La Cour de justice restaure-t-elle l'indivisibilité du secret professionnel de l'avocat ? Par François Viangalli, Avocat.

La Cour de justice restaure-t-elle l’indivisibilité du secret professionnel de l’avocat ?

Par François Viangalli, Avocat.

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La Cour de justice a confirmé que le secret professionnel de l'avocat s'applique aussi au conseil non-contentieux, en opposition à la jurisprudence française qui distingue défense et conseil. Cette décision protège la confidentialité client-avocat, essentielle pour maintenir la confiance et le respect de la vie privée.
Description rédigée par l'IA du Village

Dans une décision du 26 septembre 2024, la Cour de justice juge que le secret professionnel de l’avocat protège également ses fonctions de conseil, notamment en droit fiscal. Ce faisant, elle semble bien écarter toute idée de limitation du secret à la seule défense contentieuse, brisant nécessairement, si cela devait être confirmé, toute la jurisprudence de la Cour de cassation française, tirée de la célèbre affaire des écoutes téléphoniques de l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, dans ses conversations hors contentieux avec son avocat. Preuve, une fois de plus, de la puissance du droit européen, devant lequel le droit national cède par l’effet de la primauté.

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Le secret professionnel de l’avocat doit-il être limité à la défense, à l’exclusion du conseil non-contentieux ?

C’est à cette question que la Cour de justice vient de répondre par la négative, dans un arrêt du 26 septembre 2024, retenant une conception indivisible du secret professionnel, contredisant sur ce point la jurisprudence française de la Cour de cassation qui, en matière pénale tout au moins, distingue le conseil de la défense proprement dite.

En l’espèce, il était question d’une procédure fiscale non contentieuse au Luxembourg. En vertu d’une loi de 1931, dite loi générale des impôts, et d’une loi spéciale du 25 novembre 2014, le fisc luxembourgeois disposait du pouvoir d’enjoindre un avocat de communiquer des « renseignements de toute nature » relatifs à la situation d’un de ses clients, sous peine d’amende. Un avocat ainsi enjoint de révéler des éléments sur le montage social réalisé par l’un de ses clients, hors tout contentieux, s’était vu infliger une amende pour avoir refusé, au nom du secret professionnel, de donner suite à l’injonction, et contestait en justice la conformité au droit de l’Union européenne de la loi luxembourgeoise sur ce point.

Saisie à titre préjudiciel, la Cour de justice considère ici que tant l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux que la directive 16/2011 sur la coopération administrative en matière fiscale font obstacle à ce qu’un droit national autorise le fisc à exiger d’un avocat-conseil qu’il révèle des informations sur son client, recueillies au cours de sa mission.

Cela peut paraître évident, tant on aurait du mal à concevoir que l’activité d’avocat fiscaliste puisse être exercée en fait de conseil, si la loi permet au fisc d’exiger de l’avocat qu’il transmette toutes les informations que le client lui a révélées.

L’ingénierie fiscale, qui consiste à utiliser les ressorts de la légalité, serait purement et simplement réduite à peau de chagrin si le fisc pouvait systématiquement en connaître les développements. L’illégalité est une chose, et en l’occurrence elle peut constituer une fraude fiscale. Mais la probe intelligence en est une autre, sauf à appeler de ses vœux une société de surveillance et de contrôle omniprésent.

Toutefois, cette décision de la Cour de Luxembourg pourrait bien briser la célèbre jurisprudence « Paul Bismuth » de la Cour de cassation française, établie à l’occasion des écoutes téléphoniques de l’avocat de l’ancien président de la République, M. Nicolas Sarkozy.

Dans la matière pénale, le Chambre criminelle considère ainsi que le secret professionnel ne protège pas les conversations entre un avocat et son client en dehors de la procédure, en amont de celle-ci, dont le contenu est « étranger à tout exercice des droits de la défense », et que donc le conseil n’est pas protégé comme l’est la défense.

La Chancellerie ayant fait bonne recommandation aux juges d’appliquer ladite jurisprudence, par circulaire du 28 février 2022, le Conseil d’état a lui-même été saisi d’un recours en annulation de cette dernière, qu’il a rejeté sans peine, ne trouvant rien à redire à l’idée que les échanges entre l’avocat et son client en amont de toute procédure puissent ne pas être couverts par le secret professionnel. Pour le Palais royal, il n’existe pas, en effet, de principe européen d’indivisibilité du secret professionnel, si bien qu’il est parfaitement possible de protéger par le secret la défense, et de ne pas protéger le conseil.

Ces deux jurisprudences nationales pourraient bien s’avérer contredites par la cour.

Cette dernière, précisément, ne distingue dans sa décision aucunement le conseil de la défense, et protège l’un autant que l’autre. Mieux encore, la Cour de Luxembourg considère explicitement que la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client ne peut être remise en cause que dans des « situations exceptionnelles », pour ne pas ruiner la confiance entre le client et son avocat, et ne pas également enfreindre le droit au respect de la vie privée, à l’intérieur duquel le secret professionnel prend racine dans le chef du client.

Certes, il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que la solution retenue dans cette décision rendue en matière de contrôle fiscal soit transposable à la matière pénale, notamment lorsque l’avocat concerné est suspecté de participer lui-même à la commission d’une infraction, tant il est vrai que l’avocat n’est pas au-dessus des lois, et que le secret professionnel ne constitue pas davantage une immunité.

Mais il est probable, dans ce dernier cas, que les autorités pénales devront disposer préalablement d’autres indices de la complicité de l’avocat avant de le placer sous écoute, car on ne voit pas comment le critère des « circonstances exceptionnelles » précité pourrait autrement être rempli, si un juge d’instruction pouvait, sans autre fondement qu’une suspicion subjective non étayée, recueillir des informations sur le conseil juridique qu’un avocat aurait prodigué en dehors de toute procédure. L’avenir le dira, si la question se pose à nouveau.

Démonstration est en tout cas faite, si besoin était encore, de la puissance du droit européen, qui peut littéralement renverser le droit national, par le biais d’une question préjudicielle, dont l’issue peut être déterminante dans tout type de contentieux.

François Viangalli,
Maître de conférences à l’Université Grenoble-Alpes
Avocat of counsel
Départements de droit européen et de droit du numérique
Cabinet Borel & Del Prete (Aix-en-Provence)
www.borel-delprete.com

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