Quand le principe de la prestation compensatoire résiste au droit européen.

Par Juliette Daudé, Avocat.

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Il faut parfois, pour un avocat, faire preuve d’imagination pour défendre son client… et trouver moult pirouettes qui arrangeront sa cause. Le droit européen est souvent de bon secours.

Malheureusement, dans un arrêt du 30 novembre 2022 (Civ. 1ère, n° 21-12.128, FS-B), la Cour de cassation est venue rappeler que faire preuve de créativité en matière de droit n’est pas toujours porteur et que notre Code civil reste une valeur sûre.

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En effet, la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation a dû trancher dans une affaire dans laquelle une femme avait fait du droit de propriété son cheval de bataille afin de contester la prestation compensatoire à laquelle elle avait été condamnée à verser à son ex-époux.

Les faits d’espèce sont simples : Madame a été condamnée à payer à Monsieur, son ex-époux, une prestation compensatoire en capital d’un montant de 50 000 euros, capital fixé par la Cour d’appel.

Invoquant l’article 1er, § 1 du premier protocole additionnel à la Convention Européenne des Droits de l’Homme, qui garantit à toute personne le droit au respect de ses biens, Madame arguait notamment du fait que, puisque toute personne a droit au respect de ses biens, les restrictions de propriété doivent être prévues par la loi, poursuivre un but légitime et ménager un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu.

Ainsi, il était mis en avant le fait qu’en fixant une prestation compensatoire qui contraint, de facto, l’une des parties à se défaire d’une partie de son patrimoine pour l’honorer, il était porté atteinte au droit de chacun au respect de ses biens.

L’argumentation de la demanderesse n’a pas convaincu les juges de la Haute Juridiction qui ont retenu :

« qu’en visant à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée avec la disparition du devoir de secours, dans les conditions de vie respectives des époux et en prévoyant le versement d’une prestation compensatoire sous la forme d’un capital, ce texte poursuit le but légitime à la fois de protection du conjoint dont la situation économique est la moins favorable au moment du divorce et de célérité dans le traitement des conséquences de celui-ci » [1].

Ce faisant, la Cour de Cassation donne toute sa force au principe de la prestation compensatoire : certes, l’un des ex époux doit se défaire d’une somme pour la régler, mais cela est dans un but légitime : protéger son ex-conjoint dont la situation économique est moins favorable.

Les articles 270 et 271 du Code civil, qui énumèrent les critères objectifs, appréciés souverainement par le juge, pour fixer le montant d’une prestation compensatoire, sont donc plus d’actualité que jamais.

Il sera utilement noté que cette décision a été publiée au bulletin - publication réservée aux arrêts les plus importants-, ce qui montre la volonté de la Haute Juridiction d’en faire une décision de principe.

A bon entendeur…

Juliette Daudé
Avocate à la Cour
Barreau de Paris
Site : http://cabinet-avocat-daude.fr/

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[1Cass. 1re civ., 30 nov. 2022, n° 21-12.128, FS-B.

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Discussion en cours :

  • c’est son application par le praticien. La plaignante a donc utilisé un mauvais argument.
    En effet l’article 271 du code civil dispose que la prestation compensatoire est fixée en fonction des besoins de l’époux à qui elle est versée en tenant compte des ressources de l’époux débiteur.
    Ainsi toute la subtilité réside dans la définition du besoin, le reste de l’article 271 est absolument sans intérêt puisqu’il ne liste qu’une série de points sur lesquels on peut s’appuyer tout en précisant que la liste n’est pas limitative.
    C’est donc bien le "besoin" qu’il faut apprécier en premier puis, dans un second temps les ressources du débiteur afin de s’assurer qu’il pourra payer.
    Or dans la pratique les prestations compensatoires sont d’abord accordées en fonction de l’écart de revenus et non en fonction du besoin.
    Ainsi tel conjoint percevant un revenu de 4000€/mois percevra une prestation compensatoire si son conjoint
    gagnait 12000€/mois, alors que lui-même serait tenu de payer une prestation compensatoire si son conjoint avait gagné 2000€/mois.
    Comme le divorce met fin au devoir de secours ce devraient être les ressources du conjoint aux revenus les moins élevés qui devraient être pris en compte et uniquement les siens pour déterminer le besoin et donc le droit de percevoir une prestation compensatoire. Les revenus de l’autre conjoint ne devraient être examiné que dans un second temps pour s’assurer qu’il peut payer.
    Dans l’exemple ci-dessus 4000€ de revenus par mois ne devraient ouvrir en aucun cas le droit de percevoir une prestation compensatoire car on est alors dans les 10% des Français les mieux payés.
    De même la durée du mariage n’a, par exemple, aucune raison d’accroître systématiquement le quantum tant qu’il n’est pas prouvé qu’elle accroît le besoin du conjoint créditeur.
    Par conséquent c’est bien la pratique des juges et des praticiens qui percute l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que le paragraphe 1 du texte cité, et non les articles 270 et 271 du code civil.
    Si la plaignante citée était condamnée à payer 50000€ à un conjoint qui gagnait 4000€/mois alors oui on aurait été dans le cas d’une violation de l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que du paragraphe 1 du texte cité puisque qu’avec 4000€/mois, faisant partie des 10% des Français les plus riches on est en mesure de subvenir à ses propres besoins sans aucune difficulté.

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