Selon sa présentation au journal officiel, le décret du 15 avril 2025, qui modifie l’article D242-6-6 du Code de la Sécurité sociale, précise les règles d’imputation des accidents du travail et maladies professionnelles mortels sur le compte des employeurs du régime général en prévoyant que l’imputation par la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) du coût de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle mortel au compte de l’employeur s’effectue à la date de la notification de la reconnaissance du caractère professionnel du décès.
Pour les lecteurs peu familiers de la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles, il convient de rappeler que, sauf pour les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle qui font l’objet de dispositions spécifiques, les établissements des entreprises de moins de 20 salariés voient les taux de cotisations d’accidents du travail et de maladies professionnelles de leurs salariés fixés selon le mode de tarification collectif consistant dans l’application à ces établissements d’un taux de cotisation fixé par type d’activité par arrêté ministériel paraissant en fin d’année pour les taux de l’année suivante et qui est indépendant de leur sinistralité propre, et que, sous réserve d’un certain nombre d’exceptions, les établissements d’entreprises d’au moins 150 salariés sont soumis au mode individuel de tarification et voient leur taux de cotisation dit brut fixé en fonction de la sinistralité de l’établissement et de sa masse salariale (il s’ajoute à ce taux brut des majorations fixées par arrêté ministériel ce qui permet d’obtenir le taux individuel net) tandis que les établissements des entreprises de moins de 150 salariés et d’au moins 20 salariés sont soumis au mode de tarification dit mixte et voient, en fonction de leur effectif, leur taux de cotisation fixé pour une fraction selon le taux collectif précité et pour l’autre fraction selon le taux individuel net qui leur serait appliqué s’ils relevaient du mode de tarification individuelle.
Pour la mise en œuvre des modalités concrètes de leur tarification, les établissements des entreprises relevant de la tarification mixte et de la tarification individuelle disposent d’un compte employeur, qu’ils peuvent consulter sur un site internet [1] et qui est alimenté, sous forme de coûts moyens, par les accidents du travail et maladies professionnelles survenus dans l’établissement.
Sans entrer dans les détails, on rappelle que le calcul du taux brut de cotisations d’une année N de l’établissement est effectué à partir du rapport entre le cumul de l’ensemble des coûts sur les années N-2, N-3 et N-4, ce que l’on appelle la valeur du risque, et le cumul des masses salariales de l’établissement sur ces trois années.
L’imputation du compte employeur par les coûts moyens résultant des accidents et maladies survenus aux salariés obéit aux règles prévues aux articles D242-6-6 et D242-6-7 du Code de la Sécurité sociale.
L’article D242-6-6 fixe en premier lieu les modalités de conversion en coûts moyens du nombre de jours d’incapacité temporaire et du taux d’incapacité permanente reconnus à l’assuré victime d’un AT/MP ainsi que du décès éventuel de ce dernier qui font l’objet des données transmises par les caisses primaires aux caisses chargées de la tarification des AT/MP, à savoir, hors départements et région d’outre-mer, les CARSAT et la CRAMIF pour l’Île-de-France.
Il résulte de cet article que, sauf pour les entreprises de bâtiment et de travaux publics pour lesquelles le texte prévoit des dispositions spécifiques, il y a 6 catégories de coûts moyens d’incapacité temporaire, qui dépendent du nombre de jours d’arrêt de travail, et 4 catégories d’incapacité permanente, qui dépendent du taux d’incapacité du salarié, la quatrième catégorie d’incapacité permanente correspondant à un taux d’incapacité permanente de 40% et plus ou au décès de la victime.
On voit immédiatement que les dépenses des caisses ne sont pas prises en compte en tant que telles (prestations en nature, en espèce, capitaux et rentes capitalisées), comme tel était le cas avant l’introduction des coûts moyens par le décret du 5 juillet 2010, mais qu’elles ne sont appréhendées qu’à travers le prisme particulièrement déformant du nombre de jours d’incapacité temporaire et du taux d’incapacité permanente générés par l’AT/MP ou au regard du décès de l’assuré.
L’article D242-6-7 permet ensuite de déterminer la date à laquelle l’organisme tarificateur doit effectuer l’opération de classement du coût sur le compte employeur, qu’il ne faut pas confondre avec la date à laquelle le coût doit être classé.
