Bien que les sapeurs-pompiers volontaires soient des travailleurs comme les autres, les règles relatives à leur rémunération sont uniques en leur genre. Échappant au Code du travail comme au Code général de la fonction publique, elles sont sont notamment définies dans le Code de la sécurité intérieure dont l’article L723-9 dispose que :
« L’activité de sapeur-pompier volontaire est à but non lucratif. Elle ouvre droit à des indemnités horaires ainsi qu’à des prestations sociales et de fin de service ».
Ces indemnités génèrent de nombreuses questions ; examinons les plus fréquentes.
1. D’année en année, la rémunération réelle des pompiers volontaires augmente-t-elle vraiment ?
Ces indemnités sont ré-évaluées chaque année [1]. En douze ans, le « taux de la vacation horaire de base » a ainsi évolué au fil des arrêtés :
2012 | 2023 | Variation | |
---|---|---|---|
Sapeurs | 7,45 euros | 8,61 euros | + 15,57% |
Caporaux | 8,00 euros | 9,24 euros | + 15,5% |
Sous-officiers | 9,03 euros | 10,43 euros | + 15,5% |
Officiers | 11,20 euros | 12,96 euros | + 15,71% |
Si cette évolution était alignée sur l’inflation jusqu’en 2022 (entre décembre 2012 et septembre 2022, l’augmentation des indemnisation est de 12,2% tandis que l’inflation cumulée est de 12,3%), tel n’est plus le cas depuis 2023 : alors que l’inflation était de 6%, les montants des indemnisations ont été augmentés de 3% [2].
Ce n’est donc ni une « revalorisation » des indemnités, ni-même une réévaluation en fonction de l’évolution du coût de la vie ; en réalité, la rémunération réelle des pompiers volontaires baisse depuis l’année dernière.
2. Comment est calculé, chaque mois, le montant des indemnités ?
L’article 3 du Décret n°2012-492 du 16 avril 2012 précise en ses alinéas 1 et 2 :
« Les missions à caractère opérationnel donnent lieu à perception d’indemnités calculées en fonction du temps passé en service. Celui-ci est décompté à partir de l’alerte du sapeur-pompier volontaire jusqu’au moment où il quitte le centre d’incendie et de secours après remise en état du matériel utilisé.
Pour ce type de missions, le montant de l’indemnité horaire de base du grade est majoré de 50% lorsqu’elles sont effectuées les dimanches et jours fériés et de 100% lorsqu’elles le sont de 22 heures à 7 heures du matin. Ces deux majorations ne sont pas cumulables ».
Par exemple, un sapeur perçoit 8,61 euros par heure en intervention entre 7h00 et 22h ; 17,22 euros par heure en intervention entre 22h00 et 7h00 ; et 12,92 euros par heure en intervention les dimanches et jours fériés.
Précisons que les services départementaux d’incendie et de secours qui, pensant échapper à cette obligation, auraient adopté des notes de service prévoyant une absence d’indemnités, par exemple lors de la première année de service, seraient dans la plus totale illégalité.
Précisons aussi que, pour vérifier si les indemnités octroyées correspondent à l’activité réelle, tout pompier volontaire est en droit de demander des relevés d’activités détaillés sur le fondement du droit d’accès aux documents administratifs.
3. Ces indemnités constituent-elles une rémunération ?
Ces « indemnités » (parfois appelées « vacation » [3], d’où le néologisme peu amène de « vakeraptor » [4], constituent-elles une forme de « rémunération » ?
Dans le public comme dans le privé, la « rémunération » constitue la contrepartie du travail ou du service réalisé [5]. Tel est également le cas des « indemnités » des pompiers volontaires, perçues en contrepartie des gardes casernées, de la durée des astreintes et des interventions réalisées. Point d’obstacle, donc, à considérer que indemnités constituent effectivement une rémunération (Voir l’article Sapeurs-pompiers volontaires : des travailleurs comme les autres ?) [6] ; l’activité de sapeur-pompier volontaire n’est donc pas à but non lucratif ; un volontaire n’est pas un bénévole.
La contradiction contenue dans l’article L723-9 du Code de la sécurité intérieure, à l’origine de l’ambiguïté, est d’ailleurs flagrante. Reste à déterminer les conséquences pratiques de cette qualification juridique.
4. Les volontaires devraient-ils être rémunérés comme les professionnels ?
Certainement pas, rappelle le Conseil d’État, qui souligne que :
« Nonobstant la similitude des fonctions qui leur sont confiées, les sapeurs-pompiers volontaires et les sapeurs-pompiers professionnels sont placés, tant du point de vue de leur statut que de celui de leur rémunération, dans des situations différentes, les premiers intervenants dans un cadre volontaire et bénévole, les seconds relevant de la fonction publique territoriale » (Conseil d’État, 7ème sous-section jugeant seule, 26/05/2014, 370416, Inédit au recueil Lebon) [7].
Cette jurisprudence, constante et récemment reprise par la Cour administrative d’appel de Lyon dans un arrêt du 15 février 2023 [8], est tout à fait cohérente. En effet, les statuts de volontaire et de professionnel sont distincts, il en résulte alors des droits et des obligations différents. Ainsi, les volontaires déterminent librement les dates de leurs gardes, pas les professionnels. A statuts différents droits et obligations distincts, rien de surprenant donc à ce que leur rémunération ne soit pas identique.
Il est en revanche curieux d’observer des discriminations entre des situations identiques...
5. Pourquoi le montant des indemnités varie d’un département à l’autre ?
Le niveau d’indemnité perçu pour le temps passé à la caserne, lorsque le pompier volontaire réalise des manœuvres, s’entraîne physiquement, nettoie la caserne, participe au fonctionnement des services, ou simplement se repose, entre les interventions, varie d’un département à l’autre.
En effet, l’article 6 alinéa 2 du même décret, tel que modifié par le décret n°2023-543 du 30 juin 2023, précise que :
« Les gardes accomplies dans un centre d’incendie et de secours donnent lieu à perception d’indemnités calculées dans les limites de 35 à 75% du montant de l’indemnité en fonction du nombre d’heures passées en service ».
Autrement dit, selon les départements, certains sapeurs perçoivent 3,14 euros par heure passée à la caserne, tandis que d’autres perçoivent plus du double soit 6,73 euros (l’exemple des sapeurs est topique car ils sont les moins rémunérés alors même que parfois, il faut bien l’avouer, ils effectuent plus d’entraînements, de manœuvres et de tâches que les autres).
6. Ces variations territoriales des indemnités sont-elles légales ?
Dans ce contexte, les sapeurs-pompiers volontaires ne pourraient-ils pas tous demander à être traités de façon égale, c’est-à-dire à percevoir 75% du montant de l’indemnité ? Nonobstant le principe de libre administration des collectivités territoriales, la question mérite d’être posée, ce d’autant plus que le Conseil d’État a récemment reconnu la portée du principe d’égalité entre agents publics [9]. Les pompiers volontaires de Nîmes, Toulon, Bordeaux, Lyon, Nantes, Reims, Amiens, ne réalisent-ils pas la même activité ?
Et ce qui vaut pour les zones urbaines, dont les centres sont plutôt organisés en gardes casernées, vaut également pour les zones rurales, qui recourent plus souvent au dispositif de l’astreinte. À cet égard, l’article 7 du décret prévoit que :
« les astreintes peuvent donner lieu à perception d’indemnités calculées dans la limite de 9% du montant de l’indemnité horaire de base du grade ».
Cette fourchette - entre 0% et 9% - constitue une étonnante discrimination territoriale. Quelles différences réelles et substantielles y a-t-il entre les activités des pompiers volontaires de l’Allier, la Creuse, l’Ardèche, la Corrèze, le Gers, Mayenne et la Lozère ? Et combien de casernes devront fermer avant que l’activité soit, enfin, valorisée comme elle devrait l’être ?
Si une telle interprétation était accueillie par le juge administratif, elle permettrait non seulement de modifier les règles de calcul pour l’avenir, mais en outre de justifier une action indemnitaire des pompiers volontaires victimes de cette inégalité en demandant la différence entre ce qu’ils ont perçu et ce qu’ils auraient dû percevoir pour les quatre années qui précèdent (compte-tenu de la prescription quadriennale).
Somme toute, il s’agirait d’une belle opportunité de mise en œuvre de l’action de groupe introduite par la Loi n°2016-1249 du 26 janvier 2016, action qui peut d’ailleurs être introduite par une association ou un syndicat, car les pompiers volontaires, faut-il le rappeler, sont en droit de constituer des syndicats pour porter de telles actions [10].
Discussion en cours :
Merci pour votre lecture et vos retours sur cet article. Face aux réalités que vivent aujourd’hui les sapeurs-pompiers j’ai lancé une pétition pour exiger une réforme en profondeur du système de sécurité civile.
➡️ Signez et partagez la pétition ici : https://www.change.org/pompiers-et-pompières-en-souffrance
Notre objectif est clair : mieux protéger celles et ceux qui nous protègent, en mettant fin à l’invisibilisation de leurs difficultés, et en obtenant des engagements concrets des pouvoirs publics.
Chaque signature compte. Merci pour votre soutien.