Renonciation aux voies de recours contre les sentences arbitrales.

Par Irina Guerif, Avocat.

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Les parties contractantes recourent volontiers à l’arbitrage pour confier la résolution de leurs différends aux arbitres internationaux et déconnecter ainsi le litige des juridictions étatiques.

Plusieurs voies de recours sont ouvertes pour les parties. Cependant, cela revient à solliciter l’intervention du juge étatique du siège de l’arbitrage qui exercera un contrôle plus ou moins étendu selon le recours exercé et selon ce que lui permet la réglementation en matière d’arbitrage. Normalement, les lois d’arbitrage modernes prévoient le recours en annulation et le recours en révision permettant le contrôle de la sentence.

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Dans un certain nombre d’états, dont la France, l’exercice des voies de recours dépend de la qualification interne ou internationale de l’arbitrage. En arbitrage international, les voies de recours sont généralement plus restreintes qu’en arbitrage interne et le peu de recours ouverts ne permettent pas un contrôle étendu de la sentence. Ainsi, le recours naturel contre les sentences internationales est l’annulation qui empêche une révision du fond du litige. Peut également exister le recours en révision qui tend à une potentielle réformation du fond du litige.

Le droit français de l’arbitrage s’est orienté vers la libéralisation de l’arbitrage international et l’élimination ou la diminution du rôle du recours en annulation en arbitrage international. Cela s’explique par une volonté de réduire l’intervention du juge et son emprise sur la sentence.

La possibilité de renoncer à certaines voies de recours est symptomatique de cette tendance. Il s’agit pour les parties de choisir de se priver de certains recours contre la sentence. Cela concerne plus particulièrement le recours en annulation.
Plusieurs questions se posent quant aux modalités de cette renonciation : quand les parties peuvent y renoncer ? Quel intérêt elles pourraient en retirer et quelles sont les conséquences d’une telle option ?

Cette possibilité marque un certain libéralisme qui dépend fortement du principe de confiance aux arbitres et, par extension, de la liberté que les états souhaitent leur accorder. Cette confiance est conditionnée par un certain nombre de facteurs parmi lesquels l’existence d’un système arbitral efficace et performant, où les principes de droit font l’objet d’une sérieuse application par les arbitres. La confiance accordée aux arbitres est un postulat de base dans l’arbitrage. Cette possibilité de renonciation révèle également l’importance accordée à la volonté des parties qui peuvent ainsi modeler et adapter leur justice à leurs besoins.

La renonciation au recours en annulation existe en France, qui a une législation libérale en la matière. Ces arbitrages se trouvent ainsi « délocalisés », et le choix du siège de l’arbitrage perd de son importance du fait que les sentences définitives se trouvent totalement « délocalisées ».

Le cas particulier de la France est intéressant en ce que le droit français de l’arbitrage international est parmi les plus libéraux. En matière de voies de recours, l’appel reste une voie de recours ouverte en arbitrage interne seulement si les parties l’ont expressément prévu (art. 1489 du CPC) et qui est totalement prohibée en arbitrage international (art.1518 du CPC). En droit français de l’arbitrage international, en principe, seuls les recours en annulation, en révision et l’appel contre l’ordonnance exprimant le refus d’exequatur sont ouverts aux parties. Les parties ont également la possibilité de renoncer au recours en annulation.

Cependant, on peut s’interroger sur son utilité et son utilisation. En effet, c’est une possibilité qui est encore très peu utilisée par les parties. N’est-ce pas un signe que le libéralisme a atteint sa limite ou tout simplement n’a-t-on pas atteint un point d’équilibre ?

Afin de répondre à ces questions, il convient de faire un panorama des voies de recours ouvertes en arbitrage international et de leur utilité (I) avant de se concentrer sur la possibilité de renoncer aux voies de recours en arbitrage international et en particulier au recours en annulation (II).

I. Les voies de recours ouvertes aux parties en arbitrage international.

Le recours en annulation est généralement la seule voie de recours ouverte devant le juge étatique, la possibilité de l’utiliser est plus ou moins strictement encadrée selon l’état du siège (B). Cela signifie que les autres voies de recours existantes et qui peuvent être ouvertes en arbitrage interne, sont fermées à l’exception notable du recours en révision (B).