L’organisme doit ainsi procéder au classement du coût d’incapacité temporaire le 31 décembre de l’année suivant la déclaration de l’AT/MP ce qui implique qu’il doit se placer à cette date pour déterminer le nombre de jours d’incapacité résultant de l’AT/MP et donc la catégorie d’incapacité temporaire correspondante, peu important que le salarié bénéficie de prolongation de ses arrêts de travail après cette date.
Et en ce qui concerne le classement du coût d’incapacité permanente, l’organisme doit y procéder lors de la première notification du taux d’incapacité permanente et, en cas de décès, lors de la reconnaissance de son caractère professionnel, sans prise en compte de l’incapacité permanente reconnue après révision ou rechute ou du décès survenu après consolidation.
Et pour déterminer l’année du compte employeur sur laquelle l’organisme doit imputer le coût, il faut se reporter aux dispositions de l’article D242-6-6.
Dans leur rédaction antérieure au décret 2025-342 du 15 avril 2025, modifiées par ce dernier uniquement en ce qui concerne la date d’imputation du coût du décès, ces dispositions prévoyaient que la valeur du risque comprend le produit du nombre total des AT/MP déclarés pendant la période triennale de référence ayant donné lieu à des soins ou ayant entraîné un arrêt de travail par le coût moyen de la catégorie dans laquelle est rattaché chaque accident ou chaque maladie et le produit du nombre total d’AT/MP ayant, pendant la période triennale de référence, soit entraîné le décès de la victime soit donné lieu à la notification d’un taux d’incapacité permanente par le coût moyen de la catégorie dans laquelle est rattaché chaque accident ou chaque maladie.
Le décret n’ayant pas modifié les dispositions du texte sur ces différents points, il résulte clairement de leur lecture littérale que :
- le décès ne donne lieu à l’imputation sur le compte d’un coût moyen d’incapacité permanente que s’il n’a pas été précédé de la notification d’un taux (étant souligné en outre qu’il résulte des dispositions l’article D242-6-7 du Code de la Sécurité sociale que n’est pas pris en compte le décès survenu après consolidation).
- en ce qui concerne les coûts d’incapacité temporaire, la date d’imputation au compte employeur de ces coûts est la date de la déclaration de l’AT/MP.
- en ce qui concerne les coûts d’incapacité permanente résultant de taux d’incapacité notifiés, l’année d’inscription du coût est l’année de la notification du taux.
En ce qui concerne le coût d’incapacité permanente de catégorie 4 résultant du décès du salarié sans notification préalable d’un taux d’incapacité, il semblait résulter d’une lecture littérale des dispositions du texte avant leur modification par le décret précité, que l’année d’inscription du coût était l’année du décès.
Une telle interprétation littérale est de longue date contestée par les CARSAT qui, invoquant le délai parfois important entre le décès et la reconnaissance de son caractère professionnel, faisaient valoir que l’imputation du décès à sa date entraînait pour elles des complications pratiques importantes et pouvait même empêcher sa prise en compte sur la totalité des années de tarification qui auraient dû être impactées par le coût.
S’agissant des complications pouvant résulter d’une application littérale du texte, on prendra l’exemple d’un décès survenu en 2008 et dont le caractère professionnel n’est reconnu qu’en toute fin d’année 2010.
On voit qu’il résulte de la lecture littérale du texte que la CARSAT, qui a nécessairement dû attendre la date de la reconnaissance du caractère professionnel de l’AT/MP pour procéder à l’imputation, doit imputer le coût correspondant au décès sur l’année 2008 et que ce coût doit entrer dans la base de calcul des taux 2010 à 2012.
Or, si ce caractère professionnel est reconnu en toute fin d’année il peut arriver que la tarification de l’année, soit en l’occurrence 2010, ait déjà été calculée ce qui est de nature à générer des complications pour l’organisme en l’obligeant à recalculer le taux pour tenir compte du coût imputé après le calcul du taux.
Mais, en cas de lecture littérale du texte, la CARSAT peut être également confrontée, certes de manière exceptionnelle, à l’incapacité de prendre en compte le coût litigieux dans le calcul d’un des taux qui aurait dû être impacté.
Une telle conséquence se produira en cas de décalage de plus de deux ans entre le décès et la reconnaissance de son caractère professionnel.
Ainsi, si l’on prend l’exemple d’un décès survenu en 2008 et dont le caractère professionnel n’est reconnu qu’en 2011, il résulte de la lecture littérale du texte que la CARSAT, qui a nécessairement dû attendre la date de la reconnaissance pour procéder à l’imputation, doit imputer le décès sur l’année 2008.
