La prescription de l’action directe du maître d’ouvrage contre l’assureur du constructeur.

Par Emmanuel Lavaud, Avocat.

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Explorer : # prescription # garantie décennale # action directe # assurance construction

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La Cour de cassation a statué qu'en principe, l'action du tiers lésé contre l'assureur de la garantie décennale du constructeur est de dix ans. Cependant, si l'action initiale est engagée dans les deux dernières années de la garantie décennale, le délai peut être prolongé. Dans cette affaire, l'action du maître d'ouvrage contre l'assureur était prescrite, car elle a été engagée après dix ans et huit mois à partir de la réception des travaux.
Description rédigée par l'IA du Village

L’action de la victime contre l’assureur de responsabilité qui obéit, en principe, au même délai de prescription que son action contre le responsable, ne peut être exercée contre l’assureur au-delà de ce délai que tant que celui-ci est encore exposé au recours de son assuré.

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Une action en référé expertise du tiers lésé faisant, en principe, courir la prescription biennale du recours de l’assuré contre l’assureur, une cour d’appel ne peut déclarer recevable l’action du tiers lésé contre l’assureur après l’expiration de la forclusion décennale et plus de deux ans après l’assignation en référé expertise délivrée à l’assuré, sans constater qu’à cette date l’assureur était encore exposé au recours de l’assuré.

1) Par un arrêt du 14 septembre 2023, la Cour de cassation juge que, par principe, l’action du tiers lésé contre l’assureur de la garantie décennale du constructeur est de dix ans.

Ce délai peut éventuellement être allongé par l’application de l’article L114-1 du Code des assurances, exclusivement lorsque l’action initiale à l’encontre de l’artisan intervient dans le cours des deux dernières années de la garantie décennale.

A l’inverse, si l’action de l’entreprise à l’encontre de sa propre compagnie d’assurance est prescrite lorsque le délai décennal est atteint, alors le tiers lésé ne peut plus agir au-delà de dix ans.

2) Dans l’espèce ayant conduit à cette décision, un maître d’ouvrage confie l’exécution des travaux de réfection d’une toiture à une entreprise du bâtiment.

La réception intervient tacitement le 4 juillet 2006.

Les travaux étant affectés de désordres, le maître d’ouvrage assigne l’entreprise en référé expertise le 4 avril 2012, puis au fond le 3 février 2016.

La compagnie d’assurance de la garantie décennale intervient volontairement dans la procédure au fond le 9 mars 2016.

Le maître d’ouvrage formule pour la première fois des demandes à l’encontre de cette dernière par conclusions du 2 mars 2017.

L’entreprise est placée en liquidation judiciaire, semble-t-il en cours de procédure.

La compagnie d’assurance formule une fin de recevoir tirée de la prescription de l’action du maître d’ouvrage.

En effet, les premières demandes à l’encontre de la compagnie d’assurance sont formulées par les conclusions du 2 mars 2017, c’est-à-dire 10 ans et pratiquement 8 mois après la réception tacite du chantier.

Le maître d’ouvrage soutient qu’il était, quoi qu’il en soit, en capacité d’agir dans un délai de 12 ans à l’encontre de la compagnie d’assurance.

La Cour d’appel de Besançon rejette la fin de non-recevoir en retenant que la compagnie d’assurance est exposée au recours de son assuré pendant le délai de 10 ans de la garantie décennale augmentée du délai de 2 ans de l’article L114-1 du Code des assurances, soit 12 ans.

La Cour de cassation censure sans surprise ce raisonnement et retient donc la prescription de l’action du maître d’ouvrage à l’encontre de la compagnie d’assurance.

3) Il faut d’abord rappeler, si besoin était, que la garantie décennale permettant au maître d’ouvrage d’obtenir la réparation du préjudice causé par un désordre compromettant la solidité d’un ouvrage, ou le rendant impropre à sa destination, ne peut être mobilisée que dans un délai de 10 ans à compter de la réception de l’ouvrage. Il s’agit de l’application des articles 1792 et suivants du Code civil.

Plus particulièrement, l’article 1792-4-1 du Code civil dispose que

« Toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du présent code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application des articles 1792 à 1792-2, après dix ans à compter de la réception des travaux ou, en application de l’article 1792-3, à l’expiration du délai visé à cet article ».

Il faut ensuite indiquer qu’aux termes de l’article L114-1 du Code des assurances :

« Toutes actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’événement qui y donne naissance ».

Enfin, le tiers lésé dispose d’une action directe à l’encontre de l’assureur de l’entreprise qui a exécuté les travaux. Ce principe est inscrit à l’article L124-3 du Code des assurances.

A ce sujet, il est constant que le tiers lésé reste encore recevable à agir contre l’assureur tant que ce dernier reste exposé au recours de son assuré [1].

L’articulation entre ces différents textes n’a rien d’évident.

