1) Dans l’espèce ayant conduit à l’arrêt de la Cour de cassation du 4 avril 2024, le bénéficiaire d’un permis de construire obtenu en 2015 a édifié sa maison sans respecter les dispositions de son autorisation d’urbanisme.
Plus particulièrement, il n’a pas respecté les règles de hauteur et de distance d’implantation du bâtiment avec les limites séparatives.
Estimant que cette irrégularité lui est préjudiciable, la voisine de la construction litigieuse a sollicité du juge des référés une expertise judiciaire. Il y a été fait droit et l’expert judiciaire désigné a confirmé que les hauteurs de la construction et son implantation n’étaient pas conformes à celles visées dans l’autorisation d’urbanisme.
Puis, l’expert relève que la construction litigieuse cause un préjudice à la demanderesse puisque la « vue panoramique » dont bénéficiait cette dernière sur la côte et le littoral était gravement réduite par le bâtiment, et qu’elle subit en outre une importante perte d’ensoleillement.
Forte de cette conclusion de l’expert judiciaire, la voisine a engagé une action au fond devant le tribunal judiciaire afin d’obtenir la démolition de la construction litigieuse.
Après un jugement de première instance, un arrêt d’appel, un arrêt de cassation du 5 novembre 2020 qui a renvoyé le dossier devant la Cour d’appel de Saint-Denis, un nouvel arrêt d’appel rendu par cette dernière le 17 juin 2002 et un nouveau pourvoi en cassation, la Cour de cassation condamne définitivement l’auteur de la construction litigieuse à remettre cette dernière en conformité avec le permis de construire.
A la lecture de la décision il semble qu’en réalité la mise en conformité de la maison implique nécessairement sa démolition.
2) La Cour de cassation suit le raisonnement suivant : rappelons d’abord qu’aux termes de l’article 1240 du Code civil,
« Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
Ce principe cardinal du Code civil implique donc que celui qui commet une faute doit réparer le préjudice que sa faute cause à un tiers. Il s’agit de la définition de la responsabilité (quasi-) délictuelle, qualifiée également de responsabilité extracontractuelle.
En l’espèce, il ne fait aucun doute que le fait de ne pas respecter les dispositions de l’autorisation d’urbanisme constitue une faute. D’ailleurs, une construction qui ne respecte pas les prescriptions de son autorisation d’urbanisme est une construction purement et simplement illégale, dans les mêmes conditions que si la construction avait été édifiée sans autorisation d’urbanisme.
De même, tant l’existence du préjudice de la voisine du projet que son lien de causalité avec l’illégalité de la construction sont indiscutables.
Le principe de la responsabilité délictuelle du propriétaire de la construction illégale est en conséquence acquis.
C’est pourquoi, la demanderesse (et défenderesse au pourvoi) a engagé une procédure devant le tribunal judiciaire pour obtenir la condamnation de son voisin à démolir sa construction illégale.
La Cour de cassation était cependant interrogée sur la possibilité, ou l’obligation, pour le juge d’apprécier la proportionnalité de la sanction.
Sa réponse est la suivante :
« Le juge du fond, statuant en matière extracontractuelle, ne peut apprécier la réparation due à la victime au regard du caractère disproportionné de son coût pour le responsable du dommage ».
La conclusion de la Cour de cassation serai donc qu’il suffit que le juge constate qu’il est établi « que la construction édifiée en violation des prescriptions du permis de construire avait causé un préjudice direct au voisin ».
En d’autres termes, il n’y a pas de contrôle de proportionnalité à faire entre l’atteinte aux droits des tiers et le coût de la démolition.
Cette solution semble logique au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de responsabilité extracontractuelle.
Il est tentant de généraliser la solution, en retenant qu’il n’y a jamais de contrôle de proportionnalité de la sanction en matière extracontractuelle.
Cette conclusion est cependant à nuancer.
3) D’abord parce que dans son arrêt du 4 avril 2024, la Cour de cassation s’applique à préciser qu’il n’y a pas à prendre en considération le « coût » de la démolition pour apprécier la proportionnalité de la sanction.
C’est bien le coût de la démolition qui est l’objet de la décision. Rien ne permet d’affirmer à la lecture de cette seule décision, si des conséquences d’une particulière gravité pour l’auteur de la construction illégale ne serait pas à prendre en considération, au-delà de la seule question du coût de la démolition.
4) Ensuite parce qu’en matière de trouble anormal de voisinage, la Cour de cassation a rendu un arrêt le 7 décembre 2017 aux termes duquel elle n’écarte pas clairement la possibilité d’examiner la proportionnalité de la sanction avec la situation de l’auteur du trouble :
« Mme X... s’étant bornée à soutenir dans ses conclusions d’appel que la démolition de sa maison entraînerait pour elle des conséquences extrêmement lourdes voire dramatiques, la cour d’appel n’avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée » [1].
La Cour de cassation semble par conséquent sous-entendre que si l’appelante avait mieux motivé sa demande, la cour d’appel aurait eu « à procéder à une recherche » qui lui aurait alors été demandée. Il eut fallu qu’elle ne se soit pas « bornée à soutenir » que la démolition entraînerait des conséquences graves « voire dramatiques ».
Naturellement, il ne faut pas faire dire à l’arrêt de 2017 ce qu’il ne dit pas, mais si les mots ont un sens, la Cour de cassation n’a pas fermé la porte à la possibilité d’examiner la proportionnalité de la sanction dans ce précédent arrêt.