A. La prohibition généralisée des voies de recours a l’exception du recours en révision.

Le nombre restreint de recours pouvant être exercés contre une sentence internationale s’explique par le détachement du siège du tribunal arbitral de l’Etat du siège. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’un tribunal arbitral siège sur le territoire français que le juge français est compétent pour contrôler la sentence rendue par le tribunal sur le fond. Les parties ont choisi le tribunal arbitral pour statuer sur le différend, pas le juge étatique et ce dernier n’a pas de légitimité à rejuger une affaire qui n’intéresse pas ses intérêts nationaux.

1. La prohibition de l’appel.

En droit français de l’arbitrage, on constate donc libéralisme du système avec un détachement du siège du tribunal arbitral, la juridiction étatique n’est pas compétente sur le fond justement parce que ce serait aller contre la volonté des parties qui ont choisi l’arbitrage comme mode de règlement.

Seuls sont ouverts le recours en annulation (voie de recours ordinaire) et le recours en révision (voie de recours extraordinaire).

Avant la réforme du droit français de l’arbitrage de 2011, l’appel de la sentence était la voie de recours normale, la jurisprudence avais admis, nonobstant toute renonciation à l’appel, un appel-nullité, pour sanctionner les atteintes à l’ordre public et aux principes fondamentaux de la procédure. [1]

Désormais, aux termes de l’article 1489 du CPC, la sentence rendue en France n’est pas susceptible d’appel sauf volonté contraire des parties.

En France, le droit de l’arbitrage international ne sanctionne pas les erreurs de droit. On constate en effet la prohibition de l’appel sans que les parties aient la possibilité d’y déroger (art.1518 du CPC). La jurisprudence est très stricte, toute clause de la convention d’arbitrage stipulant le recours à l’appel est réputée non écrite. [2] Le but de l’appel est la réformation de la sentence, le juge étatique statue en fait et en droit mais si les parties ont choisi l’arbitrage, c’est justement pour éviter cette solution, et le juge français serait confrontée à rejuger l’affaire affectant des situations juridiques composées d’éléments d’extranéité. Cependant, cette solution a parfois un désavantage de ne pas prendre en compte la volonté des parties puisque si les parties ont la possibilité de renoncer au recours en annulation, pourquoi ne pourraient-elles pas choisir de recourir à l’appel ? [3].

Seul subsiste le recours en annulation et l’appel contre l’ordonnance d’exequatur, qui répond au même régime que le recours en annulation, dans les cas prévus par l’article 1524, et contre le refus d’exequatur.

En droit interne français, la sentence peut faire l’objet d’un recours en annulation à moins que la voie de l’appel soit ouverte conformément à l’accord des parties, toute stipulation contraire étant réputée non écrite (art. 1491 du CPC).

Les deux recours ne peuvent ainsi être exercés simultanément. Le recours en annulation est ouvert si la sentence n’est pas susceptible d’appel. [4]

Rappelons que les sentences étrangères ne sont pas soumises en France au même régime.

Aux termes de l’article 1525 du CPC, les ordonnances statuant sur une demande d’exequatur de la sentence peuvent faire l’objet d’un appel.

2. Les autres recours.

En droit français d’arbitrage, les sentences arbitrales ne sont pas susceptibles d’opposition ou de pourvoi en cassation (art. 1503 du CPC).

Normalement, le seul recours possible en matière de l’arbitrage interne est le recours en révision, qui est exercé dans la mesure du possible devant le tribunal arbitral saisi du litige, et devant la Cour d’appel qui eût été compétente pour connaître des autres recours contre la sentence si le tribunal arbitral ne peut à nouveau être réuni (art. 1502 du CPC). Cependant, ce recours reste limité en cas de fraude ou de faux en tant qu’une procédure exceptionnelle.

À cet égard, une attention particulière doit être portée à l’ordre dans lesquels les recours doivent être formés.

Le recours en révision est subsidiaire du recours en annulation. Dans une affaire, les juges ont vu « un indice supplémentaire révélateur d’un arbitrage simulé » dans les circonstances de la renonciation au recours en annulation. [5]. Rappelons par ailleurs que dans cette affaire, la cour d’appel a caractérisé une fraude procédurale des parties et du tribunal arbitral qui peut fonder un recours en révision, l’existence d’une fraude à l’arbitrage ayant été confirmée ultérieurement par la Cour de cassation [6].

S’agissant de la tierce opposition, elle est exclue en matière internationale. Cette solution, malgré les critiques de la doctrine qui évoquait « une violation gravissime des droits de la défense », [7] a été réaffirmée avec force par le Cour de cassation pour laquelle il résulte du caractère international de l’arbitrage que la voie de recours de la tierce opposition n’est pas ouverte. [8].

