Pas d’exception d’illégalité en matière de contentieux judiciaire des étrangers.

Par Renaud Deloffre, Conseiller à la Chambre Sociale de la cour d’appel de Douai.

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La 1ère chambre civile de la Cour de cassation vient de rendre deux arrêts confirmant sa jurisprudence antérieure aux termes de laquelle le juge judiciaire ne peut connaître des exceptions d’illégalité des actes administratifs en matière de contentieux du placement des étrangers en rétention administrative.

Cette jurisprudence, qui diverge totalement de celle du Tribunal des Conflits, procède de considérations de bon sens sans préjudicier pour autant aux droits des étrangers.

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Dans un article sur les nouvelles problématiques en matière de contentieux des étrangers paru sur ce site en toute fin d’année dernière étaient envisagées les incidences sur le contentieux judiciaire de la rétention administrative des étrangers de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 dont la disposition la plus importante pour cette matière porte sur le transfert au juge judiciaire du contentieux de la décision de placement en rétention.

Nous indiquions dans cet article que sur la question du recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté de placement en rétention, les problématiques induites par la réforme apparaissaient bien balisées par la jurisprudence administrative existante et ne devaient pas susciter d’interrogations majeures mais qu’il subsistait par contre une relative incertitude en ce qui concerne les conditions dans lesquelles le juge judiciaire allait devoir se prononcer sur les exceptions d’illégalité d’autres actes administratifs n’ayant pas acquis de caractère définitif soulevées à l’occasion de la contestation de la légalité de l’arrêté préfectoral de placement en rétention.

Nous estimions cependant, après avoir présenté la jurisprudence de la 1ère Chambre Civile de la Cour de cassation en matière de contentieux judiciaire des étrangers, que l’on pouvait penser que la 1ère Chambre Civile de la Cour de cassation allait « considérer que l’exception prévue par la loi du 7 mars 2016 au principe de la séparation des pouvoirs est limitée à la décision de placement en rétention et … pour les autres décisions administratives, maintenir sa jurisprudence antérieure interdisant au juge judiciaire d’en connaître de la légalité » tout en émettant l’hypothèse, sans doute un peu hasardeuse, que dans la ligne d’un arrêt récent du 9 novembre 2016 n°15-27357 la Cour reconnaîtrait peut-être au juge judiciaire le droit de contrôler la conformité des autres actes administratifs au droit de l’Union européenne et nous appelions de nos vœux que la Cour de cassation puisse faire connaître le plus rapidement possible sa position sur cette problématique.

C’est chose faite puisque ont été rendus tout récemment deux arrêts n° 1062 et 1063 le 27 septembre 2017 dans lesquels, après avoir rappelé les textes de la loi du 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III, posant la règle de la séparation des pouvoirs administratifs et judiciaire, le texte de l’article L.512-1 III du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les dispositions des articles L.551-1 et L.512-1 du même code, la Cour retient que le législateur a organisé deux compétences parallèles exclusives l’une de l’autre et que le juge administratif est seul compétent pour connaître de la légalité des décisions relatives au séjour et à l’éloignement quand bien même leur illégalité serait invoquée par voie d’exception à l’occasion de la contestation, devant le juge judiciaire, de la décision de placement en rétention.

Il résulte très clairement de ces arrêts, dont au moins le n°1062 est destiné à la publication, que saisi d’une contestation de la légalité de l’arrêté de placement en rétention, le juge judiciaire ne peut se prononcer sur une exception d’illégalité d’un autre acte administratif.

En refusant de faire application de la jurisprudence du Tribunal des Conflits, la Cour de cassation confirme ainsi sa jurisprudence antérieure qui semble particulièrement adaptée à la problématique particulière du contentieux judiciaire des étrangers et ce pour deux raisons.

Dans cette matière, la jurisprudence du Tribunal des Conflit est en effet susceptible d’entraîner le juge judiciaire dans une impasse puisqu’il en résulte que lorsque l’exception d’illégalité est sérieuse et ne se heurte pas au caractère définitif de l’acte et sauf lorsque se pose un problème d’application d’une jurisprudence administrative établie ou du droit de l’Union européenne ce dernier doit surseoir à statuer dans l’attente de la solution de la question préjudicielle dépendant de la juridiction administrative alors qu’il doit lui-même statuer dans le délai de 24 heures de sa saisine en première instance et dans le délai de 48 heures de sa saisine en appel et qu’il est impossible dans ces délais d’obtenir une décision de la juridiction administrative.

En outre, l’application de la jurisprudence du Tribunal des Conflits par le juge du contentieux judiciaire des étrangers serait, de nature à alourdir de manière considérable son contentieux déjà très lourd et très complexe puisqu’elle l’obligerait, en examinant par voie d’exception la conformité d’un acte administratif à une jurisprudence établie ou au droit de l’Union, à maîtriser des problématiques totalement nouvelles et pour lesquelles il n’a ni la formation ni l’expérience de son homologue administratif.

Inspirée par le bon sens, la jurisprudence de la 1ère Chambre Civile de la Cour de cassation n’est pas pour autant préjudiciable aux droits des étrangers puisqu’en cas d’annulation d’une décision d’éloignement par le juge administratif, il leur est toujours possible de saisir à tout moment le juge des libertés et de la détention pour qu’il mette fin à la rétention administrative.

On rappellera en effet qu’en application des réserves d’interprétation dont le Conseil constitutionnel a assorti la déclaration de conformité à la Constitution des articles L. 554-1 du Code de l’entrée et du séjour des étranger et du droit d’asile et L. 552-1 et L. 552-7 du même code, dans ses décisions n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 et n° 2011-631 DC du 9 juin 2011, il appartient au juge judiciaire de mettre fin, à tout moment, à la rétention administrative lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient, ce qui peut être le cas dans l’hypothèse d’une annulation d’une décision d’éloignement fondant la décision de placement en rétention.

La question de la saisine du juge judiciaire peut d’ailleurs ne pas se poser dans la mesure où l’administration devrait normalement prendre l’initiative de remettre l’étranger en liberté en cas d’annulation d’une décision d’éloignement, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile prévoyant d’ailleurs expressément qu’elle est tenue en application de son article L.554-2 du de mettre fin à la rétention en cas d’annulation d’une décision portant obligation de quitter le territoire français.

Renaud Deloffre
Conseiller à la Chambre Sociale de la Cour d’Appel de DOUAI
Docteur de troisième cycle en sciences juridiques

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