D’ailleurs, dans un arrêt de 2021, toujours sur le fondement du trouble anormal de voisinage (et non d’un empiètement), la Cour de cassation prononce la condamnation à démolir l’immeuble litigieux, mais après avoir vérifié qu’il n’y avait pas disproportion entre le droit auquel il a été porté atteinte, et les conséquences de la démolition :
« Attendu qu’il y a dès lors lieu de constater que l’ouvrage litigieux cause, du fait de sa construction dans une zone de faible densité urbaine de la commune d’[Localité], un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage, sans qu’il y ait lieu de rechercher si une faute a été commise,
Attendu qu’il n’est pas rapporté la preuve de l’impossibilité technique de procéder à la destruction de l’extension litigieuse ;
Attendu que celle-ci ne porterait pas une atteinte disproportionnée à la vie familiale et privée au sens de l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme s’agissant d’une extension à une maison d’habitation constituée d’un garage, d’une terrasse et d’un abri de jardin, et non de pièces à vivre et la demande de destruction ne portant pas sur la transformation du garage en salle à manger » [2].
5) Il n’y a finalement que sur le fondement de l’empiètement que la Cour de cassation affirme clairement qu’il n’y a pas lieu d’examiner la proportionnalité entre la sanction et l’importance de l’empiètement ou ses conséquences pour son auteur :
« Pour rejeter la demande de démolition, l’arrêt retient que, si les empiétements dénoncés sont établis, il convient néanmoins d’apprécier si la démolition réclamée n’est pas démesurée compte tenu des intérêts en présence.
Après avoir constaté que les parcelles de M. et Mme [E] ne supportent aucune construction et que la demande de démolition porte atteinte à la consistance même de l’immeuble, et donc à la solidité et à la sécurité des occupants, mais également à la collectivité des copropriétaires risquant d’être privée d’eau, d’électricité et de téléphone, la Cour d’appel en déduit qu’il existe une disproportion manifeste entre l’atteinte au droit de propriété subie et la mesure sollicitée.
En statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors que tout propriétaire est en droit d’obtenir la démolition d’un ouvrage empiétant sur son fonds, la cour d’appel a violé le texte susvisé » [3].
Dans cette décision, il est donc clair que l’empiètement entraîne automatiquement la condamnation de l’auteur de l’empiètement à mettre fin à l’empiètement, au besoin par la démolition de l’ouvrage.
Il reste que la solution retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 4 avril 2024 en matière extracontractuelle ne doit pas être trop rapidement posée en principe absolu.
6) L’application de la sanction de la démolition en matière d’atteinte aux règles contractuelles de lotissement nous enseigne d’ailleurs que la jurisprudence de la Cour de cassation n’est jamais immuable.
En effet, si la Cour de cassation a appliqué de manière constante le principe de la démolition automatique de la construction illégale, elle semble avoir nuancé sa solution par un arrêt du 13 juillet 2022.
Pour mémoire, en matière de violation d’un cahier des charges de lotissement, la Cour de cassation jugeait de manière constante que la démolition doit être prononcée dans une telle hypothèse, peu importe le caractère ou non disproportionné de cette condamnation [4].
Or, par un arrêt du 13 juillet 2002, elle semble avoir mis fin à cette position catégorique en retenant au contraire qu’au regard des circonstances de l’espèce la démolition avait un caractère disproportionné :
« Ayant retenu qu’il était totalement disproportionné de demander la démolition d’un immeuble d’habitation collective dans l’unique but d’éviter aux propriétaires d’une villa le désagrément de ce voisinage, alors que l’immeuble avait été construit dans l’esprit du règlement du lotissement et n’occasionnait aucune perte de vue ni aucun vis-à-vis, la cour d’appel, qui a fait ressortir l’existence d’une disproportion manifeste entre le coût de la démolition pour le débiteur et son intérêt pour les créanciers, a pu déduire, de ces seuls motifs, que la demande d’exécution en nature devait être rejetée et que la violation du cahier des charges devait être sanctionnée par l’allocation de dommages-intérêts » [5].
Il sera relevé que les circonstances fondant la disproportion entre la sanction et le préjudice étaient particulières. Il s’agissait d’un immeuble collectif et la Cour de cassation prend le soin de relever que l’immeuble restait conforme à « l’esprit du règlement ».
Il demeure que cet arrêt largement commenté constitue a minima un tempérament au principe de l’automaticité de la sanction de la violation des dispositions contractuelles d’un cahier des charges de lotissement.
7) Quoi qu’il en soit, en matière contractuelle, il est désormais certain que le juge du fond doit examiner la proportionnalité de la sanction entre le coût de la démolition avec le préjudice subi :
« Il résulte des considérations qui précédent que le juge saisi d’une demande de démolition-reconstruction d’un ouvrage en raison des non-conformités qui l’affectent, que celle-ci soit présentée au titre d’une demande d’exécution forcée sur le fondement de l’article 1184 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ou, depuis la date d’entrée en vigueur de cette ordonnance, sur le fondement de l’article 1221 du même code, ou sous le couvert d’une demande en réparation à hauteur du coût de la démolition-reconstruction, doit rechercher, si cela lui est demandé, s’il n’existe pas une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur de bonne foi et son intérêt pour le créancier au regard des conséquences dommageables des non-conformités constatées.
En cas de disproportion manifeste, les dommages-intérêts alloués sont souverainement appréciés au regard des seules conséquences dommageables des non-conformités retenues, dans le respect du principe de la réparation sans perte ni profit énoncé au point 8 » [6].
Nous ne voyons pas d’argument déterminant qui justifierait, en la matière, la dichotomie entre le régime de la responsabilité contractuelle et le régime de la responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle.
C’est pourquoi il nous semble que la décision de la Cour de cassation du 4 avril 2024 doit être lue avec prudence. Si la Cour de cassation retient en effet que le juge n’a pas à vérifier la proportionnalité entre la démolition et le coût de la démolition en matière de construction édifiée en violation de son autorisation d’urbanisme, les jurisprudences à venir seront à suivre avec soin.