L’essor des MARD en France remonte à la loi n° 95-125 du 8 février 1995, qui a introduit la conciliation et la médiation dans l’organisation judiciaire. Ce mouvement a été renforcé par des réformes récentes, notamment le décret de 2015 sur la simplification de la procédure civile et la loi pour la justice du 21ᵉ siècle (loi J-21), qui a élargi les possibilités de recours aux MARD. Plus récemment, le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 a introduit deux nouvelles mesures : l’audience de règlement amiable (ARA) et la césure du procès, visant à favoriser la résolution amiable ou partielle des litiges devant le tribunal judiciaire.
Ces mécanismes présentent de nombreux avantages. Pour les pouvoirs publics, ils contribuent à désengorger les tribunaux et à réduire les délais de procédure. Pour les parties au litige, les MARD permettent une implication active dans la recherche de solutions et offrent une alternative au rôle passif imposé par la justice étatique. Cependant, malgré ces avantages, leur adoption reste inégale. De nombreux avocats et magistrats expriment des réticences, craignant des changements dans leurs pratiques professionnelles ainsi que des implications économiques.
En effet, les modes bilatéraux, tels que la procédure participative et le processus collaboratif, l’objet de cette étude, se distinguent parmi les MARD par leur focalisation sur l’interaction directe entre les parties en conflit, souvent assistées par leurs avocats. Contrairement aux méthodes faisant intervenir un tiers médiateur ou conciliateur, ces dispositifs reposent sur le dialogue et la coopération entre les parties. Cette approche exige une véritable évolution dans la philosophie professionnelle des avocats, qui doivent envisager l’intérêt de leurs clients non plus comme un affrontement, mais comme une recherche constructive de solutions.
Malheureusement, les réticences à adopter ces modes bilatéraux sont souvent alimentées par des idées reçues, notamment parmi ceux qui ne sont pas formés aux MARD. Certains préjugés prétendent, par exemple, que la procédure participative ferait perdre du temps, alors qu’elle constitue généralement un accélérateur de la résolution des litiges. Par ailleurs, le manque de formation des professionnels, qu’ils soient avocats ou magistrats, demeure un frein majeur à leur mise en œuvre. Une clarification textuelle supplémentaire sur la nature et les enjeux de ces dispositifs pourrait s’avérer nécessaire pour en faciliter l’acceptation et l’application.
La présente étude se divise en deux parties : la première est consacrée à l’analyse de la procédure participative (I), tandis que la seconde examine le processus collaboratif (II).
I. La procédure participative : une évolution législative et pratique.
La procédure participative, introduite par la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010, dite loi Béteille, s’inscrit dans un contexte où le législateur souhaitait moderniser les modes de résolution des conflits civils en favorisant les solutions amiables. Cette initiative répondait à une double préoccupation : désengorger les tribunaux et promouvoir des alternatives collaboratives dans la gestion des différends. Encadrée par les articles 2062 à 2066 du Code civil et 1542 à 1551 du Code de procédure civile, cette procédure repose sur un engagement commun des parties à résoudre leur différend de manière amiable et de bonne foi, comme prévu à l’article 2062 du Code civil.
A. Élargissement des possibilités avec la loi J21.
Depuis la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, dite loi Justice du XXIᵉ siècle, la procédure participative peut être engagée à tout moment, y compris après la saisine d’un juge, notamment pour la mise en état d’une affaire. Cette réforme a non seulement renforcé le cadre juridique, mais elle a également modifié les pratiques des avocats et des juridictions. Les avocats se voient offrir davantage d’opportunités pour intervenir en amont des audiences, favorisant une résolution proactive des conflits, tandis que les juridictions bénéficient d’un allègement de leur charge grâce à des litiges partiellement ou totalement résolus en dehors du cadre contentieux traditionnel.
B. L’acte de procédure contresigné par avocats : instrument clé de la procédure participative.
L’intégration de l’acte de procédure contresigné par avocats, introduit par l’article 2063 du Code civil, représente un élément optionnel mais crucial de la convention participative. Selon cet article, la convention peut inclure « les actes contresignés par avocats que les parties s’accordent à conclure, dans les conditions prévues par un décret en Conseil d’État ». Ce cadre, introduit pour sécuriser juridiquement certains engagements et favoriser le dialogue entre les parties, avait été initialement précisé par le décret du 6 mai 2017. Toutefois, ce décret a été critiqué pour sa liste limitée d’actes et le confinement de cet outil au cadre strict de la procédure participative.
L’entrée en vigueur du décret du 11 décembre 2019 a marqué un tournant en refondant l’article 1546-3 du Code de procédure civile. Ce texte prévoit que l’acte de procédure contresigné par avocats peut être établi « conjointement par les avocats des parties à un litige, ayant ou non donné lieu à la saisine d’une juridiction, en dehors ou dans le cadre d’une procédure participative ». Par exemple, dans une affaire de copropriété, cet acte a permis d’établir un accord entre les parties sur les modalités de réparations avant même l’intervention d’un expert, évitant ainsi un contentieux long et coûteux. Cette réforme confère à cet acte une autonomie et un champ d’application élargi, répondant ainsi aux critiques initiales.
C. Une fonction multiple.
Le nouveau texte introduit une liste plus complète d’actes d’administration de la preuve, tels que l’acte d’audition de parties, de témoins ou d’experts, ainsi que l’acte de constatation ou de déplacement sur les lieux. Au-delà de ces aspects techniques, la fonction première de l’acte de procédure contresigné par avocats est d’établir ou de restaurer le dialogue entre les parties, condition essentielle à une résolution amiable du litige.
D. Les étapes du processus participatif.
a. Phase préparatoire : identification des enjeux.
1. Récit des parties : les parties expriment leur ressenti et leur perception de la situation.
2. Identification des intérêts : les besoins, préoccupations et valeurs sont définis pour chaque partie.
3. Collecte d’éléments factuels : toutes les informations pertinentes sont partagées et analysées par les avocats.
b. Mise en place d’actes de procédure.
Les avocats accompagnent les parties dans la définition de l’objet du litige et de la preuve. Parmi les outils utilisés :
- Acte d’audition des parties : permet d’identifier l’objet du litige en des termes acceptables.
- Acte de déplacement sur les lieux : offre une compréhension concrète des enjeux.
- Acte de désignation d’expert : formalise l’intervention d’un sachant pour apporter un éclairage technique.
E. Vers la résolution amiable.
Le processus permet une progression graduelle. Les accords obtenus sont formalisés sous forme d’actes contresignés, préparant ainsi la rédaction de la convention participative. Une fois l’accord trouvé, celui-ci peut être soumis à l’homologation du juge. Ce dernier examine notamment si les parties ont respecté les principes de transparence et d’équité dans leurs négociations, ainsi que la conformité de l’accord aux dispositions d’ordre public. L’homologation confère à l’accord une force exécutoire, renforçant sa pérennité et son efficacité juridique.
F. Un cadre juridique protégé et flexible.
La convention de procédure participative doit mentionner les points à négocier et la durée des discussions. Elle constitue une fin de non-recevoir pour toute demande tendant à statuer sur le fond, sauf en cas d’urgence ou d’inexécution par l’une des parties. En outre, cette procédure suspend les délais de prescription conformément à l’article 2238 du Code civil.
Malgré l’absence d’une confidentialité expressément prévue par les textes, la présence exclusive des avocats garantit implicitement la discrétion des échanges. Toutefois, cette lacune peut poser des défis en termes de protection des informations sensibles. Pour y pallier, les avocats mettent souvent en place des clauses de confidentialité dans les conventions participatives, renforçant ainsi la sécurité juridique des échanges. Cette procédure offre ainsi un cadre flexible et sécurisé, où les parties gardent le contrôle de la négociation tout en bénéficiant de l’expertise de leurs avocats pour prévenir les accords déséquilibrés.
II. Processus collaboratif.
Le processus collaboratif constitue également une approche alternative de règlement amiable des différends.
Il désigne une méthode qui privilégie la recherche d’un accord sans recourir aux tribunaux, en s’appuyant sur des négociations structurées et accompagnées par des professionnels formés. Par exemple, dans le cadre d’un divorce, les deux parties et leurs avocats collaboratifs s’engagent à discuter des modalités de séparation en vue d’un arrangement mutuellement satisfaisant, évitant ainsi un litige judiciaire coûteux et potentiellement conflictuel. Initié par Stuart G. Webb, le premier avocat collaboratif à Minneapolis, cette méthode est née de la volonté de résoudre les litiges sans passer par les tribunaux. Progressivement, cette pratique a été adoptée par un nombre croissant d’avocats, avant d’être perfectionnée en collaboration avec Ron Ousky. Ainsi, le droit collaboratif a vu le jour aux États-Unis avant de s’étendre au Canada, en Europe, en Australie, et dans d’autres parties du monde.
A. Une approche distincte et encadrée.
Contrairement à la procédure participative, le processus collaboratif n’est pas encadré par le Code civil. Toutefois, il est promu par l’Association française des praticiens en droit collaboratif (AFPDC), qui dispense des formations spécifiques. Ces formations permettent aux praticiens de maîtriser les techniques de négociation raisonnée, l’écoute active et la reformulation, conformément à une charte établie par l’AFPDC.
Le processus collaboratif se distingue également par l’exclusion de toute saisine judiciaire pendant le déroulement des négociations. Ainsi, ce processus est initié avant toute procédure contentieuse.
B. Les fondements et principes du processus collaboratif.
Le processus repose sur une négociation contractuelle. Les parties au litige, accompagnées de leurs avocats formés au droit collaboratif, collaborent pour trouver une solution satisfaisante dans un cadre confidentiel. Cette confidentialité est assurée par la signature préalable d’un accord qui protège les échanges. Les solutions émergentes peuvent inclure des arrangements financiers, des mesures organisationnelles, ou des engagements mutuels adaptés aux besoins spécifiques des parties, favorisant ainsi un échange libre et ouvert.