En revanche, la tierce opposition est admise en matière de l’arbitrage interne (article 1501 du CPC). La tierce opposition incidente contre une sentence arbitrale n’est pas prohibée et peut également être recevable [9]. Pour autant, cette ouverture n’est pas absolue puisque la jurisprudence déclare la tierce opposition recevable au seul dispositif de la décision et non contre les motifs [10].

Bien que certains auteurs estiment que la protection des tiers impose une évolution, y compris en matière d’arbitrage international,«  [11] on constate l’option d’exclure la tierce opposition est celle de législation française qui ne fait aucune référence à la tierce opposition.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une voie de recours à proprement parler, le recours en interprétation ou en rectification d’erreurs et omissions matérielles est également possible en droit français. Il doit être porté devant le tribunal arbitral (article 1485 du CPC).

Il en ressort globalement que le recours en annulation est la voie naturelle contre la sentence internationale.

B. Le recours en annulation, voie de recours de droit commun mais conditionnée.

Le recours en annulation contre une sentence arbitrale est couramment admis dans plusieurs systèmes juridiques. Cette procédure, qui ne permet pas un contrôle approfondi de la sentence, constitue une garantie pour les parties du respect de leur volonté et des principes fondamentaux de la procédure et de l’ordre public.

En matière d’arbitrage international, la sentence rendue en France ne peut faire l’objet que d’un recours en annulation (art.1518 du PC). Le droit français de l’arbitrage instaure ainsi une « primauté du recours en annulation sur l’appel », le recours en annulation devenant la voie de recours de droit commun. [12].

L’article 1520 du même code prévoit les cas d’ouverture à annulation qui sont interprétés très strictement de manière à limiter le contrôle effectué par le juge étatique, qui a l’interdiction de réviser la sentence au fond. Cependant, l’article 1522 du CPC permet aux parties à tout moment de renoncer expressément au recours en annulation par convention spéciale.

Il est évidemment impossible de priver les parties de toute voie de recours en matière internationale, et l’article 1522 du CPC autorise les parties, dans le cas où les parties renoncent au recours en annulation, à faire appel de l’ordonnance d’exéquatur pour les mêmes motifs.

L’organisation des voies de recours par les états en arbitrage international permet d’évaluer le degré d’autonomie de l’arbitrage en tant que mode de règlement des conflits. Moins il y a de voies de recours et de possibilités de contester les décisions des arbitres, plus la législation semble favorable à l’arbitrage. Il s’agit de conforter l’autorité de la justice arbitrale et son attractivité auprès des opérateurs du commerce international. Il s’agit également de permettre aux parties de modeler leur procédure.

Cependant le libéralisme n’a-t-elle pas atteint sa limite en pratique ? On peut avoir un système le plus libéral des voix de recours, est-ce pour autant un point d’attractivité significatif compte tenu de l’alignement des de plusieurs droits avec ce modèle de libéralisation ? Une autre approche suppose la suppression du recours en annulation, plus pragmatique, laquelle sera basée sur une totale confiance accordée à l’arbitrage et aux arbitres qui pourrait ainsi orienter les vois de recours vers le tribunal arbitral.

A cette occasion, il serait intéressant de mentionner le réexamen de l’affaire par les arbitres qui n’a pas eu de succès en arbitrage international mais qui est largement répandu dans certains milieux professionnels.

C. Le cas spécifique du second degré arbitral.

En droit français, l’examen du litige au second degré par un deuxième tribunal arbitral a été envisagé par l’ancien article 1445 du CPC qui prévoyait que dans ce cas :

« le tribunal arbitral ne rendra qu’un projet de sentence et ... si ce projet est contesté par l’une des parties, l’affaire sera soumise à un deuxième tribunal arbitral… ».

Dans cette perspective, les arbitres du premier degré rendaient un projet de sentences qui ne pouvait être transformé en sentence définitive, à la demande de l’une des parties, qu’après l’expiration d’un délai pour la contester par un tribunal arbitral du second degré. Les voies de recours pouvaient ainsi être interjetées valablement contre un projet de sentence ainsi transformé en sentence définitive ou contre une sentence définitive rendue par les arbitres du second degré « sans pour autant créer une troisième degré de juridiction » [13].

