Bail commercial : sous-location et conventions de mises à disposition d’espaces avec services.

Par Benoît Favot, Avocat.

13879 lectures 1re Parution: Modifié: 4.91  /5

Explorer : # sous-location # bail commercial # mise à disposition d'espaces # formalités légales

Un arrêt récent de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence du 8 septembre 2022 permet de rappeler les conditions de validité d’un contrat de sous-location d’un bail commercial [1].
L’étude de cet arrêt est également l’occasion de rappeler les conséquences d’un contrat de sous-location et de le distinguer des conventions de mise à disposition d’espaces avec services, qui sont généralement plus adaptées au projet du locataire principal.

-

1. La sous-location : un contrat avec un formalisme lourd, et des conséquences importantes pour le locataire principal.

Un formalisme lourd.

Il convient tout d’abord de rappeler qu’il résulte de l’article L145-32 du Code de commerce que la sous-location est en principe interdite.

Ainsi, même le bail commercial n’interdit pas formellement la sous-location, celle-ci reste interdite.

Il peut arriver que le bail commercial prévoie que « la sous-location est autorisée », même si cela est extrêmement rare, ou alors que le bailleur principal autorise son locataire principal à sous-louer son local, par lettre, email ou par simple sms.

Une telle autorisation (dans le contrat ou par lettre séparée) n’est pas suffisante.

En effet, la sous-location n’est régulière qu’à la condition que le bailleur ait été invité à concourir à l’acte de sous-location.

L’invitation à concourir signifie que le bailleur doit recevoir un projet d’acte de sous-location, ait connaissance de la date et du lieu de signature et qu’il soit invité à signer le contrat de sous-location afin que celui-ci lui soit opposable.

L’invitation à concourir à l’acte permet au bailleur principal d’être informé sur l’identité du sous-locataire et les termes de la sous-location.

Il est préférable d’inviter le bailleur principal à concourir par lettre recommandée avec accusé de réception afin de s’aménager un moyen de preuve. Un acte d’huissier de justice serait encore plus prudent, afin d’éviter que le bailleur conteste avoir reçu le projet du contrat dans sa version définitive.

Le bailleur principal peut renoncer à concourir à l’acte mais cette renonciation doit être non-équivoque et le bailleur doit dans tous les cas avoir reçu une copie du projet de l’acte de sous-location, afin de donner son autorisation en toute connaissance de cause. La simple tolérance de la sous-location n’est jamais suffisante.

Il a été jugé que l’autorisation de sous-louer et le fait d’émettre des factures au nom du sous-locataire ne valait pas novation par changement de débiteur dès lors que l’avenant au bail autorisant la sous-location stipulait que

« dans tous les cas, le locataire demeurera garant solidaire de son cessionnaire ou sous-locataire pour le paiement du loyer et des charges et l’exécution des conditions du bail, qu’il réglera au bailleur la totalité du loyer mensuel tel que stipulé et fera son affaire du recouvrement des loyers auprès de son/ses sous-locataire(s) et qu’il sera responsable des éventuelles dégradations, dommages ou défaillances causés par son/ses sous locataire(s), ce qui exclut toute volonté du bailleur de substituer un nouveau débiteur à l’ancien et de décharger ce dernier » [2].

Des conséquences importantes.

Pour le locataire principal, le risque d’une sous-location non régulière réside dans le fait de se voir opposer le refus de renouvellement pour motif grave et légitime à l’issue du bail commercial, étant précisé qu’en application de l’article L145-17 du Code de commerce, le bailleur principal qui entend refuser le renouvellement sans indemnité d’éviction en raison d’une sous-location irrégulière devra délivrer préalablement une mise en demeure, cette infraction ayant été jugée ni irréversible, ni irrégulière [3].

