La Cour de cassation a donc, ces toutes dernières années, desserré l’étau procédural. Mais elle l’a fait au premier chef parce que la Cour européenne des droits de l’Homme l’y a obligé, au nom du droit à un procès équitable, dans le but de protéger les plaideurs qui voyaient leur élan procédural coupé par un formalisme qualifié par les juges de Strasbourg d’excessif. La première application à la France du principe remonte à l’arrêt Henrioud de 2015 [1] qui avait déjà condamné la France pour excès de formalisme en matière de transmission de pièces. Plus récemment, l’arrêt Xavier Lucas (2022) [2] a sanctionné le recours en annulation d’une sentence arbitrale transmis sur papier, quand le texte exigeait une transmission électronique, alors même que l’interface ne le permettait pas, faute d’onglet adapté. Plus récemment encore (2024), le gouvernement a renoncé à faire juger une requête par la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’hypothèse d’un appel qui avait été privé d’effet dévolutif, pour la seule raison que les chefs de jugement attaqués étaient énumérés, non dans l’acte d’appel lui-même, mais dans une annexe [3]. L’Etat français a donc de lui-même admis le formalisme excessif [4].
La Cour de cassation a bien sûr suivi le mouvement et sanctionné le formalisme excessif, tout en préservant celui qui lui paraissait indispensable. Sa jurisprudence n’est pas d’une lisibilité totale, mais l’on peut suivre un fil directeur, d’ailleurs impulsé par la CEDH elle-même. D’abord, la limitation procédurale doit avoir été prévue par la loi, sauf à priver le plaideur d’un accès effectif au juge. Il faut aussi que la règle soit proportionnée au but visé. La restriction procédurale doit en outre être prévisible. Tout est ainsi question de balance des intérêts en présence : il faut éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les règles de procédure elles-mêmes [5]. Pour le dire autrement, la sécurité juridique et la bonne administration de la justice permettent de distinguer entre formalisme excessif et règles de procédure nécessaires ; tout particulièrement, la formalité ne doit pas avoir été dégagée par les tribunaux dans le but de réduire le contentieux, en désengorgeant les juridictions.
Le formalisme excessif a été principalement « chassé » par la Cour de cassation dans deux directions : concernant l’acte de saisine de la juridiction (I) et s’agissant des conclusions d’appel (II).
I - L’acte de saisine.
D’abord, le formalisme excessif a trouvé des applications en matière de saisine de la juridiction. Ainsi, par un arrêt du 28 novembre 2024 [6], la deuxième chambre civile a rappelé que l’article 2 de l’arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique (CPVE) en matière civile devant la cour d’appel est applicable, non seulement aux procédures devant la cour d’appel, mais également devant son premier président. Cependant, la méconnaissance d’une telle prescription propre aux procédés techniques utilisés en matière de communication électronique, ne saurait avoir pour effet de rendre l’appel irrecevable, une telle conséquence étant disproportionnée au regard du but poursuivi. En conséquence, une requête présentée au premier président, sur support papier, est recevable.
Ensuite, c’est le formalisme de l’acte d’appel qui a le plus mobilisé réglementation et jurisprudence. On se rappellera la « saga » de l’annexe à la déclaration d’appel, née dans un contexte de fin d’appel général et d’une dévolution appréciée pour chaque chef de jugement attaqué. Un arrêt de la deuxième chambre civile, prononcé le 13 janvier 2022 [7], avait suscité un véritable tollé chez les professionnels, car il refusait, sauf empêchement technique dument prouvé, que les chefs du jugement attaqués puissent être énumérés dans une annexe à la déclaration d’appel.
Puis, après nouvelle rédaction (maladroite) de l’article 901 du Code de procédure civile par le pouvoir réglementaire, la deuxième chambre civile est, par avis du 8 juillet 2022 [8], revenue sur cette position, au nom du formalisme excessif ; la solution a ensuite été confirmée, par arrêt du 26 octobre 2023 [9]. L’assouplissement s’est poursuivi, la Cour de cassation indiquant que si la déclaration d’appel ne renvoie pas à l’annexe, l’effet dévolutif opère quand même [10]. Le pouvoir réglementaire a continué sur cette lancée : le décret du 29 décembre 2023 [11], applicable aux déclarations d’appel faites à compter du 1er septembre 2024, a clarifié l’article 901 du Code de procédure civile qui mentionne désormais que la déclaration d’appel peut comporter une annexe. Cependant, l’objet de l’appel (infirmation ou nullité du jugement) doit être indiqué dans l’acte d’appel [12], cette exigence ayant été renforcée par le décret de 2023, sous la seule sanction cependant de nullité pour vice de forme (on se demande donc si la sanction d’absence d’effet dévolutif précédemment posée par la Cour de cassation va perdurer [13]) ; l’on comprend bien là qu’il s’agit d’un minimum et aucunement d’un formalisme excessif. Surtout, le décret de 2023 a créé un nouvel article 915-2 du Code de procédure civile qui permet désormais à l’appelant de compléter ou rectifier les chefs de jugement attaqués visés dans sa déclaration d’appel, ce qui étend aux premières conclusions l’effet dévolutif de l’appel, sans pouvoir néanmoins permettre de régulariser une déclaration d’appel vide, comme ne mentionnant aucun chef de jugement attaqué [14].
Mais cette extension de l’effet dévolutif ne s’applique pas en procédure sans représentation obligatoire, cette restriction étant cependant sans conséquence, puisque aux termes de l’article 933 du Code de procédure civile, si la déclaration d’appel ne vise pas expressément les chefs du jugement attaqué, la cour d’appel est réputée saisie pour le tout [15] la deuxième chambre civile n’ayant jamais voulu - et on le comprend - étendre à la procédure sans représentation obligatoire celle qui s’applique quand il y a ministère d’avocat obligatoire [16].
L’on peut donner d’autres exemples du desserrement de l’étau procédural par la sanction du formalisme excessif : l’irrecevabilité de l’appel n’est pas prononcée, en procédure à jour fixe, si la copie d’ordonnance d’autorisation jointe à l’assignation n’est pas signée par le magistrat, à condition que l’intégrité de la décision soit respectée [17].
Encore, en matière d’enlèvement international d’enfant, fait preuve d’un formalisme excessif une cour d’appel qui prononce la caducité de la déclaration d’appel, au motif que celle-ci n’avait pas été signifiée au procureur général intimé, alors que ce magistrat avait conclu [18]. Un autre exemple du formalisme excessif : la CEDH a condamné [19] la Cour de cassation qui avait déclaré irrecevable un pourvoi, alors que la déclaration de pourvoi comportait en exemple le mauvais jugement, cette erreur ayant été pourtant rectifiée après le délai du dépôt du pourvoi [20].
En revanche, la chambre criminelle, par un arrêt du 7 août 2024 [21], a laissé place au formalisme (qui n’a ainsi pas été jugé excessif), en confirmant l’irrecevabilité d’un appel par la partie civile d’une ordonnance de règlement du juge d’instruction, interjeté par un avocat qui, dénué de pouvoir spécial, n’avait pas été préalablement désigné dans les formes prévues par l’article 115 du Code de procédure pénale (information du choix du conseil donnée à la juridiction d’instruction). La sanction n’est dans cette hypothèse pas disproportionnée car la partie peut interjeter appel elle-même ou donner un pouvoir spécial à son avocat non préalablement désigné. Autre exemple de formalisme qui n’est pas disproportionné : exiger une saisine de la cour de renvoi sur support papier, après cassation en matière d’honoraires d’avocat, n’est pas disproportionné, dès lors qu’il en va de la sécurisation de la communication électronique, non prévue en cette matière dispensée de représentation obligatoire [22].
II - Les conclusions.
L’article 954 du Code de procédure civil prescrit une modélisation des conclusions d’appel. Dans leurs corps, les conclusions doivent comprendre distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l’ensemble des parties récapitule leurs prétentions.
Si la Cour de cassation reste largement intraitable sur le dispositif, relayée en cela par la version la plus récente de l’article 954, elle a assoupli la modélisation du corps des conclusions. Ainsi, comme l’a décidé récemment la deuxième chambre civile, il n’est pas nécessaire que le titre « Discussion » figure formellement dès lors que la discussion se distingue clairement des parties faits et procédure et dispositif des conclusions [23].
Pour la Cour de cassation, la modélisation est utile, mais si le corps des conclusions est clair, cela est suffisant. Dans le même ordre d’idées, toujours au nom du formalisme excessif, la deuxième chambre civile a jugé que le renvoi aux pièces en corps de conclusions, prévu par l’article 954 du Code de procédure civile, n’est assorti d’aucune sanction. En conséquence, la cour d’appel doit examiner les pièces clairement identifiées dans les conclusions, peu important une telle absence de renvoi (ou de numérotation) [24].
La Haute juridiction a également sanctionné des juges du fond qui avaient refusé de connaître de conclusions affectées de simples erreurs matérielles (mention de « plaise au CME » au lieu de la cour [25] ; erreur sur le numéro de rôle de l’affaire [26] ; dispositif de conclusions s’adressant au tribunal de grande instance et non à la cour d’appel [27]).
Bien plus, le défaut de communication des pièces dans le délai imparti aux parties pour conclure n’est désormais plus sanctionné par la caducité de l’appel, mais par le droit commun de la communication de pièces dont certaines peuvent être écartées des débats, lorsqu’elles ont été transmises trop tardivement au regard du principe du contradictoire [28].
En revanche, n’a pas été jugé d’un formalisme excessif, le fait d’exiger que les conclusions soient adressées spécialement, en circuit court, au président de chambre et non indistinctement à la cour d’appel [29]. Une solution qui n’est pas incohérente, si on se rappelle qu’en circuit court, le président de chambre est le chef d’orchestre de la procédure.
Mais là où le formalisme conserve sa place, c’est dans le dispositif des conclusions. Alors que la deuxième chambre civile, dans le dernier état de sa jurisprudence, avait jugé qu’il n’était plus indispensable que les chefs du jugement attaqués soient rappelés [30], le décret du 29 décembre 2023 a renversé cette jurisprudence, la réglementation durcissant cette fois le formalisme, plutôt que les Hauts magistrats. Par ailleurs, de véritables prétentions doivent être énoncées au dispositif (le « Dire et juger » peut désormais en constituer une, la Cour de cassation ayant mis fin à la dérive observée chez certains juges du fond [31]). En conséquence, la cour d’appel doit d’office délaisser les moyens qui figurent seulement au dispositif. Inversement, on peut penser que la cour d’appel n’a pas non plus à examiner les moyens de la discussion qui ne fondent aucune prétention au dispositif [32].
Conclusion.
Tout est question d’équilibre entre les intérêts en présence : droit d’accès au juge et nécessité de la formalité.
Concernant la déclaration d’appel, celle-ci ne peut être vide et elle doit a minima mentionner qu’est demandée l’infirmation ou l’annulation du jugement et spécifier au moins des chefs attaqués, mais pour le reste, le formalisme s’est fortement assoupli.
Et, pour les conclusions, c’est à la rédaction du dispositif qu’il faut veiller strictement, non seulement en termes de prétentions récapitulées, mais aussi de rappel des chefs attaqués du jugement.
Discussion en cours :
Article remarquable de Me Nicolas Boullez. Cet article met à jour la jurisprudence de la Cour de Cassation et permet de comprendre le cheminement de cette dernière à la suite des interventions de grands et illustres avocats aux conseils tels que Me Boullez qui ont fait évoluer dans ce domaine fondamental, la position de la Cour Suprême. Que Me Nicolas Boullez soit remercié pour son professionnalisme et ses compétences. Il honore la compagnie des avocats aux conseils.