Salariés, cadres, cadres dirigeants et rupture conventionnelle : panorama de la jurisprudence 2023/2024.

Par Frédéric Chhum, Avocat et Mathilde Fruton Létard, Élève-avocate.

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Explorer : # rupture conventionnelle # contrat de travail # indemnité

En 2023 et 2024, la Cour de cassation et le Conseil d’État ont eu l’occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur des sujets liés à la rupture conventionnelle.

Il est traité ci-dessous des principales décisions rendues en la matière.

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1) Articulation avec les autres modes de rupture du contrat de travail.

1.1) Rupture conventionnelle : sa signature vaut renonciation commune à une rupture intervenue précédemment.

Dans un arrêt du 11 mai 2023 (n° 21-18.117), la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé que lorsque le contrat de travail a été rompu par l’exercice par l’une ou l’autre des parties de son droit de résiliation unilatérale, la signature postérieure d’une rupture conventionnelle vaut renonciation commune à la rupture précédemment intervenue.

En l’espèce, la Cour d’appel de Paris avait considéré que la rupture conventionnelle intervenue postérieurement à un licenciement verbal était sans objet car le contrat était d’ores et déjà rompu.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt et rappelle cette solution qu’elle avait déjà énoncé à propos d’un licenciement régulièrement notifié par l’employeur : « En signant une rupture conventionnelle, les parties avaient d’un commun accord renoncé au licenciement précédemment notifié par l’employeur » [1].

1.2) L’adhésion à un CSP ne constitue pas une rupture d’un commun accord du contrat de travail.

Dans un arrêt du 4 octobre 2023 (n° 21-21.059), la chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que l’adhésion à un contrat de sécurisation professionnelle, postérieurement au délai de réflexion, ne saurait s’apprécier en une rupture conventionnelle.

Ainsi, lors de cette adhésion, la salariée en état de grossesse médicalement constaté bénéficie de la protection prévue par l’article L. 1225-4 du Code du travail, imposant à l’employeur, jusqu’au congé de maternité et pendant les 10 semaines qui suivent son retour dans l’entreprise, de justifier que le licenciement repose sur une faute grave ou sur l’impossibilité de maintenir le contrat de travail.

2) Procédure de rupture conventionnelle.

2.1) Pas de délai entre l’entretien et la signature de la convention de rupture.

Depuis une jurisprudence établie de 2013, la Cour de cassation admet que le Code du travail n’instaure pas de délai entre l’entretien au cours duquel les parties au contrat de travail conviennent de la rupture du contrat et la signature de la convention de rupture conventionnelle.

En conséquence, la convention de rupture peut être signée le même jour que l’entretien, voire dès la fin de l’entretien [2].

La chambre sociale vient confirmer ce principe dans un arrêt du 13 mars 2024 (n° 22-10.551).

En l’espèce, la salariée avait formé un pourvoi à l’encontre de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris car elle estimait que, malgré l’absence de précision de tout délai par l’article L1237-12 du Code du travail, la signature de la convention de rupture du contrat de travail ne peut intervenir le même jour que l’entretien invoquant que le cas contraire reviendrait à priver l’exigence d’un entretien préalable de toute portée.

La chambre sociale a donc rejeté le pourvoi de la salariée.

Il convient tout de même de préciser, ce que la chambre sociale a rappelé en l’espèce, que si ces deux étapes procédurales peuvent se dérouler le même jour, l’entretien doit être réalisé avant la signature de la convention de rupture.

2.2) Nullité de la convention de rupture conventionnelle en l’absence de remise d’un exemplaire au salarié.

Dans un arrêt du 10 mai 2023 (n° 21-23.041), la chambre sociale de la Cour de cassation a également rappelé qu’à défaut pour l’employeur de remettre au salarié un exemplaire de la convention de rupture conventionnelle signé, la convention de rupture est nulle.

La chambre sociale juge, en effet, que la remise d’un exemplaire de la convention de rupture au salarié est nécessaire à la fois pour que chacune des parties puisse demander l’homologation de la convention et pour garantir le libre consentement du salarié, en lui permettant d’exercer ensuite son droit de rétractation en connaissance de cause.

3) Rupture conventionnelle et vices du consentement.

De jurisprudence constante, la chambre sociale affirme que « la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties » [3] et qu’elle est valablement conclue « sauf en cas de fraude ou de vice du consentement » [4].

Toutefois, le Conseil d’État est venu rappeler en 2023 que l’existence de faits de harcèlement moral ou de discrimination n’est pas de nature, par elle-même, à faire obstacle à ce que l’inspection du travail autorise la rupture conventionnelle d’un salarié protégé, sauf à ce que ces faits aient vicié son consentement [5].

Ainsi, ce n’est que lorsque le harcèlement ou la discrimination ont altéré le consentement du salarié que la validité de la convention peut être remise en cause.

