1) Faits et procédure.
L’Union départementale des syndicats Force Ouvrière Loir-et-Cher a demandé au Ttribunal administratif d’Orléans d’annuler pour excès de pouvoir la décision du 5 janvier 2021 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi de Centre-Val de Loire a validé l’accord collectif portant rupture conventionnelle collective du 15 décembre 2020 au sein de la société Paragon Transaction.
Par un jugement n° 2100795 du 3 juin 2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 21VE02220 du 20 octobre 2021, la Cour administrative d’appel de Versailles a, sur appel de l’Union départementale des syndicats Force Ouvrière Loir-et-Cher, annulé ce jugement et la décision du 5 janvier 2021.
La Société Paragon Transaction se pourvoit en cassation contre cet arrêt.
2) Moyens.
La Société Paragon Transaction demande au Conseil d’Etat :
- 1°) d’annuler cet arrêt ;
- 2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d’appel ;
- 3°) de mettre à la charge de l’Union départementale des syndicats Force Ouvrière Loir-et-Cher la somme de 4 000 euros au titre de l’article L761-1 du Code de justice administrative.
3) Solution.
Le Conseil d’Etat rejette le pourvoi de la société Paragon Transaction.
Après avoir rappelé les dispositions régissant le licenciement pour motif économique et la rupture conventionnelle collective, le Conseil d’Etat explique que :
« Un accord portant rupture conventionnelle collective, […] compte tenu de ce qu’il doit être exclusif de toute rupture du contrat de travail imposée au salarié, comme le prévoit l’article L1237-17, ne peut être validé par l’autorité administrative lorsqu’il est conclu dans le contexte d’une cessation d’activité de l’établissement ou de l’entreprise en cause conduisant de manière certaine à ce que les salariés n’ayant pas opté pour le dispositif de rupture conventionnelle fassent l’objet, à la fin de la période d’application de cet accord, d’un licenciement pour motif économique, et le cas échéant, d’un plan de sauvegarde de l’emploi ».
Le Conseil d’Etat explique ensuite la marche à suivre dans une telle situation : « Pour assurer le respect des règles d’ordre public qui régissent le licenciement collectif pour motif économique, il appartient en effet à l’employeur d’élaborer, par voie d’accord ou par un document unilatéral, un plan de sauvegarde de l’emploi qui doit être homologué ou validé par l’administration ».
Ainsi, en l’espèce :
« La cour a relevé, […] qu’il résultait de la note d’information transmise par la société Paragon Transaction à son comité social et économique le 23 octobre 2020 qu’elle projetait de réorganiser ses activités d’imprimerie en France et à ce titre de fermer le site de production de Romorantin, le site devant être vendu après sa "désindustrialisation", ses activités et ses personnels devant être transférés à d’autres établissements de l’entreprise. Il ressort également des pièces du dossier soumis aux juges du fond que cette même note mentionnait que, dans le cas où plus de dix salariés refuseraient la modification de leur contrat de travail nécessitée par ce transfert, elle envisageait de soumettre aux institutions représentatives du personnel un projet de plan de sauvegarde de l’emploi. Enfin, l’accord collectif portant rupture conventionnelle collective précisait qu’il s’inscrivait dans le cadre de ce même projet de transfert de l’ensemble des personnels de Romorantin. La cour en a déduit, sans entacher son appréciation de dénaturation des pièces du dossier, que la société Paragon Transaction avait décidé la fermeture du site de Romorantin avant la signature de l’accord portant rupture conventionnelle collective validé par l’autorité administrative ».
4) Analyse.
Le dispositif de la rupture conventionnelle collective a été instauré par les ordonnances Macron du 22 septembre 2017.
Ce mécanisme permet d’organiser des ruptures conventionnelles collectives, sur la base du volontariat, pour atteindre des objectifs en termes de suppression d’emplois durant une période déterminée par l’accord.
Un tel accord, doit faire l’objet d’une validation par la DREETS.
Le Conseil d’Etat, dans son arrêt du 21 mars 2023, vient encadrer ce processus de validation : l’autorité administrative ne peut pas valider un accord portant rupture conventionnelle collective lorsqu’il est conclu dans le contexte d’une cessation d’activité de l’établissement ou de l’entreprise en cause conduisant de manière certaine à ce que les salariés n’ayant pas opté pour le dispositif de rupture conventionnelle fassent l’objet d’un licenciement pour motif économique.
Cette position rejoint celle exprimée par le Ministère du travail qui explique dans son questions-réponses relatif à la RCC que :
« La RCC ne peut et ne doit pas être proposée dans un contexte de difficultés économiques aboutissant de manière certaine à une fermeture de site, ce qui aurait pour effet de fausser le caractère volontaire de l’adhésion au dispositif et de ne pas permettre le maintien dans l’emploi des salariés non candidats à un départ » [1].
Cette solution est cohérente avec les dispositions du Code du travail.
En effet, le législateur a prévu un régime d’ordre public afin d’encadrer les licenciements pour motif économique.
Ce régime, prévu aux articles L1233-1 et suivants du Code du travail, prévoit de nombreuses mesures protectrices des salariés ; il est donc conforme à l’esprit de la loi de ne pas pouvoir contourner ces règles protectrices en cas de cessation d’activité conduisant nécessairement à un licenciement pour motif économique.
Par ailleurs, la solution du Conseil d’Etat est conforme au texte des dispositions régissant la rupture conventionnelle collective :
- L’article L1237-17 du Code du travail prévoit que les ruptures de contrat de travail intervenues dans le cadre d’un accord de RCC sont exclusives du licenciement ou de la démission.
- L’article L1237-19 du Code du travail prévoit quant à lui que « un accord collectif peut déterminer le contenu d’une rupture conventionnelle collective excluant tout licenciement pour atteindre les objectifs qui lui sont assignés en termes de suppression d’emplois ».
Si le licenciement pour motif économique des salariés n’acceptant pas la rupture conventionnelle interviendra nécessairement postérieurement à l’application de l’accord de RCC, alors les salariés n’ont en réalité pas le choix d’être maintenus dans leur emploi.
Ainsi, en cas de cessation d’activité, si des départs volontaires doivent être prévus, ils doivent s’inscrire dans le cadre du PSE, afin de ne pas contourner les règles d’ordre public régissant les licenciements pour motif économique.
Toutefois, le Conseil d’Etat n’exclue pas qu’un accord de RCC puisse être conclu par une entreprise rencontrant des difficultés économiques, tant que la liberté de choix des salariés est conservée.
Sources.
CE, 21 mars 2023, n° 459626
Rupture conventionnelle collective : incompatibilité d’une RCC avec une fermeture de site
Rupture conventionnelle collective (RCC) : comment la mettre en place dans les entreprises de moins de 50 salariés ?
Rupture conventionnelle collective (RCC) : modèle d’accord collectif pour les entreprises et syndicats
Rupture conventionnelle collective : le jackpot fiscal pour les salariés ! (Merci Macron)
Liaisons sociales quotidien n° 18768 du 31 mars 2023, Fermeture d’établissement : un accord de RCC ne peut se substituer au PSE
Invalidité de l’accord collectif de rupture conventionnelle collective visant à se substituer à un PSE pour cessation d’activité [2]