La Cour de Cassation, saisie de ce problème, a alors donné une interprétation définitive au règlement d’une institution d’arbitrage qui prévoyait ce double degré en jugeant que l’examen successif du litige par deux tribunaux arbitraux :

« ne constitue pas un double degré de juridiction » puisque qu‘un projet de sentence rendu par le premier tribunal arbitral « n’est transformé en sentence que s’il est accepté par les parties » [14].

En effet, la particularité est qu’il ne s’agissait pas d’un réexamen de la décision rendue par le Tribunal Arbitral du premier degré, mais un réexamen du litige.

Si l’arbitrage à deux degrés n’est pas usuel dans l’arbitrage international, il est caractéristique de l’arbitrage dit de « commodities » qui retrouve à son origine des groupements professionnels pour un certain type de commerce, comme par les matières premières agricoles. C’est probablement l’une des raisons pour lesquels le droit français de l’arbitrage issue du Décret n°2001-48 du 13 janvier 2011, sans l’interdire, ne reprend pas cette procédure, répondant à des besoins spécifiques.

II. La possibilité de renoncer aux voies de recours en arbitrage international : la liberté des parties.

Philippe Fouchard, en 1998, avait évoqué l’idée d’abandonner le recours en annulation au profit du seul contrôle de la sentence au stade de l’exequatur. [15]. En 2011, le législateur français a introduit la possibilité de renoncer au recours en annulation, offerte à toutes les parties. La possibilité de renoncer au recours en annulation implique des conséquences plus ou moins importantes (A) qui incitent les juridictions étatiques qui ont ouvert cette possibilité à adopter une position stricte quant aux modalités de renonciation (B).

A. Les modalités de la renonciation.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, en droit français, une partie peut renoncer à l’action lors de la conclusion d’un contrat, antérieurement à la naissance de tout différend. Sous certaines conditions, les parties peuvent renoncer à l’action une fois le différend né. La renonciation à l’action peut être conventionnelle.

La renonciation à un droit ne se présume pas.

Une jurisprudence constante décide que la renonciation à un droit, spécialement à une action en justice, ne peut résulter que d’un comportement non équivoque. Le silence, par exemple, s’il ne s’accompagne pas de circonstances non équivoques, ne saurait valoir renonciation.

En droit de l’arbitrage, cette règle est également appliquée. La Cour de cassation admet ainsi la renonciation à une instance arbitrale lorsqu’elle résulte d’un fait positif (la saisine d’une juridiction étatique) impliquant « une renonciation certaine et non équivoque ». [16]

En matière d’arbitrage, la possibilité de renonciation aux voies de recours résulte de la volonté d’assurer l’efficacité des sentences arbitrales. Lors de la rédaction de la convention d’arbitrage, les parties souhaitent avant tout soustraire leur litige à la juridiction étatique et à la longueur des procédures judiciaires.

Il convient d’abord d’écarter la possibilité de renoncer à la révision en droit français de l’arbitrage international pour se concentrer sur la renonciation au recours en annulation.

1) La renonciation au recours en annulation.

En pratique, l’une des préoccupation des parties sera la renonciation au droit d’annuler la sentence devant les juridictions étatiques pour s’assurer de la confidentialité des éléments du dossier et de la décision et pour renforcer la finalité de la procédure arbitrale en choisissant la procédure plus rapide et donc au final moins couteuse.

En outre, les parties optent pour l’exclusion de tout recours contre une sentence pour minimiser le risque de recours dilatoires. Certains auteurs ont cependant souligné que ce risque, en France, était extrêmement limité puisque le recours en annulation est une procédure rapide et sans effet suspensif [17].

En s’accordant sur la renonciation aux voies de recours, les parties s’assurent également que les juridictions étatiques de la place d’arbitrage ne seront pas impliquées et que le juge ne va pas chercher de façon intrusive les éléments de droit et de fait pour contrôler la décision des arbitres. La renonciation permet de détacher la sentence internationale de l’ordre juridique français, ce qui renforce certainement l’attractivité de la France comme place d’arbitrage [18].

En droit français de l’arbitrage international, l’article 1522 du CPC énonce la possibilité de renoncer au recours en annulation. Cependant, l’article 1522 al. 1er du CPC exige une convention spéciale aux termes de laquelle les parties peuvent à tout moment renoncer expressément au recours en annulation.

