de ces textes, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial. Le droit d’accès à un tribunal n’est pas absolu et se prête à des limitations qui ne sauraient cependant restreindre l’accès ouvert à un justiciable d’une manière ou à un point tels que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même.

Il résulte du deuxième que l’appel dirigé contre la décision d’une juridiction de premier degré, statuant sur la compétence sans statuer sur le fond du litige, est instruit et jugé comme en matière de procédure à jour fixe, lorsque les parties sont tenues de constituer avocat et que l’ordonnance du premier président n’a alors pour objet que de fixer le jour auquel l’affaire sera appelée par priorité.

Aux termes du troisième, l’appelant assigne la partie adverse pour le jour fixé. Copies de la requête, de l’ordonnance du premier président, et un exemplaire de la déclaration d’appel visé par le greffier ou une copie de la déclaration d’appel dans le cas mentionné au troisième alinéa de l’article 919, sont joints à l’assignation.

Il en résulte que, saisie d’une fin de non-recevoir soulevée par l’intimé tirée de ce que la copie de l’ordonnance jointe à l’assignation n’est pas signée, la cour d’appel est tenue de vérifier sa concordance par rapport à l’exemplaire de cette ordonnance signée et datée qui doit figurer au dossier de la procédure en vertu de l’article 918 du Code de procédure civile.

C’est seulement à défaut d’intégrité de la copie de l’ordonnance jointe à l’assignation, que la sanction de l’irrecevabilité est encourue et toute autre interprétation relèverait d’un formalisme excessif.

Ainsi, retenant qu’en matière d’appel d’un jugement d’orientation qui doit être formé selon la procédure à jour fixe, il incombe à l’appelant, représenté par un avocat, de joindre à l’assignation à jour fixe une copie intègre de l’ordonnance du premier président, par rapport à l’ordonnance figurant aux pièces de la procédure, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi contre un arrêt ayant vérifié et constaté que les deux copies de l’ordonnance n’étaient pas les mêmes [1].

Pour déclarer irrecevable l’appel de M. [M], l’arrêt retient que la copie de l’ordonnance jointe à l’assignation à jour fixe signifiée le 3 juin 2021 est dépourvue de toute signature, ce qui ne permet pas de vérifier la régularité de la procédure par comparaison avec l’ordonnance signée figurant au dossier de la cour.

En statuant ainsi, en prononçant l’irrecevabilité de l’appel au seul vu de la copie de l’ordonnance non signée, alors qu’elle devait vérifier sa concordance par rapport à l’exemplaire figurant au dossier de la procédure, notamment quant à son contenu et à la mention de la date de l’audience, la cour d’appel, faisant preuve d’un formalisme excessif, a violé les textes susvisés.

Par ces motifs, la cour :

Sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la cour :
Casse et annule, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 18 novembre 2021, entre les parties, par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence.
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée.

Elle rappelle donc, sous le visa des articles précités, que, sauf à priver l’appelant du droit à l’accès à un tribunal consacré par l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, c’est seulement à défaut d’intégrité de la copie de l’ordonnance jointe à l’assignation, que la sanction de l’irrecevabilité est encourue et toute autre interprétation relèverait d’un formalisme excessif.
Tel est le principe.

Notes :

  • Cassation Civ. 2ᵉ du 12 décembre 2024- Pourvoi Y n°22-11.816
  • Décret n° 2023-1393 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile
  • Article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
  • Article 85 du Code de Procédure Civile
  • Article 918 et 919 du Code de Procédure Civile.

Benoit Henry, bhenry chez recamier-avocats.com
Avocat Spécialiste de la Procédure d’Appel
Barreau de Paris
http://www.reseau-recamier.fr/
bhenry chez recamier-avocats.com
Président du Réseau Récamier
Membre de Gemme-Médiation
https://www.facebook.com/ReseauRecamier/

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

5 votes

L'auteur déclare ne pas avoir utilisé l'IA générative pour la rédaction de cet article.

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[12e Civ., 20 mai 2021, pourvoi n° 19-19.259, publié au Bulletin.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27842 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs