Sur l’arrêt rendu par la Cour de cassation du 27 mars 2019 (Pole 6 chambre 8 n°17-27.225 et n°17-27.226), vous pouvez ainsi lire ou relire notre article Obligation de sécurité : l’employeur doit mettre en œuvre toutes les mesures de prévention.
Rappel des faits et procédure.
Mme Y a été engagée par la société Bal du Moulin Rouge (Bal du Moulin Rouge) par contrat à durée déterminée à temps partiel, du 29 mars au 30 juin 2001, renouvelé du 2 juillet au 28 septembre 2001 et pérennisé à temps plein, en qualité « d’employée vestiaire ».
Mme Z a quant à elle été engagée le 18 juillet 1994 par contrat à durée indéterminée à temps plein par la société Bal du Moulin Rouge en qualité d’employée service vestiaire.
Mme Y bénéficiait d’une protection jusqu’au 4 octobre 2013 en ce qu’elle a été déléguée syndical, déléguée du personnel et membre titulaire du comité d’entreprise.
Mme Z a, entre le 8 décembre 2008 et le 4 octobre 2012, été membre du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), déléguée du personnel et membre suppléant au comité d’entreprise.
A la fin de l’année 2008, une contestation relative au système de rémunération est survenue, conduisant le Bal du Moulin Rouge en octobre 2011 à proposer une modification de celui-ci que Mmes Y et Z ont refusé.
Par courriers du 25 avril 2012, les salariées et leurs collègues mettaient en demeure le Bal du Moulin Rouge de leur payer divers rappels de salaire, de rétablir le tronc commun du diviseur ainsi que le paiement d’heures supplémentaires accomplies.
Le 24 mai 2012, Mmes Y et Z saisissaient le Conseil de prud’hommes de Paris notamment à l’effet d’obtenir paiement d’un rappel de salaire, la résiliation judiciaire de leurs contrats de travail aux torts de l’employeur et le paiement de diverses indemnités.
Dans son jugement du 23 octobre 2014 (notifié le 30 octobre suivant), le Conseil de prud’hommes présidé par le juge départiteur a débouté les salariées de l’ensemble de leurs demandes.
Par décision du 10 octobre 2014, la CPAM a placé Mme Z en invalidité et a reconnu l’existence d’une maladie professionnelle le 31 décembre 2014.
A la suite de l’avis d’inaptitude à tous postes émis par le médecin du travail le 22 avril 2015, Mme Z se voyait notifier son licenciement pour inaptitude professionnelle le 8 juin 2015.
Sur appel de Mme Y et Mme Z, la Cour d’appel de Paris a, par arrêt du 13 septembre 2017, confirmé le jugement et, y ajoutant, a débouté les salariées de leurs demandes de nature salariale couvrant la période du 18 septembre 2014 au 31 mars 2015 pour Mme Y et du 18 septembre 2014 au 8 juin 2015, ainsi que de ses demandes au titre de son licenciement du 8 juin 2015 pour Mme Z.
La Cour de cassation, le 27 mars 2019, a cassé et annulé les arrêts de la Cour d’appel de Paris du 13 septembre 2017.
Pour Madame Y, par arrêt du 4 novembre 2020, la Cour d’appel (de renvoi) de Paris, :
Condamne la société le Bal du Moulin Rouge à payer à Madame Y les sommes suivantes :
10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité ;
2.000 euros au titre du harcèlement moral ;
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société le Bal du Moulin Rouge, à la date du 4 novembre 2020 ;
Dit que la résiliation judiciaire, du fait des agissements de harcèlement moral, a les effets d’un licenciement nul ;
Condamne la société le Bal du Moulin Rouge à payer à Mme Y les sommes suivantes :
19.042,56 euros bruts au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ;
1.924,25 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
17.068,48 euros nets au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
40.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement illicite ;
3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Dit que les intérêts au taux légal sont dus à compter du 18 septembre 2014 sur les indemnités de rupture et sur les sommes allouées à titre indemnitaire, à compter de la présente décision ;
Ordonne à la société le Bal du Moulin Rouge de délivrer à Madame Y un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pôle emploi conformes à la présente décision ;
Dit qu’à défaut de remise volontaire dans le délai d’un mois à compter du prononcé du présent arrêt, la société y sera contrainte sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, pendant une durée de 90 jours ;
Condamne la société le Bal du Moulin Rouge aux dépens de la présente instance d’appel.
Madame Y obtient au total la somme de 93.035,29 euros.
Pour Madame Z, par arrêt du 4 novembre 2020, la Cour d’appel (de renvoi) de Paris :
Condamné la société le Bal du Moulin Rouge à payer à Mme Z les sommes suivantes :
- 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité ;
- 2.000 euros au titre du harcèlement moral ;
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société le Bal du Moulin Rouge, à la date du 8 juin 2015 ;
Dit que la résiliation judiciaire, du fait des agissements de harcèlement moral, a les effets d’un licenciement nul ;
Condamne la société le Bal du Moulin Rouge à payer à Mme Z les sommes suivantes :
- 570,60 euros bruts à titre de reliquat sur l’indemnité compensatrice de préavis ;
- 57,06 euros bruts au titre des congés payés afférents ;
- 917,87 euros nets à titre de reliquat sur l’indemnité spéciale de licenciement ;
- 52.000 euros à titre d’indemnité pour licenciement illicite ;
- 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
Dit que les intérêts au taux légal sont dus à compter du 28 juin 2017 sur les indemnités de rupture et sur les sommes allouées à titre indemnitaire à compter de la présente décision ;
Ordonne à la société le Bal du Moulin Rouge de délivrer à Mme Z un bulletin de salaire récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pôle emploi conforme à la présente décision ;
Dit qu’à défaut de remise volontaire dans le délai d’un mois à compter du prononcé du présent arrêt, la société y sera contrainte sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document, pendant une durée de 90 jours ;
Condamne la société le Bal du Moulin Rouge aux dépens de la présente instance d’appel.
Madame Z obtient au total la somme de 68.545,53 euros.
1) Non-respect de l’obligation de sécurité de l’employeur + harcèlement moral = résiliation judiciaire aux torts de l’employeur.
La Cour d’appel de Paris, dans les deux arrêts du 4 novembre 2020 (n° RG 19/06819 et 19/06824) affirme en premier lieu que lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, tout en continuant à travailler à son service, et que ce dernier le licencie ultérieurement pour d’autres faits survenus au cours de la poursuite du contrat, le juge doit d’abord rechercher si la demande en résiliation du contrat était justifiée.
C’est seulement dans le cas contraire qu’il doit se prononcer sur le licenciement notifié par l’employeur.
En l’espèce, les salariées invoquent à l’appui de leur demande de résiliation judiciaire d’une part, le manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat et d’autre part des actes de harcèlement moral.
1.1) Sur l’obligation de sécurité : le manquement à l’obligation de sécurité résultat justifie à lui seul la demande de résiliation judiciaire.
La Cour d’appel de renvoi affirme que les appelantes soutiennent d’abord que l’employeur a refusé de mettre en œuvre des mesures de prévention prévues par les articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail :
1°) Augmentant ainsi la pénibilité du travail au vestiaire, par la suppression de la polyvalence de leur emploi, notamment par :
L’embauche d’hôtesses extérieures, se révélant incompétentes avec des prestations chaotiques, faits dénoncés dès le mois de décembre 2011 à l’inspection du travail, puis le 19 octobre 2012 et à l’employeur par courrier du 25 avril 2012 et lors de la réunion des délégués du personnel le 23 mai 2012 ;
Puis l’embauche de salariées en contrat à durée indéterminée non polyvalentes pour la boutique et la vente de programmes, entraînant une dégradation de leurs conditions de travail, faits dénoncés lors de la réunion des délégués du personnel le 13 juin 2012 mais aussi par courrier du 11 septembre 2012 à la direction du Bal du Moulin Rouge et le refus de la direction de prendre en considération la souffrance au travail, laquelle dans ses courriers, invoque notamment son pouvoir de direction ou une nouvelle organisation rendue nécessaire au développement de l’activité commerciale :
- L’absence de motivation des salariées rémunérées au fixe ;
- Le recours à une société de prestation de services pour le nettoyage des toilettes ;
2°) Ne prenant pas en compte les conclusions de la CRAM et du CHSCT, du médecin du travail et du médecin-conseil du CRRMP.
3°) Ne prenant aucune mesure suite à l’identification des situations à risque dans les documents uniques d’évaluation des risques (DUER).
Madame Y précise que cela a entraîné une dégradation de sa santé et de celles de ses collègues, exposant être en arrêt maladie depuis le 10 avril 2012, souffrant de lombalgies extrêmement invalidantes, d’une discopathie ayant conduit à une opération et à la pose d’une prothèse lombaire, ainsi que d’une fibromyalgie et d’une névralgie cervico-brachiale, engendrées par le port de charges trop lourdes que représentent les piles de vêtements au vestiaire et aggravée par un grand stress, et produit diverses pièces médicales à l’appui.
Madame Z quant à elle précise que cela a entraîné une dégradation de sa santé et de celles de ses collègues, aboutissant à son inaptitude.
Les salariées invoquent également le refus du Bal du Moulin Rouge de mettre en place un service de sécurité et de réparer les vitrines de la boutique Toulouse Lautrec.
La société indique que le vestiaire intègre à titre principal la réception et la restitution d’effets personnels déposés par les clients et à titre secondaire, la vente des programmes et des produits à la boutique Toulouse Lautrec ainsi que l’entretien des toilettes dédiées à la clientèle.
Elle admet que les 2/3 de l’activité du service étaient consacrés au vestiaire stricto sensu.
Elle soutient que ce sont les salariées du vestiaire qui décidaient des affectations chaque jour et de leur répartition entre elles.
Elle considère avoir pris des mesures de prévention, notamment par la surveillance médicale renforcée de Mmes Y et Z, par l’établissement des DUER où la catégorie professionnelle à laquelle étaient affectées Mmes Y et Z est répertoriée et analysée.
Au visa de l’article D4161-2 du Code du travail, elle précise que les salariées ne levaient jamais de charges unitaires équivalentes à 15 kilos.
S’agissant de la prétendue dégradation des conditions de travail à l’origine de l’affection de Mme Y, l’intimée précise que la fibromyalgie et la sciatique n’ont pas été reconnues par la caisse primaire d’assurance maladie ni par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles comme étant en lien avec ses conditions de travail.
Enfin, elle indique que le service de sécurité existe et que la vitrine a été remplacée.
La Cour d’appel de Paris affirme que le Code du travail impose une obligation de sécurité à l’employeur par les articles L4121-1 et suivants, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 22 septembre 2017, en ces termes :
L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
L’employeur met en œuvre les mesures prévues à l’article L4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention prévus à l’article L4121-2 du même Code.
Il doit assurer l’effectivité de ces mesures.
i) Réduction de la polyvalence des employés du vestiaire.
Pour le cas de Mme Z, la Cour d’appel considère qu’il ressort des pièces produites par les parties que dès l’année 2006, en 2008, en 2010 et de façon plus marquée à compter de l’année 2012, les décisions de la direction ont eu pour effet de réduire la polyvalence des employés du vestiaire, leur intervention sur les tâches dites secondaires ne s’effectuant plus que lors de remplacements ponctuels pour repos ou maladie des salariées dédiées.
Les juges d’appel relèvent quant à Mme Y que dans son contrat de travail initial, elle avait pour fonctions :
« réception vestiaire, vente au public des programmes et des produits boutique et entretien toilettes clientèle ».
Or, il ressort des pièces produites par les parties que dès décembre 2006, la société a confié cette dernière tâche à un prestataire extérieur, puis en 2007 a procédé à l’embauche régulière sur l’année auprès d’une agence d’hôtesses, lesquelles n’étaient pas polyvalentes et devaient être formées pour le vestiaire, avec un turn-over important ayant provoqué outre une désorganisation signalée par les salariées, une réduction de fait de la polyvalence des employées du vestiaire, leur intervention sur les tâches dites secondaires ne s’effectuant plus que lors de remplacements ponctuels pour repos ou maladie des salariées dédiées.
ii) Augmentation de la pénibilité de leur emploi.
Au-delà du problème de la rémunération exposée dans leurs courriers, les élues du personnel et représentante syndicale dont Mme Y et Mme Z, ont attiré l’attention de l’employeur notamment dans une lettre au président du directoire du 11 septembre 2012 sur l’augmentation de la pénibilité induite par la fin de la polyvalence de leurs fonctions, rappelant
« ce travail de manutention implique le port de charges lourdes accompagné de gestes répétitifs à longueur de soirée.
Or, vous nous imposez désormais ce travail à plein temps qui pour nous représente une charge de travail difficilement supportable à l’année et qui n’a pas été spécifiée dans nos conditions d’embauche ».
Après avoir signalé ce fonctionnement problématique dans un courrier à l’inspection du travail en décembre 2011, une des collègues de Mme Y (Mme Z) dans un mail du 19 octobre 2012 relatait à l’inspection du travail, un incident survenu dans la soirée, dans le cadre d’un sous-effectif du fait de l’accident du travail d’une de ses collègues, soulignant « une politique de désorganisation » et concluant « nos conditions de travail aujourd’hui sont les pires que nous ayons connues » et l’imputant aux décisions de la direction.
La Cour affirme que si l’employeur n’a pas eu connaissance de ce mail, il avait forcément été informé ne serait-ce que par l’action judiciaire initiée par plusieurs salariées dont Mme Y et Mme Z dès la fin mai 2012 portant sur l’obligation de sécurité, des difficultés ci-dessus évoquées et dans sa réponse du 2 octobre 2012, il dénie totalement cette « pénibilité croissante » en arguant de l’absence de modification du contrat de travail, ce qui constitue une réponse peu appropriée.
1.1.1) L’aggravation de l’état de santé de Madame Y.
La Cour constate que le 21 avril 2010, lors d’une réunion des délégués du personnel, a été dénoncée l’absence de visite médicale depuis plusieurs années notamment au service vestiaire et que dans le cadre de la présente instance, l’employeur vise sa pièce n° 42 constituée de :
Un tableau de la liste des convocables, en l’espèce le 11/02/2010 pour Mme Y avec mention d’une historique « 29/09/2008 remplacé » ;
Une liste des salariés sur papier libre avec indication concernant la salariée « 14/02/2008 en prévision ».
En dépit des mentions sur ces documents « SMR Nuit » concernant la salariée, l’employeur ne justifie pas qu’il a assuré l’effectivité de la surveillance médicale renforcée de Mme Y sur les années concernées.
La Cour d’appel de Paris affirme en outre qu’il ne démontre pas avoir tout mis en œuvre pour éviter les risques et protéger ses salariés puisqu’en effet, sur la période concernée de 2009 à 2015 :
Il ne justifie pas d’une suite concrète à la réunion du CHSCT du 12 juillet 2012, portant sur la « concertation sur la prévention de la pénibilité », un rappel de la liste légale des facteurs de pénibilités et pour lequel le personnel du vestiaire pouvait être concerné, y figurant au titre de certains rythmes de travail : « le travail de nuit, le travail en équipées successives alternantes, le travail répétitif caractérisé par la répétition d’un même geste, à une cadence contrainte, imposée ou non par le déplacement automatique d’une pièce ou par la rémunération à la pièce, avec un temps de cycle défini » ;
Il n’a pas mis à jour le DUER en 2010, puis de 2011 à 2016 au moins, sans en expliquer les raisons, contrevenant ainsi à l’article R4121-2 du Code du travail ;
Il n’a pas en conséquence identifié les facteurs de risques tels que précisés aux articles L4161-1 et D4161-2 du Code du travail, ni établi de fiche de prévention aux expositions telle que prévue à l’article D4161-1 du Code du travail.
Les juges d’appel avancent qu’il est produit par la salariée :
Des arrêts de travail à compter du 9 avril 2012 ;
Un courrier de son chirurgien du 4 juillet 2012, aux termes duquel il décrit les pathologies de Mme Y et indique « Très probablement, son activité spécifique est à l’origine d’une aggravation de la situation. En effet, elle travaille au vestiaire dans un établissement qui accueille beaucoup de public. Elle est amenée à porter des vêtements lourds, à faire des rotations importantes sur une surface réduite. Elle est tout le temps debout. (…) La douleur a été tellement intense qu’elle a été mise à un moment donné sous morphine et qu’elle prend de l’Ixprim de façon régulière et importante. (…) Compte-tenu de l’effet aggravatif de son activité professionnelle, je ne pense pas qu’elle puisse reprendre le même poste ultérieurement » ;
L’avis du 15 février 2012 du médecin du travail au médecin conseil du CRRMP, sur la pathologie décelée « lombosciatalgie invalidante » est que « l’origine professionnelle est fort probable car manipulations +++ de charges dans des conditions non ergonomiques » soulignant au titre de l’avis sur le risque d’exposition dans l’entreprise : « risque réel, partout, le poste de travail ne pouvant pas être adapté pour des raisons de locaux » ;
Les lettres de son chirurgien adressées au médecin-traitant du 3 décembre 2013, indiquant « des séquelles d’un burn out avec une fatigabilité importante », du 30 mai 2014 constatant « la gêne provoquée par des troubles musculo-squelettiques » et du 2 février 2015 précisant qu’un autre spécialiste confirme son « impression d’un syndrome fibromyalgique » nécessitant un suivi au long cours avec prise en charge éventuellement du syndrome dépressif dont la malade a elle-même pris conscience ;
La reconnaissance de travailleur handicapé en novembre 2013 ;
La lettre du médecin du travail du 23 avril 2015 au médecin-conseil de la CPAM constatant « une dégradation de son état de santé au point de vue rachidien et du point de vue de son état général », par la présentation « d’une névralgie cervico-bracchiale à droite, une fibromyalgie sévère et un état dépressif qui va en s’amplifiant », considérant que Mme Y n’est pas en capacité de reprendre un emploi à temps plein dans l’entreprise ou dans une autre activité ;
La déclaration en invalidité 2ème catégorie le 1er mars 2015.
La Cour d’appel affirme que c’est de façon inopérante que l’employeur oppose à la salariée la décision du tribunal des affaires de sécurité sociale du 4 novembre 2014, qui n’a pas reconnu le caractère professionnel de la maladie invoquée, en l’absence de lien direct et essentiel entre le travail et l’affection déclarée au titre du tableau n°98.
En effet, tant l’avis du CRRMP que cette décision soulignent que l’activité de Mme Y comportait des postures contraignantes et qu’elle était amenée à porter une charge cumulée de 80 kgs par jour, le chirurgien cité ci-dessus considérant que les tâches incombant à Mme Y et qui avaient été depuis plusieurs années circonscrites essentiellement au vestiaire, n’ont pu qu’aggraver la situation.
Au regard de ces éléments, la Cour constate que la société, pourtant alertée à maintes reprises par les salariées du service vestiaire sur la pénibilité, n’a mis en place aucune mesure de nature à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent être évités, à les combattre à la source, enfreignant ainsi les dispositions de l’article L4121-2 du Code du travail.
En conséquence, la Cour constate que l’employeur a méconnu ses obligations légales et n’apporte aucun élément de nature à l’exonérer de sa responsabilité.
Compte tenu de la gravité et de la persistance du manquement ayant eu un retentissement sur la santé de la salariée, la Cour estime que ce manquement justifie à lui seul la demande de résiliation judiciaire et que le préjudice subi par Mme Y doit être fixé à la somme de 10.000 euros.
1.1.2) Le développement de la maladie professionnelle de Madame Z et le fait que le Bal du Moulin Rouge n’a pas tout mis en œuvre pour éviter les risques et protéger ses salariés puisqu’en effet, sur la période concernée de 2009 à 2015.
Dans le cas de Mme Z, la Cour d’appel de renvoi relève que s’il résulte des pièces produites par la salariée, que le 21 avril 2010, l’absence de visite médicale depuis plusieurs années notamment au service vestiaire avait été dénoncée lors d’une réunion des délégués du personnel, la pièce n°11 produite par Mme Z permet de constater que dans le cadre d’une visite de reprise, elle a été déclarée apte à son poste le 26 mars 2012 et que la visite suivante était programmée pour le 11 septembre 2012, ce qui permet de constater qu’elle bénéficiait bien d’une surveillance médicale renforcée.
En revanche, l’employeur ne démontre pas avoir tout mis en œuvre pour éviter les risques et protéger ses salariés puisqu’en effet, sur la période concernée de 2009 à 2015 :- Il ne justifie pas d’une suite concrète à la réunion du CHSCT du 12 juillet 2012, portant sur « la concertation sur la prévention de la pénibilité », un rappel de la liste légale des facteurs de pénibilité et pour lequel le personnel du vestiaire pouvait être concerné, y figurant au titre de certains rythmes de travail : « le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes, le travail répétitif caractérisé par la répétition d’un même geste, à une cadence contrainte, imposée ou non par le déplacement automatique d’une pièce ou par la rémunération à la pièce, avec un temps de cycle défini » ;
Il n’a pas mis à jour le DUER en 2010, puis de 2011 à 2016 au moins, sans en expliquer les raisons contrevenant ainsi à l’article R4121-2 du Code du travail ;
Il n’a pas en conséquence identifié les facteurs de risques tels que précisés aux articles L4161-1 et D4161-2 du Code du travail, ni établi de fiche de prévention aux expositions telle que prévue à l’article D4161-1 du Code du travail.
La Cour d’appel relève qu’il est établi par la salariée que :
Elle a été victime d’un accident du travail le 28 juin 2012 et le courrier du rhumatologue (pièce n°12) démontre qu’il s’agissait de problèmes de douleurs cervicales avec irradiation dans le membre supérieur gauche ;
Elle a été en arrêt de travail du 20 mars au 4 avril 2014 pour un syndrome douloureux aigu, avec un diagnostic de fibromyalgie posé et un contexte de « souffrance au travail » et de « stress professionnel » soulignés par le médecin du travail dans ses courriers des 17 et 21 mars 2014 adressé à ses confrères ;
Dans un courrier du 18 juillet 2014 adressé au médecin du travail, le Dr D., attaché hospitalier, indique avoir vu Mme Z en consultation de pathologie professionnelle, et relève que « les ports de charge pourraient favoriser l’apparition de pathologies d’hyper-sollicitation et/ou d’atteintes du rachis vertébral, favorisées par l’état de tension psychique lié aux difficultés professionnelles », posant à terme le problème du retour au travail de la salariée, dans un climat de tension susceptible d’occasionner une « décompensation » ;
La Caisse primaire d’assurance maladie a notifié à Mme Z le 31 décembre 2014, la prise en charge d’une maladie professionnelle datant du 9 octobre 2014 au titre du tableau n°57 pour « coiffe des rotateurs : tendinopathie chronique non rompue, non calcifiante gauche, objectivée par IRM » ;
Indépendamment d’un accident de trajet survenu le 15 avril 2014, ayant occasionné un traumatisme à l’épaule droite et des arrêts de travail jusqu’en juin 2014, la salariée a été en arrêt de travail du fait de sa maladie professionnelle du 23 octobre 2014 au 22 avril 2015 ;
Dans sa demande d’avis du 30 mars 2015, le médecin-conseil de la CPAM indique : « épaule gauche. Etat peu évolutif. Handicap sévère semble-t-il. Une consolidation est à envisager rapidement. Merci de statuer quant à l’aptitude au poste de cette dame. Reclassement interne ? Inaptitude et Licenciement ? » et le 16 avril 2015, le médecin du travail indique que Mme Z « parait inapte à reprendre tout poste dans l’entreprise, pas de possibilité de reclassement dans l’entreprise » ;
Le 24 juin 2015, la salariée a bénéficié d’un taux d’incapacité permanente de 6% pour « les AT du 09/10/2014 et 15/04/2014 » ;
La salariée a été reconnue travailleur handicapé le 19 avril 2016.
Au regard de ces éléments et prenant en considération la pièce n° 22 qui est un descriptif établi par la salariée dans le cadre de l’examen de sa maladie professionnelle par la Caisse primaire d’assurance maladie, des gestes quotidiens qu’elle devait accomplir dans le cadre de son travail, accompagné d’un schéma du poste de travail - et dont la teneur n’est pas contredite valablement par l’employeur - la Cour constate que la société, pourtant alertée à maintes reprises par les salariées du premier vestiaire, n’a mis en place aucune mesure de nature à éviter les risques, à évaluer les risques qui ne peuvent être évités, à les combattre à la source, enfreignant ainsi les dispositions de l’article L4121-2 du Code du travail.