Or, en 2011, le taux 2010 intégrant les coûts inscrits sur 2008 a déjà été calculé et notifié et présente, sauf recours de l’employeur, un caractère définitif.
On voit donc que dans une telle hypothèse le taux 2010 ne tiendra pas compte du coût afférent au décès du salarié.
La Cour nationale de l’incapacité et de l’assurance de la tarification des accidents du travail a, en son temps, été sensible à certaines des conséquences préjudiciables possibles d’une lecture littérale du texte et a décidé dans un arrêt du 27 janvier 2016 n° 1402520 que le fait générateur de l’inscription du coût moyen d’incapacité permanente d’un accident mortel au compte employeur est l’année de la reconnaissance de son caractère professionnel et elle a en conséquence débouté de son recours un employeur contestant l’imputation sur son compte employeur 2010 d’un accident mortel survenu le 9 octobre 2009.
Son arrêt a été cassé par un arrêt publié de la Cour de cassation du 9 mars 2017 [2] au motif qu’en statuant ainsi alors qu’elle constatait que l’accident litigieux avait entraîné le décès de la victime, de sorte qu’il n’avait pas été suivi de la notification d’un taux d’incapacité permanente, la Cour nationale avait violé les articles D242-6-4 et D242-6-6, alinéa 1, 2° du Code de la Sécurité sociale, dans leur rédaction issue du décret n° 2010-753 du 5 juillet 2010, applicable au litige.
La Cour de cassation commence son raisonnement par la constatation que l’accident a entraîné le décès de la victime ce dont il faut comprendre que cette dernière est décédée immédiatement du fait de l’accident.
Elle en déduit qu’il n’a pas été suivi de la notification d’un taux d’incapacité permanente ce qui est tout à fait logique puisque le décès immédiat du salarié exclut toute consolidation et donc toute fixation d’un taux d’incapacité.
Ce constat étant fait, la cour déduit des constatations de fait du décès et de l’absence de fixation d’un taux d’incapacité permanente résultant de l’arrêt déféré que la Cour nationale a violé les textes visés en retenant que le coût devait être inscrit au compte employeur sur l’année de la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie.
La motivation de cet arrêt met manifestement en œuvre la distinction prévue par l’article D242-6-6 du Code de la Sécurité sociale entre la date d’inscription du coût à la date de la notification du taux et la date d’inscription du coût à la date du décès puisqu’elle repose sur le constat final qu’aucune notification de taux n’étant intervenue, le coût ne devait pas être inscrit sur l’année de la reconnaissance du caractère professionnel du décès.
Il semble donc résulter implicitement de cet arrêt que le coût afférent au décès doit, lorsqu’il n’y a pas eu de notification d’un taux d’incapacité, être inscrit sur l’année de survenance de ce décès et non sur l’année de la reconnaissance de son caractère professionnel, solution retenue par la CNITAAT.
Ayant résisté à l’arrêt du 9 mars 2017 en persistant à considérer que la date d’imputation à retenir est celle de la notification de la reconnaissance du caractère professionnel du décès , la CNITAAT est à nouveau cassée par arrêt de la Cour de cassation du 21 octobre 2021 [3] au motif que pour débouter l’employeur de son recours, la Cour nationale retient essentiellement qu’une application littérale de l’article D242-6-6, 2°, qui aboutirait à prendre en compte les accidents du travail et maladies professionnelles mortels l’année de leur survenance pour la valeur du risque alors qu’ils sont classés dans l’une des catégories prévues l’année de la reconnaissance de leur caractère professionnel, serait source de complications pour les caisses, facteur d’insécurité pour les entreprises et générateur de contentieux et qu’en statuant ainsi, alors qu’elle constatait que l’accident du travail survenu le 5 octobre 2009 n’avait pas entraîné le décès de la victime pendant la période triennale de référence prise en compte pour le calcul du taux individuel de l’année 2014, la Cour nationale a violé par fausse interprétation les textes des articles D242-6-4 et D242-6-6, alinéa 1, 2°, du Code de la Sécurité sociale, dans leur rédaction issue du décret n° 2010-753 du 5 juillet 2010, applicable au litige.
Il semble résulter de cet arrêt que pour la Cour de cassation, suivant en cela l’argumentation contenue dans le pourvoi de l’employeur, l’imputation effectuée par la CARSAT serait incorrecte au motif que le décès est survenu en octobre 2009 et qu’il ne pouvait donc impacter la période triennale de référence du calcul du taux soit en l’occurrence les années 2010 à 2012 mais qu’elle aurait été correcte si le décès était survenu pendant la période précitée.