L’une des questions à résoudre est de déterminer ce que signifie la formule « reste exposé au recours de son assuré ». S’agit-il du principe du recours de qui peut être engagé pendant 10 ans, auquel cas l’action serait toujours possible pendant 12 ans à compter de la réception, ou s’agit-il du recours qui peut être engagé pendant 2 ans à compter de l’assignation effectivement délivrée ?

La question subsidiaire est de déterminer si le délai biennal de l’article L114-1 du Code des assurances court à compter de l’action en référé, ou à compter de l’action au fond ?

Pour répondre à la première interrogation, la Cour de cassation souligne d’abord que l’action du maître d’ouvrage contre la compagnie d’assurance est enfermée dans le délai de prescription de 10 ans, comme toutes autres actions engagées sur le fondement de la garantie décennale.

Elle explique ensuite que le maître d’ouvrage bénéfice également, et par ailleurs, d’une possibilité d’agir dans un délai de 2 ans à l’encontre de la compagnie d’assurance, à compter de la date à laquelle l’action en garantie des désordres a été engagée à l’encontre de l’assuré.

En effet, l’assurance est exposée à l’action de son assuré pendant un délai de deux ans à compter de l’assignation dont l’assuré à fait l’objet, y compris en référé.

L’action du tiers lésé est donc également possible dans ce délai de deux ans à compter de l’assignation qu’il a fait délivrer au constructeur assuré.

La Cour de cassation conclut enfin, et c’est l’intérêt de l’arrêt, que ces délais ne s’additionnent pas automatiquement, ils ne sont que subsidiaire.

En l’espèce, l’assignation date du 4 avril 2012, l’assuré ne pouvait agir contre sa propre compagnie d’assurance que jusqu’au 4 avril 2014.

Cette date étant dépassée à la date de l’action contre la compagnie d’assurance engagée par le maître d’ouvrage, l’article L114-1 du Code des assurances ne pouvait plus trouver à s’appliquer.

Il devait donc respecter strictement le délai de dix ans inscrit à l’article 1792-4-1 du Code civil pour agir à l’encontre de la compagnie d’assurance.

Il s’en suit que son action était prescrite depuis le 4 juillet 2016.

Sur la seconde question, c’est-à-dire sur la notion d’action en justice, la Cour de cassation s’attache à préciser qu’il résulte d’une jurisprudence constante que : « toute action en référé est une action en justice au sens de l’article L114-1, alinéa 3, du Code des assurances [2].
La qualification d’action en justice au sens de l’article L114-1 du Code des assurances n’étant pas subordonnée à la présentation d’une demande indemnitaire chiffrée, une action en référé-expertise fait courir la prescription biennale de l’action de l’assuré contre l’assureur
 ».

4) Il est trop souvent retenu que le délai pour agir contre la compagnie d’assurance de la garantie décennale est de 12 ans. C’est faux.

En revanche, ce qui est vrai, c’est que le délai pour agir peut aller jusqu’à 12 années.

Le délai est de principe de 10 ans. Cependant, lorsque l’assignation du constructeur se fait dans les deux dernières années du délai décennal, alors l’application du délai biennal de l’article L114-1 permet éventuellement d’agir au-delà du délai de 10 ans. Le délai d’action reste alors limité au délai de deux ans à compter de l’assignation du constructeur assuré.

En pratique, il est rare qu’une action contre la compagnie d’assurance soit au-delà dès 10 ou 11 ans qui suivent la réception du chantier.

Notons qu’en matière d’assurance dommages-ouvrage, les règles seront sensiblement différentes puisque le maître d’ouvrage étant le bénéficiaire du contrat d’assurance, il doit, quoi qu’il en soit, déclarer son sinistre dans le délai de deux ans qui suit la survenance de ce dernier, puis agir dans un délai de deux ans suivant sa déclaration de sinistre.

C’est seulement dans l’hypothèse où l’assureur dommages-ouvrage n’aurait pas répondu à la déclaration de sinistre dans le délai de 60 jours que la compagnie d’assurance ne serait plus en mesure d’invoquer la prescription biennale de l’article L114-1 du Code des assurances [3].

A titre anecdotique, le motif l’intervention de la compagnie d’assurance reste obscure à la lecture de l’arrêt. Il est en effet difficile de comprendre pourquoi la compagnie d’assurance a voulu participer à cette procédure alors que l’action de son assuré à son encontre était prescrite depuis le 4 avril 2014, et que l’action du tiers lésé était sur le point de l’être également.

Emmanuel Lavaud,
Avocat au barreau de Bordeaux
legide-avocats.fr

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[1Cf. pour exemple : Cass. 1re civ., 11 mars 1986, n° 84-14.979.

[21re Civ., 10 mai 2000, pourvoi n° 97-22.651, Bull., n° 133 ; 2e Civ., 3 septembre 2009, pourvoi n° 08-18.092, Bull., n° 202.

[3Cf. en ce sens :Cass. 3ème Civ., 30 sept. 2021, n° 20-18.883.

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