Dans le même sens, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé, dans un arrêt du 15 novembre 2023 (n° 22-16.957), que l’existence, au moment de la conclusion de la convention de rupture, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture.

En l’espèce, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par le salarié car la Cour d’appel a estimé que le salarié ne rapportait pas la preuve d’un vice du consentement, constatant notamment qu’il n’avait pas usé de son droit de rétractation et n’établissait pas que la rupture conventionnelle avait été imposée par l’employeur.

Toutefois, la chambre sociale a également jugé en 2023 que le simple fait que le salarié ait été à l’origine de la demande de rupture conventionnelle ne permet pas nécessairement d’écarter la caractérisation de la situation de violence morale du fait du harcèlement moral [6].

En l’espèce la Cour d’appel d’Aix-en-Provence avait constaté l’existence d’un harcèlement moral résultant notamment de propos déplacés réguliers, voire quotidiens, de nature discriminatoire et des troubles psychologiques qui en sont résultés.

4) Indemnité de rupture conventionnelle.

L’article L1237-13 du Code du travail prévoit qu’en cas de rupture conventionnelle l’employeur doit verser au salarié une indemnité spécifique de rupture conventionnelle dont le montant ne peut pas être inférieur à celui de l’indemnité légale de licenciement.

À cet égard, la chambre sociale a rappelé au début de l’année 2024 que l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle prévue par l’article L1237-13 du Code du travail ne peut pas être d’un montant inférieur à celui de l’indemnité conventionnelle de licenciement, lorsque celle-ci est supérieure à l’indemnité légale de licenciement [7].

Cela résulte de l’avenant n° 4 du 18 mai 2009 à l’ANI sur la modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008, lequel prévoit que l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle doit être au moins égale à l’indemnité conventionnelle de licenciement, dès lors que cette dernière s’avère plus favorable, pour le salarié, que l’indemnité légale. Son extension par l’arrêté du 26 novembre 2009 rend l’avenant obligatoire, à l’égard de tous les employeurs entrant dans le champ d’application de l’ANI.

Par ce même arrêt du 10 janvier 2024, la chambre sociale a rappelé que, à défaut d’autres dispositions de la convention collective, pour le calcul de cette indemnité celles des primes et gratifications versées au cours du mois de référence, et dont la périodicité est supérieure à un mois, ne peuvent être prises en compte que pour la part venant en rémunération de ce mois.

5) Rupture conventionnelle et clause de dédit-formation.

Une clause de dédit-formation est une clause insérée dans le contrat de travail d’un salarié, par laquelle ce dernier s’engage, en cas de rupture du contrat qui lui est imputable, à rembourser à l’entreprise les frais de formation dont il a bénéficié.

Une telle clause ne peut être mise en œuvre que si la rupture du contrat de travail intervient à l’initiative du salarié et n’est pas imputable à l’employeur.

À ce titre, la Cour de cassation est venue juger en 2023 que la rupture conventionnelle du contrat de travail, exclusive de la démission ou du licenciement, intervient d’un commun accord entre l’employeur et le salarié et n’est, en conséquence, imputable à aucune des parties, même si le salarié l’a demandée [8].

L’employeur ne peut donc réclamer au salarié le paiement du dédit, sauf à admettre que la convention de rupture puisse en disposer autrement.

6) Rupture conventionnelle et clause de non-concurrence.

Dans un arrêt du 24 janvier 2024 (n° 22-20.201), la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé qu’ « en matière de rupture conventionnelle, l’employeur, s’il entend renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence, doit le faire au plus tard à la date de rupture fixée par la convention, nonobstant toutes stipulations ou dispositions contraires ».

Cet arrêt confirme le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation en 2022 [9].

La Cour de cassation jugeait auparavant que lorsque la clause de non-concurrence prévoyait la possibilité d’une renonciation unilatérale par l’employeur dans un certain délai à compter de la notification de la rupture, il y avait lieu de faire courir ce délai à compter de la date de la rupture fixée par la convention de rupture [10].

Sources :

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
Mathilde Fruton Létard élève avocate EFB Paris
Chhum Avocats (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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Notes de l'article:

[1Cass. soc., 3 mars 2015, n° 13-20.549.

[2Cass. soc., 3 juillet 2013, nº 12-19.268.

[3Cass. soc., 23 mai 2013, n° 12-13.865.

[4Cass. soc., 30 septembre 2014, n° 13-16.297.

[5CE, 13 avril 2023, n° 459213.

[6Cass. soc., 1er mars 2023, n° 21-21.345.

[7Cass. soc., 10 janvier 2024, n° 22-19.165.

[8Cass. soc., 15 mars 2023, n° 21-23.814.

[9Cass. soc., 26 janvier 2022, n° 20-15.755.

[10Cass. soc., 29 janv. 2014, nº 12-22.116.

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