1) Faits et procédure.
Lors d’une enquête préliminaire ouverte du chef susvisé, des perquisitions ont été menées dans les locaux de deux sociétés.
Certains des documents découverts étant susceptibles de relever de l’exercice des droits de la défense et d’être couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil, les sociétés se sont opposées à leur saisie en application de l’article 56-1-1 du Code de procédure pénale.
Par ordonnance du 11 avril 2023, le juge des libertés et de la détention a ordonné le versement à la procédure de certains de ces documents, dont ceux objet du scellé n° 6 comprenant deux exemplaires d’une consultation juridique émanant de Mme [Z] [O], avocate.
Les deux sociétés, le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Paris et Mme [O], notamment, ont formé des recours contre cette décision.
Le procureur financier a fait un pourvoi contre l’ordonnance du président de la chambre d’instruction.
2) Solution de la chambre criminelle.
À défaut de texte législatif contraire, l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction rendue sur le recours suspensif formé à l’encontre de la décision du juge des libertés et de la détention statuant sur la contestation, par le bâtonnier ou son délégué, de la saisie effectuée dans le cabinet ou au domicile d’un avocat, entre dans les prévisions de l’article 567 du Code de procédure pénale.
Il en va de même de l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction portant sur la saisie, réalisée hors le cabinet ou le domicile d’un avocat, d’un document ou objet susceptible de relever de l’exercice des droits de la défense et d’être couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil prévu à l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.
Dès lors, conformément à l’article 567 susvisé, le ministère public a qualité pour former un pourvoi contre l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction.
L’article 192 du Code de procédure pénale dispose que les fonctions du ministère public auprès de la chambre de l’instruction sont exercées par le procureur général ou par ses substituts.
Il en résulte que le procureur général a, seul, qualité pour former un pourvoi contre la décision susvisée, les dispositions de l’article 56-1 du code précité, auxquelles renvoie l’article 56-1-1 de ce code, selon lesquelles le procureur de la République, s’il est le magistrat qui a procédé à la perquisition, est entendu par le juge des libertés et de la détention et, en cas de recours, par le président de la chambre de l’instruction, ne conférant pas pour autant au procureur de la République la qualité de représentant du ministère public devant le président de la chambre de l’instruction.
En conséquence, le pourvoi formé par le procureur de la République financier est irrecevable.
La Cour de cassation déclare le pourvoi irrecevable.
3) Analyse.
Le cabinet d’avocats est un « asile sacré dans lequel aucun huissier ne pouvait instrumenter aux fins de signification » [1].
La jurisprudence de la chambre criminelle en matière de perquisition en cabinet d’avocats est de plus en plus fournie.
Ceci s’explique par le fait que le nombre de perquisitions en cabinet d’avocats ne cesse de croitre.
À Paris, il y a environ 40 perquisitions en cabinet d’avocats par an.
40 perquisitions en cabinet d’avocats de trop, dirait Vincent Nioré !
À cet égard, le droit des perquisitions en cabinet d’avocat a beaucoup évolué notamment avec la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
Le Barreau de Paris s’était battu contre cette réforme qui était soi-disant plus protectrice pour les avocats, selon ses initiateurs.
Le Barreau de Paris avait notamment vivement contesté l’article 3 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et avait organisé de nombreuses manifestations pour faire échec à ce texte.
L’article 3 de loi du 22 décembre 2021 complète l’article préliminaire du Code de procédure pénale y réaffirmant le secret de la défense et le secret du conseil.
Toutefois, il prévoit des exceptions.
À cet égard, le secret professionnel du conseil ne serait pas opposable aux mesures d’enquête et d’instruction : en matière de fraude fiscale, de corruption et de trafic d’influence en France comme à l’étranger, ainsi que de blanchiment de ces délits [2] et lorsque les consultations, correspondances ou pièces, détenues ou transmises par l’avocat ou son client, établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions.
Fort heureusement, le CNB a arraché qu’il soit ajouté dans cet article que ces règles s’appliquent « sans préjudice des prérogatives du bâtonnier ou de son délégué ».
Ceci permet, en pratique au Bâtonnier ou à son délégué de contester les saisies mêmes dans les matières susvisées et ensuite de plaider devant le JLD ou le président de la chambre d’instruction, la restitution des éléments saisis.