Cette renonciation, ouvre, conformément à l’article 1522 al.2 du CPC, la voie d’appel contre l’ordonnance en exéquatur, puisqu’il souhaitable de conserver un « garde-fou » sur la validité de la sentence [19]. Dans l’hypothèse où les parties auraient renoncé à ce recours, elles ont donc la possibilité de faire appel de l’ordonnance d’exequatur pour les même motifs que le recours en annulation (art. 1520 du CPC). Il reste donc un contrôle étatique restreint en droit français.

Les parties peuvent ainsi choisir de limiter leur droit à contester une sentence rendue par le tribunal arbitral. En vertu de l’article 1522 al.1er du CPC, les parties, étrangères ou françaises, ont désormais la possibilité de renoncer « à tout moment » par « convention spéciale » au recours.

2) Efficacité et effets.

L’efficacité d’une telle disposition peut être remise en cause dans la mesure où elle n’est pas utilisée très fréquemment. Il y a un avantage certain au niveau des coûts et de la rapidité de la procédure arbitrale qui ne peut être contestée au siège mais la renonciation n’est pas sans inconvénient pour les parties, qui les privent d’un recours contre une sentence qui pourrait être prise en violation des règles fondamentales de procédure ou des principes d’ordre public.

En outre, l’absence de contrôle de leur sentence pourrait favoriser la prolifération des sentences de qualité moindre, l’intérêt du recours en annulation étant qu’il permet d’effectuer un contrôle minimum de la sentence. Dans l’imaginaire collectif, comme souligne un auteur, les utilisateurs de l’arbitrage considèrent habituellement que les voies de recours ont « un effet rassurant », [20] étant précisé que l’expérience a montré que la suppression du recours en annulation les a fait fuir [21].

Enfin, l’absence d’un tel recours pose également problème pour les sentences irrégulières non annulées dont l’exécution dépendrait de l’appréciation du juge de l’exequatur des états où les parties veulent faire exécuter leur sentence. Néanmoins, c’était là précisément l’idée derrière la disposition en droit français : déplacer le contrôle de la sentence vers le(s) lieu(x) d’exécution. [22] Cela inclut la France et l’étranger, les parties ayant possibilité de faire appel de l’ordonnance d’exequatur rendue en France dans le cas où elles auraient renoncé au recours en annulation.

Cependant, cela soulève des difficultés que certains auteurs n’ont pas manqué de relever. [23] En effet, cela cantonne la partie pour qui la sentence est préjudiciable à un rôle passif : elle est obligée d’attendre que l’autre partie demande l’exequatur afin de la contester. Le débiteur de la sentence ne peut demander l’exequatur pour immédiatement la contester. Cela peut aussi poser des problèmes pour les parties « faibles » qui peuvent se voir imposer une renonciation.

Les parties françaises peuvent être handicapées par une telle renonciation puisque l’exequatur au pays du siège fait l’objet d’un contrôle minimal.

Une autre question s’est également posée quant à la compatibilité de la renonciation avec l’article 6 de la Convention Européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH). Dans un arrêt, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé qu’une telle disposition ne portait pas atteinte au droit d’accès à un tribunal [24].
Renoncer à « the right to appeal » n’est pas contraire à l’article 6 puisqu’il faut une renonciation expresse de toutes les parties, que l’arbitrage et la possibilité de renoncer ne sont pas imposés aux parties par la loi suisse, que cette disposition sur la renonciation répond aux objectifs de la législation suisse.

Cet arrêt concerne la législation suisse, qui ne permet la renonciation qu’aux parties étrangères, mais est-ce que la Cour aurait tranché de la même manière pour la législation française qui autorise les parties françaises à renoncer à un tel recours ?

En droit français, l’idée n’est pas de priver les parties de tout moyen de recours contre une sentence mais plutôt que ce contrôle s’effectue « au lieu où celle-ci a vocation d’être exécutée ». [25]

B. Analyse de jurisprudence.

Plusieurs questions se posent quant à la forme que doit prendre une telle renonciation : par quelle formulation, en quelle langue, dans quels termes doit-elle s’exprimer ? Les juridictions étatiques adoptent-elles une interprétation stricte ou souple ? Il est possible de répondre par une analyse de la jurisprudence, quasi-inexistante, des pays dans lesquels la renonciation est possible.

D’abord, en droit français, la renonciation doit prendre la forme d’une convention spéciale, et les parties peuvent à tout moment renoncer expressément au recours en annulation.

