Il est des conflits de voisinage qui prennent toute une vie.
Une parcelle a été divisée en deux parcelles en exécution d’un acte notarié du 14 février 2008 ayant eu pour but de rectifier le tracé des limites de propriétés. Une des parcelles issues de cette division a été attribuée aux propriétaires du terrain voisin.
L’on devine donc qu’il y a eu un précédent différend entre ces voisins quant à la délimitation des propriétés et que c’est pour cela qu’une division parcellaire a été organisée.
La difficulté c’est que le propriétaire d’origine de la parcelle divisée a reproché à ses voisins, à qui la parcelle divisée a été attribuée pour rectifier les limites séparatives, d’avoir commis un empiètement sur sa propriété lors de l’édification d’un mur séparatif.
Ne parvenant pas à trouver un accord amiable, le premier propriétaire, victime de l’empiètement, a assigné ses voisins devant le tribunal judiciaire (à l’époque tribunal de grande instance) en sollicitant la démolition du mur litigieux qui empiète sur son fonds.
Puis le litige a été porté devant la Cour d’appel de Lyon, qui a rejeté la demande de condamnation à démolir.
La Cour d’appel de Lyon a en effet retenu
« l’absence d’empiètement des murs mais l’existence de débordements des fondations de béton qui, de faible ampleur et aisément "rectifiables d’un coup de pioche" ne peuvent justifier la démolition entière d’un mur ».
Cet arrêt de la Cour d’appel de Lyon retient donc en substance qu’un empiètement mineur n’entraîne pas nécessairement une condamnation à démolir. En d’autres termes, la condamnation à démolir un ouvrage qui empiète ne peut pas être prononcée s’il y a disproportion entre les conséquences de cette démolition et la gravité de l’empiètement.
Cet arrêt est à rebours de l’ensemble de la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle en la matière, il n’y a pas de petit empiètement.
Il est vrai que la Cour de cassation a semé la confusion pour de nombreux lecteurs en retenant dans un arrêt du 19 décembre 2019 que
« un immeuble d’habitation construit par le propriétaire d’un fonds grevé d’une servitude conventionnelle de passage empiétant sur l’assiette de cette servitude, prive sa décision de base légale la Cour d’appel qui ordonne la démolition de l’immeuble sans rechercher, comme il le lui était demandé, si cette mesure n’est pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » [2].
Il y aurait donc, suivant ce précédent arrêt, la nécessité de vérifier si la démolition n’est pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile.
Néanmoins, cet arrêt de 2019 était à interpréter avec prudence puisqu’il était relatif à des circonstances particulières : l’empiètement n’était pas causé chez le voisin, mais sur une servitude de passage appartenant à l’auteur de l’empiètement. Ce qui est nettement différent.
Par son arrêt du 4 mars 2021, la Cour de cassation met un terme à l’hésitation qui avait suivi ce précédent arrêt de 2019.
Elle réforme en effet l’arrêt de la Cour d’appel et en rappelant la rigueur de sa jurisprudence en la matière :
« en statuant ainsi, alors qu’ayant constaté un empiètement, fût-il minime, il lui incombait d’ordonner toute mesure de nature à y mettre fin, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».
La Cour de cassation rappelle donc qu’il n’y a pas de petit empiètement. Quelle que soit son ampleur, un empiètement doit être sanctionné par la démolition de l’ouvrage qui empiète.
L’affaire est renvoyée devant la Cour d’appel de Lyon. Ce n’est donc pas fini.