Dans un tweet du 18 novembre 2021 adressé à tous les avocats et à leurs représentants, le Ministre de la justice avait suggéré des modifications du texte litigieux ou à défaut, un retrait de l’article 3 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire avec maintien des règles en vigueur à l’époque [3].
Finalement, le CNB avait opté pour le retrait du texte comme le suggérait le Ministre mais in fine, le texte de loi a été voté dans des termes proches de la version proposée par le Ministre de la Justice.
D’arrêt en arrêt, la chambre criminelle de la Cour de cassation tisse sa jurisprudence sur les perquisitions en cabinet d’avocats.
3.1) Cass. crim. 13 mars 2023, n° 22-83.757 : irrecevabilité du recours contre une ordonnance du JLD rejetant une exception de nullité.
Dans un arrêt de la chambre criminelle publié au bulletin du 13 mars 2023 (n° 22-83.757), cette dernière avait affirmé que le recours devant le président de la chambre de l’instruction, prévu à l’alinéa 8 de l’article 56-1 du Code de procédure pénale, de la décision prise par le JLD sur la contestation élevée par le bâtonnier, à la suite de la saisie d’un document ou d’un objet dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile, n’est ouvert que contre celle qui prononce soit la restitution immédiate du scellé soit son versement à la procédure.
Est, dès lors, irrecevable le recours formé contre une ordonnance rejetant une exception de nullité et ordonnant, avant dire droit, une expertise informatique des scellés.
3.2) Cass. crim 3 oct. 2023, n° 23-80.251 : précisions de la chambre criminelle sur l’appel de l’ordonnance du JLD.
Dans un arrêt de la chambre criminelle du 3 octobre 2023 (n° 23-80.251) publié au bulletin de la Cour de cassation, cette dernière affirme que ni l’article 56-1 du Code de procédure pénale ni aucune autre disposition de procédure pénale ne prévoyant la forme du recours ouvert contre l’ordonnance du juge des libertés et de la détention statuant en matière de contestation de saisie réalisée au cabinet d’un avocat ou à son domicile, un tel recours peut être effectué par déclaration au greffe de la chambre de l’instruction tout autant que par déclaration d’appel au greffe du premier juge.
Il résulte de ce même texte que, saisi d’un tel recours, le président de la chambre de l’instruction statue à nouveau en fait et en droit sur la contestation.
Encourt en conséquence la censure l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction qui énonce que le recours ouvert devant lui ne vise qu’à faire obstacle au versement immédiat des pièces dont la saisie a été autorisée par le juge des libertés et de la détention et ne saurait se substituer à un appel.
3.3) Cass. crim. 11 juin 2024, n° 23-87.202 : irrecevabilité du pourvoi du procureur financier contre une ordonnance du président de la chambre d’instruction.
L’article 56-1-1 a été inséré par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
Il dispose que lorsque, à l’occasion d’une perquisition dans un lieu autre que ceux mentionnés à l’article 56-1, il est découvert un document mentionné au deuxième alinéa du même article 56-1, la personne chez qui il est procédé à ces opérations peut s’opposer à la saisie de ce document. Le document doit alors être placé sous scellé fermé et faire l’objet d’un procès-verbal distinct de celui prévu à l’article 57.
Ce procès-verbal ainsi que le document placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l’original ou une copie du dossier de la procédure.
Les quatrième à neuvième alinéas de l’article 56-1 sont alors applicables.
Dans cet arrêt, au visa l’article 192 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation déclare le procureur de la République financier irrecevable pour former un pourvoi contre l’ordonnance du président de la chambre de l’instruction prononçant sur une contestation élevée en matière de saisie d’un document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil.
Seul le procureur général a, seul, qualité pour former un pourvoi contre cette ordonnance du président de la chambre de l’instruction.
La règle doit être d’interprétation stricte.
La Cour de cassation recadre sèchement le procureur de la République financier.
Cette décision, qu’il faut saluer, va probablement être largement diffusée au sein du PNF.
Source.
- Cass. crim. 11 juin 2024, n° 23-87.202
- Perquisition chez l’avocat : irrecevabilité du recours contre une ordonnance du JLD rejetant une exception de nullité
- Perquisition chez l’avocat : précisions de la chambre criminelle sur l’appel de l’ordonnance du JLD
- Perquisition chez l’avocat : guide de survie
- Perquisition au domicile ou cabinet d’un avocat : les nouvelles règles à partir du 1er mars 2022.