En conséquence, la Cour d’appel constate que l’employeur a méconnu ses obligations légales et n’apporte aucun élément de nature à l’exonérer de sa responsabilité.
Compte tenu de la gravité et de la persistance du manquement ayant eu un retentissement sur la santé de la salariée, le risque s’étant réalisé par le développement d’une maladie professionnelle dont les prémices étaient déjà présents lors du premier accident du travail en 2012, la Cour estime que ce manquement justifiait à lui seul la demande de résiliation judiciaire.
Concernant le préjudice causé à la salariée qui est celui né jusqu’à la prise en charge de la maladie professionnelle laquelle a été indemnisée de façon distincte, il doit être fixé à la somme de 10.000 euros.
1.2) Sur le harcèlement moral : le harcèlement est constitué et le Bal du Moulin Rouge ne démontre pas que son comportement est extérieur à tout harcèlement.
La Cour d’appel de Paris rappelle en premier lieu qu’aux termes de l’article L1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Selon l’article L1152-2 du Code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
L’article L1154-1 du même Code dans sa version applicable à l’espèce (avant août 2016) prévoit qu’en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe alors à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement.
En effet, pour rappel, pour le harcèlement moral, comme pour le harcèlement sexuel, la Cour d’appel doit prendre en considération tous les éléments présentés par la salariée, pris dans leur ensemble, pour établir l’existence du harcèlement.
Cf notre article Harcèlement sexuel et moral : office du juge devant le Conseil de prud’hommes et en appel.
1.2.1) Madame Y.
En l’espèce, la Cour d’appel relève que Mme Y invoque les faits suivants :
Un management nuisible par le recrutement effectué et le refus du Bal du Moulin Rouge de prendre en considération l’état de santé de la salariée dans l’attribution des tâches qui lui étaient confiées ;
Un mépris affiché par le Bal du Moulin Rouge après la dénonciation par les employées du service vestiaire de la dégradation de leurs conditions de travail ;
Les accusations de « harcèlement » portées contre elle par la société ayant donné lieu à une mise en garde infondée du 18 août 2011 ;
L’absence de mesures de protections mises en œuvre dans le cadre du harcèlement moral subi par elle, de la part de Monsieur A. P., ancien président de l’association du restaurant, au début de l’année 2012, soulignant les conclusions bâclées de l’enquête ;
Un harcèlement moral discriminatoire au titre de son mandat de représentante du personnel, la salariée soulignant que le Bal du Moulin Rouge a eu une attitude déloyale face aux tentatives des déléguées du personnel de signaler leurs difficultés, a restreint sa liberté de circuler, s’est refusé à décaler les horaires de réunions, a modifié de façon illicite le système de bons de remise de délégation et a refusé d’accorder des récupérations au titre des réunions des représentants du personnel sur leur temps de travail.
A l’appui, elle produit notamment les pièces suivantes :
La lettre du 11 septembre 2012 alertant sur la perte de polyvalence et l’augmentation de la pénibilité ;
Le procès-verbal de réunion du CHSCT du 12 juillet 2012 ;
Les documents médicaux concernant ses pathologies ;
Des ordonnances pour des prescriptions médicamenteuses ;
Sa lettre du 7 février 2012 dénonçant des faits de harcèlement moral de la part de Monsieur P. ;
Les attestations de Mme P. et de Mme L., ses collègues ayant assisté à l’incident du 31 janvier 2012 ;
Les conclusions de l’enquête du 20 avril 2012 ;
Les courriers des 02/20/12, 27/11/2012 de la directrice des ressources humaines Mme V. ;
La lettre des salariées du 02/04/2013 suite à un entretien du 13/02/2013 avec la directrice des ressources humaines ;
La réponse de celle-ci du 22/04/2013 ;
Un extrait des questions-réponses des délégués du personnel du 17 mars 2010 ;
Les pièces adverses 31 à 33 relatant un incident avec une autre salariée et proposant une médiation, à laquelle aucune suite ne sera donnée ;
L’attestation d’une salariée datée du 18 janvier 2012 relatant un échange avec Mme V. ;
La lettre du 1er juin 2011 du syndicat national des professionnels du théâtre et des activités culturelles CGT adressée au directeur général concernant la circulation de Mme Y dans les locaux ;
Des échanges de courriers concernant les bons de délégation.
La Cour d’appel affirme que la salariée établit ainsi des éléments précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.
De son côté, la société indique avoir été à l’écoute de ses salariées et avoir consacré de nombreuses réunions dédiées aux employées du vestiaire en 2010 et 2011.
Elle précise concernant les faits dénoncés le 7 février 2012, avoir effectué une enquête pour harcèlement moral, laquelle a exclu la caractérisation d’une telle infraction, ayant relevé le retour à des relations apaisées de travail.
Elle invoque le comportement déplacé de la salariée vis-à-vis de ses collègues de travail, constaté après enquête laquelle a conclu à l’absence de harcèlement moral mais souligne le caractère polémique des courriers subséquents de Mme Y.
Elle souligne que le moyen tiré de la discrimination en raison du mandat, écarté par la Cour de cassation, est désormais associé par la salariée avec le harcèlement moral et se défend de toute attitude déloyale, expliquant que l’horaire fixé pour les réunions (17h ou 17h30) était le seul permettant de faire concilier les horaires du personnel administratif et ceux du personnel participant au spectacle ou travaillant en parallèle de celui-ci.
Elle explique que les règles sur les bons de délégation ont été adoptées lors d’une séance du comité d’entreprise du 27/06/2012 mais que la salariée et sa collègue n’ont pas voulu s’y conformer.
Elle indique que les heures de délégation effectuées en dehors du temps de travail ont toujours été récupérées.
Elle produit notamment les pièces suivantes :
Les réponses de la direction aux délégués du personnel lors des réunions des 17 mars, 21 avril, 28 juillet, 20 octobre, 24 novembre 2010, 2 mars et 18 avril 2011 ;
Le procès-verbal du CE du 26 janvier 2011 aux termes duquel « la déléguée syndicale a confirmé n’avoir pas pris conscience de la gravité de son déplacement » ;
Les échanges de courriers sur les bons de délégation.
La Cour d’appel de Paris affirme que concernant le refus d’accorder des heures de récupération et ne réclame aucune somme à ce titre ni au titre des heures de délégation.
Par ailleurs, si une demande de modification des horaires des réunions a été faite en 2010, l’employeur y a répondu de façon adaptée, les réunions des délégués du personnel concernant d’autres élus que celles du service vestiaire.
S’agissant des bons de délégation, l’employeur justifie de l’adoption de nouvelles modalités pour des raisons d’organisation du service auquel appartiennent les élus et afin d’assurer un meilleur suivi pour le service paie.
Enfin, le procès-verbal du comité d’entreprise produit démontre que les déplacements de Mme Y dans les coulisses ont été considérés comme gênants par les danseurs, de sorte que la direction n’a fait qu’user de son pouvoir de direction en éditant des notes de service comportant certaines interdictions, lesquelles n’étaient pas destinées à entraver l’activité syndicale de Mme Y.
En conséquence, la Cour estime que les décisions prises étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement discriminatoire.
La mesure de mise en garde prise par la direction en 2011 après une enquête, était justifiée par les propos déplacés que Mme Y avait proféré contre une de ses collègues.
Elle ajoute que l’enquête menée par la direction avec le CHSCT sur les agissements de M. P. dénoncés comme du harcèlement moral par Mme Y, a permis de confirmer les propos injurieux et menaces physiques proférées le 31 janvier 2012 par le directeur du restaurant, mais il est ressorti également le caractère isolé de cette altercation liée à un différend ponctuel antérieur et sans lien apparent avec les revendications salariales de l’employée du vestiaire.
En outre, dans la mesure où il est reconnu lors de son audition le 8 mars 2012 par Mme Y elle-même que M. P. « s’est platement excusé » et que leurs relations sont redevenues normales et professionnelles, il ne saurait être reproché à l’employeur un manquement, la main-courante déposée ultérieurement par la salariée n’évoquant pas d’autres faits.
En tout état de cause, la salariée n’établit pas de lien entre l’incident et la dégradation de son état de santé.
En revanche, il ressort de la chronologie exposée dans le cadre du manquement à l’obligation de sécurité que les décisions successives de la direction de 2006 à 2012 concernant la réorganisation du service vestiaire ont eu une incidence certaine sur les conditions de travail des salariées et des conséquences sur leur santé, la dégradation de celle-ci étant patente à compter de l’année 2012 et reconnue par les médecins spécialistes, sans que la décision de rejet de la maladie professionnelle puisse interférer.
Par ailleurs, les réponses écrites aux alertes des salariées concernées étaient inappropriées et démontrent que loin de tenter de trouver des solutions afin d’adapter le travail, limiter le travail cadencé et de réduire ses effets sur la santé du personnel du service vestiaire, la société a pris des décisions dans un sens uniquement dédié à la clientèle et de nature commerciale, négligeant totalement l’impératif supérieur qui aurait dû le guider notamment par l’absence de suivi sur la pénibilité, le CHSCT ayant pourtant clairement donné les bases légales début juillet 2012, sans que la société donne une suite de façon à assurer l’effectivité de son obligation, et alors même que plusieurs des salariées étaient atteintes d’affections susceptibles de relever de la législation sur les accidents du travail et la maladie professionnelle.
La Cour d’appel de renvoi ajoute enfin que mêle si les revendications salariales autour de la rémunération variable ont pu obscurcir le débat, les termes des courriers notamment de la directrice des ressources humaines en réponse étaient significatifs d’un mépris affiché face aux inquiétudes des salariées : « je ne peux naturellement que contester les allégations fallacieuses qu’elles contiennent quant à la perte de votre polyvalence, l’augmentation de la pénibilité de vos tâches (…) Vos allégations à ce titre n’ont en effet, d’autre finalité que de constituer une tentative d’intimidation à notre égard et de servir votre dossier dans le cadre de la procédure prud’homale que vous avez initié à l’encontre de notre société », leur reprochant également leur « acharnement » et « harcèlement procédural » à répéter des griefs sans fondement.
Par ailleurs, alors qu’elle avait reconnu une ambiance tendue au service vestiaire et des dysfonctionnements dans sa lettre du 20 février 2014, la direction n’a jamais mis en œuvre la mesure de médiation destinée, selon elle, à rétablir une communication normale.
En conséquence, la Cour constate que l’employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par Mme Y sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Tenant compte du fait que l’un des éléments constitutifs du harcèlement moral résulte du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité déjà indemnisé, la Cour fixe le préjudice de la salariée concernant les agissements au titre du harcèlement moral, à la somme de 2.000 euros.
1.2.2) Madame Z.
La Cour d’appel relève que Mme Z invoque les faits suivants :
Un management nuisible par le recrutement effectué et le refus du Bal du Moulin Rouge de prendre en considération l’état de santé de la salariée dans l’attribution des tâches qui lui étaient confiées ;
Un mépris affiché par le Bal du Moulin Rouge après la dénonciation par les employées du service vestiaire de la dégradation de leurs conditions de travail ;
Un harcèlement discriminatoire au titre de son mandat de représentante du personnel, Mme Z soulignant que le Bal du Moulin Rouge a eu une attitude déloyale face aux tentatives des délégués du personnel de signaler leurs difficultés s’est refusé à décaler les horaires réunions, a modifié de façon illicite le système de bons de remise de délégation et a refusé d’accorder des récupérations au titre des réunions des représentants du personnel sur leur temps de travail.
A l’appui, elle produit notamment les pièces suivantes :
La lettre du 11 septembre 2012 alertant sur la perte de polyvalence et l’augmentation de la pénibilité ;
Le procès-verbal de réunion du CHSCT du 12 juillet 2012 ;
Les documents médicaux concernant son accident du 28 juin 2012, sa pathologie reconnue comme maladie professionnelle et ses suites ;- Les courriers des 02/20/12, 27/11/2012 de la directrice des ressources humaines Mme V. ;
La lettre des salariées du 02/04/2013 suite à un entretien du 13/02/2013 avec la directrice des ressources humaines ;
La réponse de celle-ci du 22/04/2013 ;
Un extrait des questions-réponses des délégués du personnel du 17 mars 2010 ;
Les pièces adverses 31 à 33 relatant un incident avec une autre salariée et proposant une médiation, à laquelle aucune suite ne sera donnée ;
L’attestation d’une salariée datée du 18 janvier 2012 relatant un échange avec Mme V. ;
Des ordonnances pour des prescriptions médicamenteuses ;
Une attestation du 3 juillet 2019 d’une psychologue clinicienne sur la fragilité morale de Mme Z ;
Des échanges de courriers concernant les bons de délégation.
Selon la Cour d’appel, la salariée établit ainsi des éléments précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.
Elle relève que la société indique avoir été à l’écoute de ses salariées et avoir consacré de nombreuses réunions dédiées aux employées du vestiaire en 2010 et 2011.
Elle rappelle que la salariée a bénéficié d’un suivi accru de la part de la médecine du travail et qu’elle n’a eu connaissance d’une dégradation de son état de santé qu’en avril 2014 après un accident de trajet sans rapport avec l’inaptitude ultérieurement intervenue.
Elle souligne que le moyen tiré de la discrimination en raison du mandat, écarté par la Cour de cassation, est désormais associé par la salariée avec le harcèlement moral, et se défend de toute attitude déloyale, expliquant que l’horaire fixé pour les réunions (17h ou 17h30) était le seul permettant de faire concilier les horaires du personnel administratif et ceux du personnel participant au spectacle ou travaillant en parallèle de celui-ci.
Elle explique que les règles sur les bons de délégation ont été adoptées lors d’une séance du comité d’entreprise du 27/06/2012 mais que la salariée et sa collègue n’ont pas voulu s’y conformer.
Elle indique que les heures de délégation effectuées en dehors du temps de travail ont toujours été récupérées.
Elle produit notamment les pièces suivantes :
Les réponses de la direction aux délégués du personnel lors des réunions des 17 mars, 21 avril, 28 juillet, 20 octobre, 24 novembre 2010, 2 mars et 18 avril 2011 ;
Les échanges de courriers sur les bons de délégation avec la salariée et l’inspection du travail.
Concernant le harcèlement discriminatoire du fait de son mandat, la salariée n’apporte aux débats aucun élément concernant le refus d’accorder des heures de récupération et ne réclame aucune somme à ce titre ni au titre des heures de délégation.
Par ailleurs, si une demande de modification des horaires des réunions a été faite en 2010, l’employeur y a répondu de façon adaptée, les réunions des délégués du personnel concernant d’autres élus que celles du service vestiaire.
S’agissant des bons de délégation, il ressort des pièces de l’employeur, qu’un échange s’est instauré entre la société et l’inspection du travail et s’est poursuivi jusqu’en décembre 2013, concernant leur usage.
Il a été reproché à la salariée de ne pas s’être conformée à la demande faite par la direction lors du comité d’entreprise du 23 mai 2012 et avalisée lors du comité d’entreprise suivant, tendant à ce que les heures de délégation ne soient plus déclarées en fin de mois et que les élus informent de la prise de ces heures, 48 heures à l’avance.
L’employeur justifie de l’adoption de nouvelles modalités pour des raisons d’organisation du service auquel appartiennent les élus et afin d’assurer un meilleur suivi pour le service paie.
Il s’avère que la salariée prenait exclusivement ses heures de délégation en-dehors de ses horaires de travail et dès lors, sans que ses modalités constituent un moyen de contrôle illicite, il appartenait précisément à l’employeur de vérifier que chaque mois, ces heures s’ajoutant aux heures de travail, la durée maximale de travail ne risquait pas d’être dépassée, ce qu’il lui a précisé dans sa lettre du 26 septembre 2012.
En conséquence, la cour estime que les décisions prises qui s’appliquaient à tous les élus, étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement discriminatoire.
La Cour d’appel de Paris affirme que s’il est exact que la salariée n’a pas invoqué une situation de harcèlement moral dans le cadre de son action judiciaire initiale en 2012, ce terme est utilisé dans le cadre d’un courrier du 13 février 2013 à la suite d’une réunion avec la directrice des ressources humaines.
Il ressort de la chronologie exposée dans le cadre du manquement à l’obligation de sécurité que les décisions successives de la direction de 2006 à 2012 concernant la réorganisation du service vestiaire ont eu une incidence certaine sur les conditions de travail des salariées et des conséquences sur leur santé, la dégradation de celle-ci étant patente à compter de l’année 2012 et reconnue par les médecins spécialistes.
Par ailleurs, les réponses écrites aux alertes des salariées concernées étaient inappropriées et démontrent que loin de tenter de trouver des solutions afin d’adapter le travail, limiter le travail cadencé et de réduire ses effets sur la santé du personnel du service vestiaire, la société a pris des décisions dans un sens uniquement dédié à la clientèle et de nature commerciale, négligeant totalement l’impératif supérieur qui aurait dû le guider notamment par l’absence de suivi sur la pénibilité, le CHSCT ayant pourtant clairement donné les bases légales début juillet 2012, sans que la société donne une suite de façon à assurer l’effectivité de son obligation, et alors même qu’elle ne pouvait ignorer les raisons de l’accident du travail du 28 juin 2012 déclaré comme tel par elle.
Enfin, même si les revendications salariales autour de la rémunération variable ont pu obscurcir le débat, les termes des courriers notamment de la directrice des ressources humaines en réponse étaient significatifs d’un mépris affiché face aux inquiétudes des salariées : « je ne peux naturellement que contester les allégations fallacieuses qu’elles contiennent quant à la perte de votre polyvalence, l’augmentation de la pénibilité de vos tâches (...) Vos allégations à ce titre n’ont en effet, d’autre finalité que de constituer une tentative d’intimidation à notre égard et de servir votre dossier dans le cadre de la procédure prud’homale que vous avez initié à l’encontre de notre société », leur reprochant également leur « acharnement » et « harcèlement procédural » à répéter des griefs sans fondement.
Par ailleurs, alors qu’elle avait reconnu une ambiance tendue au service vestiaire et des dysfonctionnements dans sa lettre du 20 février 2014, la direction n’a jamais mis en œuvre la mesure de médiation destinée, selon elle, à rétablir une communication normale.