En outre, et surtout, le bailleur principal pourra agir en constatation de l’acquisition de la clause résolutoire du bail principal si la sous-location est irrégulière, à condition toutefois que le bail interdise expressément la sous-location :

« il n’y a pas lieu de constater la résiliation du bail lorsqu’un commandement délivré à la requête de la bailleresse ne vise aucune clause du bail conclu entre la preneuse et elle-même, l’interdiction de sous-louer résultant exclusivement des dispositions de l’article 21 du décret du 30 septembre 1953 » [4].

Le locataire principal doit respecter les conditions du contrat de bail commercial qu’il a conclu avec le bailleur. Il doit donc payer le loyer au bailleur. De son côté, il reçoit un loyer du sous-locataire.

Il est aussi responsable à l’égard du bailleur si le sous-locataire ne respecte pas les conditions du bail. Par exemple, si le sous-locataire a détérioré le local, le bailleur peut demander réparation au locataire principal.

Enfin, le loyer de sous-location ne peut, en principe, pas être supérieur au loyer principal.

Lorsque le montant du loyer de la sous-location est supérieur à celui du bail commercial principal, le propriétaire a la faculté d’exiger une augmentation correspondante du loyer de la location principale.

A défaut d’accord, poursuit la Cour de cassation, celle-ci est déterminée selon les règles de compétence et de procédure en matière de contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé.

Cela signifie que la procédure sur mémoires s’applique avec, d’abord, la délivrance d’un mémoire préalable et, une saisine du Tribunal judiciaire compétent au minimum un mois après celui-ci [5].

Il résulte de ce qui précède que le contrat de sous-location est un contrat lourd de conséquences pour le locataire principal, et qui ouvre des droits au sous-locataire rendant son expulsion difficile, notamment en cas de défaut de paiement des loyers de sous-location.

En outre, le locataire principal ne peut pas demander un loyer supérieur à celui qu’il paie au bailleur principal.

La pratique démontre qu’en réalité, il arrive souvent que le locataire principal souhaite simplement mettre en place une simple convention de mise à disposition d’espaces avec services, beaucoup plus souple et plus adaptée à ses intentions.

2. Les conventions de mise à disposition d’espaces avec services.

Il est apparu, avec la crise financière et l’essor du télétravail, que certains locataires commerciaux aient eu pour projet de proposer la mise à disposition d’un espace dans le local commercial qu’ils occupent :
- Soit par la mise à disposition d’un « corner » ou d’un espace « shop in shop », qui a pour particularité de ne pas être exploité dans un local indépendant mais dans un espace partagé dans le local commercial ;
- Soit par la mise à disposition du local commercial pour des évènements privés, intégralement gérés par une société indépendante (par exemple des pop-up stores, ou des magasins éphémères) ;
- Soit par la mise à disposition d’espaces de travail dans des espaces partagés (sous le modèle du coworking, avec la mise à disposition d’un bureau, et d’espaces de convivialité).

Ces activités peuvent en effet lui permettre de diminuer le poids financier du loyer ou de développer une activité complémentaire à son activité principale.

Dans ce cas, les conventions à mettre en place sont des conventions de mise à disposition d’espaces avec services et non des conventions de sous-location.

En effet, la sous-location consiste principalement en un sous-bail commercial, portant sur un local indépendant.

Or, dans les conventions de mise à disposition d’espaces avec services, les espaces peuvent être partagés entre le locataire principal et les occupants, ou entre plusieurs occupants.

En effet, la mise à disposition d’espaces partagés est susceptible d’entraîner des difficultés relatives :
- Aux contrats d’assurances et au fait générateur des risques (accidents de travail, dégâts divers, vol, etc.) ;
- A la fourniture de consommables (électricité, chauffage, internet etc.) ;
- Au nettoyage et à l’entretien des espaces partagés ;
- A la sécurité des locaux ;
- A la réglementation sociale (en cas de contrôle inopinés de l’URSSAF) ;
- Etc.

La mise à disposition d’espaces avec services évite ainsi aux occupants d’avoir à souscrire leur propre contrat de fourniture d’énergie, internet, voire d’immatriculer un établissement secondaire au greffe du tribunal (étant précisé que sous certaines conditions, l’ouverture d’une boutique éphémère peut nécessiter une immatriculation temporaire).