On peut ainsi penser que la Cour de cassation, à la différence de ce qu’elle semble avoir jugé dans son précédent arrêt, n’a pas entendu retenir que l’année d’imputation doit être celle du décès, puisqu’elle pouvait tout à fait l’affirmer mais ne l’a pas fait, mais qu’elle exige seulement, lorsqu’un taux impacté par le coût d’un décès fait l’objet d’un recours à raison de la date d’imputation de ce coût, que le décès soit survenu pendant la période de référence de ce taux.
Une telle solution, comme d’ailleurs celle résultant de l’arrêt publié du 9 mars 2017, est remise en cause par le décret du 15 avril 2025 qui modifie le texte dans le sens de l’interprétation qui avait été retenue par les CARSAT et qui continuait à l’être par ces dernières malgré les deux arrêts de la Cour de cassation, alimentant ainsi devant la cour spécialement désignée en matière de tarification un contentieux persistant quoiqu’assez limité sur le plan quantitatif.
Il résulte en effet de la modification par le décret du troisième alinéa de l’article D242-6-6 du Code de la Sécurité sociale que la valeur du risque pour le calcul du taux brut individuel comprend le produit du nombre total d’accidents du travail ayant donné lieu à la notification, pendant la période triennale de référence, soit de la reconnaissance du caractère professionnel du décès de la victime, soit d’un taux d’incapacité permanente par le coût moyen de la catégorie à laquelle est rattaché chaque accident ou chaque maladie.
Il se déduit clairement de cette modification du texte soit que le coût d’incapacité de catégorie 4 résultant du décès du salarié non précédé de la notification d’un taux d’incapacité doit être imputé sur le compte employeur à la date de notification de la reconnaissance du caractère professionnel, soit, si on adopte le raisonnement suivi par la Cour de cassation dans son arrêt du 21 octobre 2021, que le coût d’incapacité litigieux doit être imputé sur une des trois années de la période triennale de calcul du taux litigieux.
S’agissant de ce dernier raisonnement, comme indiqué dans notre étude sur la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles mise en ligne sur ce site, il n’est pas inutile de relever que sa mise en œuvre suppose que l’employeur conteste un taux de cotisation ce qui est loin d’être toujours le cas, l’employeur pouvant se contenter de solliciter le retrait du coût litigieux sans solliciter la rectification des taux impactés.
Il n’est pas non plus inutile de souligner également que la question de la possibilité de mise en œuvre en pratique de la solution découlant de l’arrêt du 21 octobre 2021 se pose lorsqu’aucun taux de cotisation n’est impacté par un coût litigieux.
Ainsi, si la cour spécialement désignée est amenée à juger en 2025 une contestation d’un coût inscrit sur l’année 2024 au titre du décès d’un salarié, on ne voit pas comment appliquer les règles dégagées par l’arrêt du 21 octobre 2021 puisqu’à la date à laquelle le litige doit être jugé, aucun taux susceptible d’être impacté par le coût n’est connu et encore moins notifié et qu’il est donc impossible d’effectuer l’opération impartie par l’arrêt consistant à vérifier si le coût a été inscrit sur une des années de la base de calcul du taux contesté.
Compte tenu de ces difficultés afférentes au raisonnement tenu par l’arrêt du 21 octobre 2021, et sous toutes réserves de la position qui sera prise par la Cour de cassation, il serait sans doute souhaitable de considérer qu’il résulte du nouveau texte que le coût d’incapacité résultant du décès doit être imputé sur le compte de l’employeur à la date de la notification de la reconnaissance du caractère professionnel de l’AT/MP.
Se pose enfin la question de l’application du nouveau décret dans le temps.
Ayant été publié au journal officiel du 16 avril 2025, ce texte entre en vigueur le 17 avril 2025.
On rappellera que la loi ne peut revenir sur la constitution ou l’extinction d’un droit ainsi que sur les effets passés entre les parties d’un rapport de droit réalisés avant son entrée en vigueur.
On peut donc penser que le nouveau texte ne peut s’appliquer aux situations ayant produit leurs effets antérieurement à son entrée en vigueur et donc aux décès de salarié survenus sous l’empire de l’ancien texte, dont les conséquences doivent être imputés à la date du décès, mais qu’il s’applique lorsque le décès est survenu postérieurement à son entrée en vigueur.