En conséquence, la Cour constate que l’employeur échoue à démontrer que les faits matériellement établis par Mme Z sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Tenant compte du fait que l’un des éléments constitutifs du harcèlement moral résulte du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité déjà indemnisé, la Cour fixe le préjudice de la salariée concernant les agissements au titre du harcèlement moral, à la somme de 2.000 euros.
2) Sur la rupture du contrat de travail et ses conséquences.
La Cour ayant constaté que l’employeur avait failli dans ses obligations à l’égard des salariées considèrent que les demandes de résiliation judiciaire étaient fondées et doivent prendre effet à la date du licenciement pour Mme Z et à la date du prononcé de la présente décision, aucun licenciement pour inaptitude n’étant intervenu pour Mme Y.
La résiliation judiciaire du contrat de travail, prononcée aux torts de l’employeur en raison, notamment, du harcèlement moral dont le salarié a été victime, produit les effets d’un licenciement nul conformément aux dispositions de l’article L1152-3 du Code du travail.
2.1) Madame Y.
2.1.1) Sur le salaire de référence.
La salariée demande à la Cour de retenir un salaire de référence de 6.347,52 euros bruts, correspondant à la période d’avril 2011 à mars 2012, plus avantageuse pour elle et non celui de 3.957,15 euros retenu par le Bal du Moulin Rouge correspondant à la période de janvier à décembre 2015.
La société ne présente aucune réponse à ce moyen.
La Cour d’appel affirme que le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, celui des douze ou des trois derniers mois précédant l’arrêt de travail pour maladie.
Prévue par l’article L1234-5 du code du travail, l’indemnité compensatrice correspond aux salaires et avantages, y compris l’indemnité de congés payés, que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail.
Lorsque le salaire comprend une partie fixe et une partie variable, cette dernière doit être prise en compte dans l’assiette de calcul de la rémunération.
Il faut alors appliquer le taux moyen de rémunération versée au salarié au cours des 12 derniers mois.
Dès lors, la Cour considère qu’il convient de faire droit à la demande de Mme Y.
2.1.2) Sur les indemnités de rupture.
La Cour d’appel de Paris affirme que la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé le 12 novembre 2013 permet le doublement de l’indemnité de préavis dans la limite de trois mois et dès lors, en application de l’article L. 5213-9 du Code du travail, il convient de faire droit à la somme demandée au titre de l’indemnité compensatrice de préavis.
S’agissant de l’indemnité légale de licenciement, la salariée ayant une ancienneté de 11 ans au 10 avril 2012, date de son arrêt pour maladie, est en droit d’obtenir en application de l’article L1234-9 du code du travail, la somme demandée de 17.068,48 euros nets.
2.1.3) Sur l’indemnisation au titre du licenciement nul.
Les juges d’appel rappellent qu’en application de l’article L1253-1 du Code du travail, le salarié dont le licenciement est nul, et qui ne demande pas sa réintégration, a droit à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et ne pouvant être inférieure à six mois de salaire.
Eu égard à l’ancienneté de la salariée, à son âge à la date de la rupture (51 ans), aux éléments concernant sa situation, la Cour décide d’allouer à Mme Y la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts.
2.2) Madame Z.
2.2.1) Sur le salaire de référence.
La salariée indique que la société a retenu :
D’une part, un salaire de 2.376,64 euros bruts correspondant à la période de juin 2014 à mai 2015, période pendant laquelle elle était en arrêt maladie, pour l’indemnité spéciale de licenciement ;
D’autre part, celui de 3.160,73 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis.
Elle demande à la cour de fixer celui-ci à la somme de 3.446,03 euros, correspondant à la période de décembre 2013 à février 2014, plus avantageuse pour la salariée.
La société ne présente aucune réponse à ce moyen.
La Cour d’appel de renvoi affirme que le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié, celui des douze ou des trois derniers mois précédant l’arrêt de travail pour maladie.
Prévue par l’article L1234-5 du code du travail, l’indemnité compensatrice correspond aux salaires et avantages, y compris l’indemnité de congés payés, que le salarié aurait perçus s’il avait accompli son travail.
Lorsque le salaire comprend une partie fixe et une partie variable, cette dernière doit être prise en compte dans l’assiette de calcul de la rémunération. Il faut alors appliquer le taux moyen de rémunération versée au salarié au cours des 12 derniers mois.
Dès lors, il convient de faire droit à la demande de Mme Z.
2.2.2) Sur les indemnités de rupture.
La Cour d’appel affirme qu’en application du salaire de référence, il revient à la salariée un reliquat au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, d’un montant de 570,60 euros outre les congés payés afférents.
S’agissant de l’indemnité spéciale de licenciement prévue à l’article L. 1226-14 du Code du travail, contrairement à ce qu’énonce l’employeur, elle est due même en cas de résiliation judiciaire.
Le calcul de la salariée n’étant pas contesté quant à un reliquat issu de l’application du salaire de référence, la Cour fera droit à la demande à hauteur de 917,87 euros nets.
2.2.3) Sur l’indemnisation au titre du licenciement nul.
Les juges d’appel considèrent que le salarié dont le licenciement est nul, et qui ne demande pas sa réintégration, a droit, en toute hypothèse, en plus des indemnités de rupture, à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire, quels que soient son ancienneté et l’effectif de l’entreprise.
Eu égard à l’ancienneté de plus de 19 ans de la salariée, à son âge à la date du licenciement (47 ans), et à ses difficultés démontrées par les pièces produites aux débats pour retrouver un emploi, la Cour décide d’allouer à Mme Z la somme de 52.000 euros à titre de dommages et intérêts.
3) Sur les autres demandes.
La Cour d’appel de Paris affirme que la société succombant au principal devra s’acquitter des dépens, sera déboutée de sa demande faite sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et à ce titre sera condamnée à payer à Mme Y et à Mme Z la somme de 3.000 euros.
Les sommes allouées au titre des indemnités de rupture ne sauraient porter intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l’employeur à l’audience de tentative de conciliation, puisque les demandes n’ont été exprimées pour la première fois, que dans le cadre de conclusions soutenues à l’audience de jugement du 18 septembre 2014 pour Mme Y et postérieurement au licenciement et dans le cadre de conclusions devant la Cour soutenues à l’audience du 28 juin 2017 pour Mme Z.
Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision.
Il convient en outre de faire droit à la demande de remise de documents sous astreinte.