Perquisitions chez l’avocat : les articles 56-1 et 56-1-2 du CPP sont conformes à la Constitution.

Par Frédéric Chhum, Avocat.

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Explorer : # secret professionnel # perquisition # droits de la défense # constitutionnalité

Le Conseil constitutionnel refuse de donner au secret professionnel de l’avocat valeur constitutionnelle.
Cette décision est décevante mais attendue.
Dans sa décision n°2022-1031 du 19 janvier 2023, le Conseil constitutionnel juge conforme à la Constitution les articles 56-1 et 56-1-1 du Code de procédure pénale qui régissent les perquisitions au domicile ou au cabinet d’un avocat.

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Le 28 juillet 2022, l’ordre des avocats au barreau de Paris (rejoint par le Barreau des Hauts de seine) avait fait un recours devant le Conseil d’Etat contre la circulaire du 28 février 2022 du garde des sceaux présentant les dispositions de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Dans ce cadre, le 19 octobre 2022, le Conseil d’Etat a saisi le Conseil constitutionnel d’une QPC (question prioritaire de constitutionnalité) sur la conformité des articles 56-1 et 56-1-2 du Code de procédure pénale.

1) L’argumentaire des requérants.

Les requérants soutenaient que ces dispositions méconnaîtraient le secret professionnel de la défense et du conseil de l’avocat, qu’ils invitent le Conseil constitutionnel à reconnaître comme une exigence constitutionnelle, ainsi que les droits de la défense, le droit au respect de la vie privée, le secret des correspondances, le droit à un procès équitable et le droit de ne pas s’auto-incriminer.

À cet égard, ils reprochaient au deuxième alinéa de l’article 56-1 du Code de procédure pénale de permettre, à l’occasion de la perquisition réalisée dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile, la saisie d’un document couvert par le secret professionnel du conseil lorsqu’il ne relève pas de l’exercice des droits de la défense.

Ils reprochaient également à l’article 56-1-2 du même code de prévoir que le secret professionnel du conseil ne peut être invoqué pour s’opposer à la saisie de certains documents même lorsqu’ils relèvent de l’exercice des droits de la défense.

L’ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine, rejoint par certaines parties intervenantes, faisait en outre valoir que la condition tenant à l’existence de « raisons plausibles » de soupçonner l’avocat de la commission d’une infraction, exigée lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de ce dernier, serait trop imprécise.

Par ailleurs, en cas de contestation de la régularité de la saisie soulevée par le bâtonnier au cours de la perquisition, le délai de cinq jours dans lequel le juge des libertés et de la détention est tenu de statuer serait trop bref. Il en résulterait une méconnaissance des exigences constitutionnelles précitées.

L’ordre des avocats au barreau de Paris soutenait enfin que, pour les mêmes motifs, les dispositions renvoyées seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ces mêmes exigences.

La question prioritaire de constitutionnalité portait sur les mots « raisons plausibles » figurant à la cinquième phrase du premier alinéa de l’article 56-1 du Code de procédure pénale, sur les mots « relevant de l’exercice des droits de la défense » figurant au deuxième alinéa du même article et sur les mots « dans les cinq jours » figurant au quatrième alinéa du même article, ainsi que sur l’article 56-1-2 du même code.

L’une des parties intervenantes fait par ailleurs valoir que les dispositions contestées de l’article 56-1 du Code de procédure pénale méconnaîtraient l’exigence de clarté et d’intelligibilité de la loi ainsi que le droit à un recours juridictionnel effectif.

Elle soutient en outre que l’article 56-1-2 du même code serait contraire au principe d’égalité devant la loi.

2) Solution du Conseil constitutionnel.

2.1) Sur les dispositions contestées de l’article 56-1 du Code de procédure pénale.

2.1.1) Pas de contrariété à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme.

L’article 56-1 du Code de procédure pénale prévoit les conditions dans lesquelles une perquisition peut être réalisée dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile ainsi que les modalités selon lesquelles les documents ou objets se trouvant sur les lieux peuvent être saisis.

En premier lieu, selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Si sont garantis par ces dispositions les droits de la défense, aucune disposition constitutionnelle ne consacre spécifiquement un droit au secret des échanges et correspondances des avocats.

Les dispositions contestées du deuxième alinéa de l’article 56-1 du Code de procédure pénale interdisent la saisie des documents couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 mentionnée ci-dessus, dès lors qu’ils relèvent de l’exercice des droits de la défense.

Ainsi, ces dispositions n’ont pas pour objet de permettre la saisie de documents relatifs à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d’une sanction et relevant, à ce titre, des droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration de 1789.

Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de ces droits ne peut qu’être écarté.

2.1.2) Pas de contrariété au droit au respect de la vie privée ni au secret des correspondances.

En second lieu, il incombe au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la recherche des auteurs d’infractions, nécessaire à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des droits et des libertés constitutionnellement garantis. Au nombre de ces derniers figurent le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances, protégés par l’article 2 de la Déclaration de 1789.

Les dispositions contestées permettent la saisie de documents et objets se trouvant dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile.

Toutefois, d’une part, la perquisition ne peut, à peine de nullité, être réalisée qu’après avoir été autorisée par une décision motivée du juge des libertés et de la détention, qui indique la nature de l’infraction sur laquelle porte les investigations, les raisons justifiant cette mesure, son objet et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits. Lorsqu’une telle mesure est justifiée par la mise en cause de l’avocat, cette autorisation est subordonnée à la condition, qui n’est pas imprécise, tenant à l’existence de raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction qui fait l’objet de la procédure ou une infraction connexe.

D’autre part, la perquisition ne peut pas conduire à la saisie de documents ou objets relatifs à d’autres infractions que celles mentionnées dans la décision autorisant cette mesure.

Elle ne peut être effectuée que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, lequel peut s’opposer à la saisie s’il l’estime irrégulière. Dans ce cas, le juge des libertés et de la détention statue sur cette contestation, dans un délai de cinq jours, par ordonnance motivée et susceptible d’un recours suspensif devant le président de la chambre de l’instruction.

Dès lors, les dispositions contestées de l’article 56-1 du Code de procédure pénale procèdent à une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances.

Par conséquent, ces dispositions, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et qui ne méconnaissent pas non plus le droit à un procès équitable, le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

2.2) Sur l’article 56-1-2 du Code de procédure pénale.

Ce texte avait été très contesté par les avocats et les institutions ordinales et nationales des avocats.

Dans un tweet du 18 novembre 2021 [1] adressé à tous les avocats et à leurs représentants, le Ministre de la justice avait suggéré des modifications du texte litigieux ou à défaut, un retrait de l’article 3 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire avec maintien des règles en vigueur à l’époque.

Le barreau de Paris avait vivement contesté l’article 3 du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et avait organisé de nombreuses manifestations pour contester ce texte.

Finalement, les représentants des avocats avait opté pour le retrait du texte comme le suggérait le Ministre mais in fine, le texte de loi a été voté dans des termes proches de la version proposée par le Ministre de la Justice Dupond Moretti.

Les dispositions contestées prévoient que, par exception à l’article 56-1 du Code de procédure pénale, lorsqu’un document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel du conseil est découvert à l’occasion d’une perquisition réalisée dans le cabinet d’un avocat, à son domicile ou dans un autre lieu, ce secret n’est, sous certaines conditions, pas opposable aux mesures d’enquête ou d’instruction relatives à certaines infractions. Ces dispositions sont ainsi susceptibles de porter atteinte aux droits de la défense.

Le Conseil constitutionnel raisonne en 4 temps.

2.2.1) Objectifs de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et de lutte contre la fraude fiscale.

En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu permettre la saisie de documents qui tendent à révéler une fraude fiscale ou la commission d’autres infractions. Il a ainsi poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et de lutte contre la fraude fiscale.

2.2.2) L’article 56-1-1 ne s’applique pas aux documents couverts par le secret professionnel de la défense.

En second lieu, d’une part, les dispositions contestées ne s’appliquent pas aux documents couverts par le secret professionnel de la défense.

2.2.3) Secret professionnel du conseil : seuls sont susceptibles d’être saisis ceux qui ont été utilisés aux fins de commettre ou de faciliter la commission des infractions de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence, financement d’une entreprise terroriste ou encore de blanchiment de ces délits.

D’autre part, parmi les documents couverts par le secret professionnel du conseil, seuls sont susceptibles d’être saisis ceux qui ont été utilisés aux fins de commettre ou de faciliter la commission des infractions de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence, financement d’une entreprise terroriste ou encore de blanchiment de ces délits.

2.2.4) Le bâtonnier, son délégué ou la personne chez laquelle il est procédé à la perquisition peuvent s’opposer à la saisie de ces documents dans les conditions prévues aux articles 56-1 et 56-1-1 du Code de procédure pénale.

En outre, le bâtonnier, son délégué ou la personne chez laquelle il est procédé à la perquisition peuvent s’opposer à la saisie de ces documents dans les conditions prévues aux articles 56-1 et 56-1-1 du Code de procédure pénale.

Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance des droits de la défense doit être écarté.