La référence à un règlement d’arbitrage, incorporé à la convention d’arbitrage, qui exclut toute forme de recours est-elle suffisante ?

Il existait une opposition, la doctrine majoritaire considérait qu’une renonciation générale aux voies de recours ne valait pas renonciation au recours en annulation qui doit être expresse et non ambiguë, [26] et d’autres estimaient que c’était suffisant [27].

Cette question a été tranchée par les juges qui ont considéré que l’adhésion à un règlement d’arbitrage prévoyant renonciation à tous les recours auxquels on peut renoncer n’emporte pas renonciation au recours en annulation au sens de l’article 1522 du CPC [28].

En réalité, il faut interpréter la volonté des parties, françaises ou celles qui ont choisi le siège de l’arbitrage à Paris.

La jurisprudence française tend à une interprétation stricte de cette renonciation même si peu d’arrêts font application de l’article 1522. Ainsi, il a été jugé que renoncer à attaquer une sentence « en réformation par voie d’appel, de pourvoi en cassation, de requête civile ou autrement » ne valait pas renonciation au recours en annulation [29].

Quant à la forme de cette renonciation, la Cour d’appel de Paris a estimé que « la renonciation doit viser expressément le recours en annulation et ne saurait résulter d’une clause générale, surtout si celle-ci laisse ouverte la possibilité de recours dans certains cas graves » [30]. Sont donc exclues les clauses générales de renonciation, notamment celles qui existaient dans les règlements d’arbitrage. De même, l’ordonnance ajoute que la renonciation ne peut être partielle, limitée à certains motifs d’annulation.

Il semblerait donc qu’il faille un acte autonome constatant un consentement clair des deux parties, citant expressément le recours en annulation comme étant exclus, pour que la renonciation soit valable en droit français.

Cette interprétation stricte s’explique par le fait que renoncer au recours en annulation constitue un acte grave qui emporte des conséquences importantes, empêchant un véritable contrôle contre la sentence.

La jurisprudence française apparaît assez stricte mais finalement, l’effet donné à une clause de renonciation dépendra du siège de l’arbitrage et qui peut grandement différer des lois sur l’arbitrage des États des parties.

Conclusion.

La force obligatoire de la sentence arbitrale est un trait principal de la législation sur l’arbitrage et des dispositions des règlements d’arbitrage des principales institutions d’arbitrage.

Au vu de l’absence de jurisprudence relative à la possibilité de renoncer au recours en annulation, force est de constater que celle-ci n’a eu que peu de succès [31].

Cela peut se comprendre d’un point de vue pratique, le principe de réduire les voies de recours contre une sentence arbitrale pourrait faire craindre l’arbitraire. C’est une sécurité pour les parties.

En effet, on peut se poser la question des avantages à renoncer à un tel recours d’autant que les voies de recours en matière d’arbitrage international sont déjà très restreintes et encadrées (délais peu longs, recours en annulation avec effet non suspensif en matière internationale…) pour éviter les procédures dilatoires.

Cependant, la renonciation aux voies de recours marque un certain libéralisme qui dépend du principe de confiance aux arbitres conditionné par l’existence d’un système de l’arbitrage, efficace, performant, garantissant une bonne application des principes de droit. Cette possibilité marque également une confiance du législateur en l’arbitrage comme mode normal de résolution des litiges du commerce international et qui limite l’intervention du juge national dans la procédure arbitrale en encadrant strictement son contrôle.

Cette renonciation relève de l’importance accordée à la volonté des parties qui modèlent leur propre justice.

On n’évoquera qu’en quelques mots la mondialisation qui devient le socle de cette volonté et qui façonne les besoins des parties d’organiser une procédure la mieux adaptée aux exigences économiques.

A cet égard, ajoute un auteur, l’arbitrage qui est « un moyen d’écarter, pour le règlement des litiges, l’intervention des juges et des autorités étatiques, on voit bien que le mouvement de libéralisation du commerce international doit s’appuyer sur l’arbitrage… La mondialisation a donc naturellement renforcé le mouvement de détachement de l’arbitrage vis-à-vis des cadres étatiques… » [32].

Reste à savoir ce qu’une nouvelle réforme du droit de l’arbitrage en France apportera à cet égard, et si elle contribuera à renforcer ou à réviser les principes actuels encadrant la renonciation aux voies de recours [33].