C. Les principes fondamentaux du processus collaboratif incluent :
1. Renonciation au recours judiciaire pendant le processus : les parties s’engagent à ne pas saisir le tribunal tant que les négociations sont en cours. Par exemple, dans le cas d’un conflit commercial, les parties et leurs avocats collaboratifs conviennent de résoudre leurs différends par des discussions ouvertes, mettant de côté la possibilité de porter l’affaire en justice jusqu’à la fin du processus.
2. Travail en équipe : une coopération active entre les parties, leurs avocats, et éventuellement des experts ou tiers (psychologues, notaires, médiateurs, experts-comptables) est encouragée. Par exemple, un médiateur familial peut intervenir pour clarifier les enjeux émotionnels dans une affaire de garde d’enfants.
3. Loyauté et transparence : les informations utiles à la résolution du conflit sont partagées de manière honnête et ouverte. Cela pourrait inclure des documents financiers détaillés lors d’un divorce.
4. Confidentialité renforcée : tous les échanges et documents sont soumis à une stricte confidentialité. Par exemple, les discussions autour de la répartition des actifs d’une entreprise familiale resteront protégées de toute divulgation.
5. Retrait des avocats en cas d’échec : si le processus échoue et qu’une procédure judiciaire est engagée, les avocats impliqués doivent se retirer et ne peuvent représenter leurs clients devant le tribunal. Par exemple, si un accord n’est pas trouvé dans un litige de copropriété, de nouveaux avocats doivent être engagés pour porter l’affaire devant les tribunaux.
D. Les étapes du processus collaboratif.
Le processus collaboratif s’articule autour de plusieurs étapes clés, précises et prédéfinies dans le contrat de participation signé par les parties et leurs avocats :
1. Préparation et état des lieux : les parties partagent leur ressenti et leurs perspectives sur le litige, permettant une compréhension mutuelle.
2. Identification des intérêts et collecte des données : les besoins, préoccupations et valeurs des parties sont explorés, tandis que les informations objectives sont rassemblées.
3. Analyse des éléments factuels : les données disponibles sont examinées et évaluées quant à leurs implications juridiques et financières.
4. Formulation d’options : différentes solutions potentielles sont élaborées pour répondre aux intérêts exprimés par les parties.
5. Propositions de règlement : les parties présentent des offres concrètes, respectant les intérêts mutuels, en vue d’aboutir à un accord équitable.
E. Avantages et contraintes.
L’un des principaux avantages du processus collaboratif réside dans la participation active des parties, qui restent maîtresses des décisions prises. Par exemple, dans un litige de succession, les parties peuvent décider conjointement de la répartition des biens en fonction de leurs priorités et besoins spécifiques, sans se soumettre à une décision judiciaire souvent standardisée. Cette participation peut inclure des discussions ouvertes et structurées sur les attentes de chacun, avec l’appui des avocats collaboratifs pour encadrer et orienter le processus. Ce mode de règlement favorise également un climat de confiance et réduit le stress associé aux litiges. Par ailleurs, l’intervention d’avocats formés garantit une expertise adaptée et une stricte confidentialité des échanges.
Cependant, certaines contraintes existent, notamment :
- Le retrait obligatoire des avocats en cas d’échec : si le processus échoue, les avocats ne peuvent plus représenter leurs clients devant un tribunal, ce qui peut entraîner des coûts supplémentaires pour les parties.
- L’absence de suspension automatique de la prescription : contrairement à la procédure participative, le processus collaboratif ne bénéficie pas automatiquement de la suspension de la prescription. Toutefois, les parties peuvent inclure une clause prévoyant cette suspension dans le contrat, conformément à l’article 2254 du Code civil.
F. Coûts du processus collaboratif.
Le coût du processus dépend principalement des honoraires des avocats impliqués. Une répartition des frais peut être convenue entre les parties. En outre, les parties peuvent choisir de ne pas soumettre leur accord à l’homologation du juge, réduisant ainsi les frais judiciaires.
En conclusion, les modes alternatifs de règlement des différends, tels que la procédure participative et le processus collaboratif, représentent des solutions variées et flexibles, offrant aux parties la possibilité de résoudre leurs litiges de manière amiable. Ces mécanismes, en permettant une gestion autonome du conflit, se distinguent par leur capacité à offrir des alternatives plus rapides et moins coûteuses que les procédures judiciaires traditionnelles. Toutefois, bien que ces modes alternatifs présentent des avantages notables, ils ne sont pas exempts de défis. Par exemple, la réussite de la procédure participative et du processus collaboratif repose en grande partie sur la volonté des parties de parvenir à un accord et sur l’existence d’une relation de confiance. En l’absence de ces éléments, ces mécanismes peuvent échouer, entraînant un recours à la justice traditionnelle, voire des tensions accrues. De plus, la portée de ces solutions reste limitée dans des contextes où les enjeux sont particulièrement complexes ou où les inégalités de pouvoir entre les parties rendent l’adhésion à un accord amiable difficile.