Il en va de même, pour ces mêmes motifs et ceux énoncés aux paragraphes 15 et 16, des griefs tirés de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée et du secret des correspondances.

Il résulte de tout ce qui précède que l’article 56-1-2 du Code de procédure pénale, qui n’est pas entaché d’incompétence négative et qui ne méconnaît pas non plus le droit à un procès équitable, le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser ou le principe d’égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doit être déclaré conforme à la Constitution.

3) Analyse.

3.1) Sur l’article 56-1 du CPP : une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances.

Le Conseil constitutionnel refuse de reconnaître le secret professionnel de la défense et du conseil comme une exigence constitutionnelle.

C’est décevant mais attendu.

Cela aurait été une avancée pour le secret professionnel de la défense et du Conseil des avocats.

Le Conseil constitutionnel considère que les dispositions contestées de l’article 56-1 du Code de procédure pénale procèdent à une conciliation équilibrée entre, d’une part, l’objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions et, d’autre part, le droit au respect de la vie privée et le secret des correspondances.

Dans son article, le secret professionnel de l’avocat n’est pas en péril ! Notre secret est un chef d’œuvre à haute valeur constitutionnelle, Vincent Nioré, vice Bâtonnier de Paris, reste positif malgré la décision du Conseil constitutionnel [2].

Il considère, à juste titre, que

« Exerçant les droits de la défense, [le Bâtonnier ou son délégué] est dès lors investi d’une mission dont le Conseil constitutionnel juge qu’elle a valeur constitutionnelle au contraire du secret professionnel auquel cette vénérable institution refuse à tort cette même valeur. Le texte de l’article 56-1 du Code de procédure pénale par sa référence à la protection de l’exercice des droits de la défense par le magistrat renforce cette interprétation.
Et c’est dans ce refus de constitutionnaliser le secret professionnel que réside la difficulté puisque le Conseil constitutionnel, par excès d’amour propre sans doute, ne tire pas les conséquences de la nature constitutionnelle que la chambre criminelle de la Cour de cassation assigne au rôle du bâtonnier
 ».

3.2) Sur l’article 56-1-2 du CPP.

Cette disposition avait été très décriée par les avocats et les institutions ordinales lors de la discussion parlementaire en 2021.

Le Conseil constitutionnel rappelle que cette disposition ne s’applique pas au secret professionnel de la défense (c’est toujours bien de le rappeler).

L’article 56-1-2 dispose qu’en matière de secret professionnel du Conseil, sont susceptibles d’être saisis ceux qui ont été utilisés aux fins de commettre ou de faciliter les infractions de fraude fiscale, corruption, trafic d’influence, financement d’une entreprise terroriste ou encore de blanchiment de ces délits.

Toutefois, dans sa décision, le Conseil constitutionnel rappelle que le bâtonnier ou son délégué ou la personne chez laquelle il est procédé à la perquisition peuvent s’opposer à la saisie de ces documents dans les conditions prévues aux articles 56-1 et 56-1-1 du Code de procédure pénale.

Avec cette décision du Conseil constitutionnel, le rôle du bâtonnier ou de son délégué présent en perquisition au domicile ou cabinet d’un avocat est réaffirmé.

Il appartient donc au bâtonnier ou de son délégué, lors des perquisitions, de contester les saisies opérées, pièce par pièce.

Un débat contradictoire aura lieu ensuite devant le JLD, le cas échéant en appel devant la chambre de l’instruction et devant la Cour de cassation.

Un recours européen vient d’être régularisé devant la Commission Européenne contre l’article 56-1-2 du CPP pour manquement au sens de l’article 258 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne [3]. Enfin, concernant la circulaire du 28 février 2022, il appartient au Conseil d’Etat de déterminer si elle doit être ou non annulée notamment au regard de la loi du 21 décembre 2021.

Sources.

- Conseil constitutionnel : décision n° 2022-1030 du 19 janvier 2023
- Perquisitions au domicile ou cabinet d’un avocat : les nouvelles règles à partir du 1er mars 2022
- Vis ma vie de MCO : une perquisition en cabinet d’avocat [4]
- Le secret professionnel de l’avocat n’est pas en péril ! Notre secret est un chef d’œuvre à haute valeur constitutionnelle [5]
- Perquisitions en cabinet d’avocats : la QPC de l’ordre de Paris transmise au Conseil constitutionnel !
- Perquisition fiscale chez l’avocat : un même JLD ne peut effectuer une saisie et statuer sur sa contestation
- Vincent Nioré, Perquisitions chez l’avocat, défense des secrets et inviolabilité de l’asile sacré, édition Lamy Axe droit 2014.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

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