Irina GUERIF, Avocat,
Barreau de Paris
https://iguerif.com/

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Notes de l'article:

[1Fascicule JurisClasseur, JCI, Procédure civile, Fasc. 1010 : Arbitrage – Aperçu historique – Aperçu de droit comparé par E.Loquin.

[2Code de l’arbitrage commenté, Th. Clay, LexisNexis, 2021, p.285

[3Code de l’arbitrage commenté, Th. Clay, LexisNexis, 2021, p.287.

[4Fascicule JurisClasseur, JCI, Procédure civile, Fasc. 1046 : Arbitrage – La décision arbitrale – Voie de recours, par E. Loquin

[5Paris, 27 mai 2014, n°12/05975, Vasarely, « La (nouvelle) affaire Vasarely : l’arbitrage en trompe l’œil », R.Dupeyré, Cah.arb., 2015.481

[6Cass. 1ère civ., 4 nov.2015 ; Rev. arb., 2016.235, note François de Bérard.

[7P. Mayer, note sous Com., 2 déc.2008, Rev.arb. 2009.327.

[8Cass.civ. 1ère, 8 oct. 2009, Bull.civ. I, n°201 ; Rev.arb., 2011.126, note L. Perreau-Saussine.

[9Cass.com., 23 septembre 2014, Carrefour Proximité, Code de l’arbitrage commenté, Th. Clay, Lexis Nexis 2015, p.162.

[10Cass.civ. 1ère, 7 mars 1961, Bull.civ. I, n°201.

[11L’opposabilité de la sentence arbitrale aux tiers. Approche critique du droit français » par Sophie Lemaire, Mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Mayer, LJDJ Lextenso éditions.

[12J.Pellerin « La nouvelle articulation des recours en arbitrage interne », Le nouveau droit français de l’arbitrage, sous la direction de Th. Clay, Lextenso éditions, 2011, p.179.

[13E.Loquin « L’examen du projet de sentence par l’institution et la sentence au premier degré »,Rev.arb. 1990, 427.

[14Cass.2e civ. 2 décembre 1964, Rev. arb.1964.13.

[15Ph.Fouchard, « Suggestions pour accroitre l’efficacité internationale des sentences arbitrales », Rev.arb. 1998, p.653.

[16Cass.civ. 1ère, 9 octobre 1990

[17J.Ortscheidt et C. Seraglini « La nouvelle articulation des recours en arbitrage international », Le nouveau droit français de l’arbitrage, sous la direction de T. Clay, Lextenso éditions, 2011.

[18Art. 1522 Code de l’arbitrage commenté, note T. Clay, LexisNexis, 2021.

[19Art. 1522, Code de l’arbitrage commenté, note T. Clay, LexisNexis, 2021.

[20J-B. Racine « Droit de l’arbitrage », Themis droit, PUF, 2016, p.580.

[21J-B. Racine « Réflexions sur les voies de recours en droit de l’arbitrage. Propos introductifs », Rev.arb., 2018.3.

[22E.Gaillard et P. de Lapasse, « Le nouveau droit français de l’arbitrage interne et international », D. 2011, p.175

[23C.Seraglini et J.Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Montchrestien, 2ème édition 2019, p.860

[24Cour européenne des droits de l’homme (3e Section) 24 mars 2016, M.N. Tabbane c/Suisse, Rev. arb. 2016, 637

[25E.Gaillard et P. de Lapasse, « Le nouveau droit français de l’arbitrage interne et international », D. 2011, p.175

[26C.Seraglini et J.Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Montchrestien, 2013, p.859, n°943.

[27E. Gaillard et P. de Lapasse, Commentaire analytique du décret du 13 janvier 2011 portant réforme du droit français de l’arbitrage, préc., spéc. n° 119.

[28Paris, ord.2 nov. 2017 n°16/22740 : D.2017, p.2559, obs. Th. Clay.

[29CA Toulouse, 26 juin 2013 n°11/04250, cit. dans Code de l’arbitrage commenté, Th. Clay, LexisNexis, 2021, p.286.

[30Paris, ord., 3 avr. 2014, note « Arbitrage et modes alternatifs de règlement des litiges » novembre 2013-décembre 2014 par Th.Clay, Recueil Dalloz – 25 décembre 2014 n°44.

[31J-B. Racine « Réflexions sur les voies de recours en droit de l’arbitrage. Propos introductifs », Rev. arb. 2018.3.

[32P. Fouchard « Ecrits » Droit de l’arbitrage. Droit du commerce international. CFA, 2007.

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