Les conventions de mises à dispositions d’espaces sont plus souples et peuvent prévoir des dispositions plus adaptées au projet du locataire principal (notamment en terme de de durée ou de conditions d’exploitation, qui peut prévoir par exemple que seule une marque peut être commercialisée, ou prévoir des horaires et des jours de mise à disposition).

Le formalisme est également plus souple avec le bailleur principal, qui devra seulement autoriser une modification de la clause de destination du bail commercial, afin d’autoriser la mise à disposition d’espaces avec services. Il est cependant utile de négocier avec le bailleur que cette modification n’entraîne pas une modification du loyer ou un déplafonnement du loyer en fin de bail en raison de la déspécialisation de la destination du bail.

Enfin, les redevances de mises à disposition peuvent être supérieures au montant du loyer du bail principal.

La jurisprudence distingue la mise à disposition et la sous-location en précisant que ne peut être qualifié de sous-location le contrat de mise à disposition d’un local assortie de prestations :
- « les limitations à la jouissance des lieux dans le temps, les nombreuses prestations relatives à l’équipement et à l’entretien des locaux assurées par (la locataire principale), ainsi que le contrôle de l’accueil et de la sécurité conservés par cette dernière démontraient que le contrat passé avec (le tiers) ne pouvait se réduire à une sous-location » [6] ;
- « la mise à la disposition des clients de la (locataire) d’un studio et de matériels de haute technologie, installés dans les lieux loués, sous (son) contrôle (…), avec la collaboration d’un ingénieur du son, dont les prestations faisaient l’objet d’une prestation à part, ne s’analyse en contrat ni de location ni de sous-location » [7] ;
- « le contrat par lequel la société X mettait à la disposition de particuliers, pendant une soirée, sa salle, son personnel ainsi qu’un « disk jokey » ou un orchestre et se chargeait des formalités administratives, telle la déclaration à la préfecture de police (…) ne pouvait être qualifié de sous-location » [8] ;
- le contrat de prestation de mise à disposition de plateau photographique au sein d’un studio de photo [9].

La rédaction d’une telle convention doit cependant être réalisée avec prudence et en toute transparence avec le bailleur principal.

En effet, si la convention qualifiée par les parties de prestation de service dissimule une sous-location ou une location-gérance interdite par le bail, la résiliation judiciaire du bail aux torts du preneur pourra être prononcée [10].

Enfin, la convention de mise à disposition devrait idéalement prévoir les conditions dans lesquelles le locataire principal fournit les services distincts (meubles, réfrigérateur, internet, nettoyage, etc.) et les conditions dans lesquelles la mise à disposition est consentie (horaires, restriction d’usage, etc.).

Benoît Favot
Avocat au barreau de Paris
www.negotium-avocats.com
bfavot chez negotium-avocats.com

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

22 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Notes de l'article:

[1CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 8 sept. 2022, no 20/00114.

[2CA Colmar, 1er avril 2016, n° 14/00050.

[3CA Paris, 18 févr. 2009, no 08/02599.

[4Cass. 3e civ., 11 juin 1986, no 84-15.512.

[5Cour de Cassation. Troisième Chambre Civile, 9 Juillet 2020, n° 19-16.290.

[6Cass. 3e civ., 13 févr. 2002, no 00-17.994.

[7Cass. 3e civ., 7 nov. 2001, no 00-12.897.

[8Cass. 3e civ., 16 mai 2000, no 98-19.427.

[9CA Paris, ch. 5-3, 9 sept. 2009, no 08/7653.

[10CA Paris, pôle 5, ch. 3, 16 mars 2016, no 14/02798.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 320 membres, 27852 articles, 127 254 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Voici le Palmarès Choiseul "Futur du droit" : Les 40 qui font le futur du droit.

• L'IA dans les facultés de Droit : la révolution est en marche.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs