Posant le cadre légal de la qualification du harcèlement moral, par le juge civil, les dispositions de l’article L1152-1 du Code du travail sont abondamment commentées par la jurisprudence.
Le régime probatoire de l’article L1152-1 du Code du travail.
Ici, c’est davantage la dégradation prévisible et non point prouvée qui en fonde la qualification :
“Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel” [1].
Ainsi, par son arrêt du 11 mars 2025 [2], la Cour de cassation fait une interprétation stricto sensu du texte du régime probatoire des articles L1152-1 et L1154-1.
Office du juge.
Les faits susceptibles de recevoir la qualification de harcèlement moral, soumis au juge du fond, sont appréciés suivant une méthodologie explicitée dans l’arrêt du 5 février 2013 de la Haute assemblée.
Concrètement, il appartient aux juges du fond de rechercher si les faits présentés par le salarié ne laissent pas présumer l’existence d’un harcèlement moral et si, dans l’affirmative, il échoit alors à l’employeur de prouver que ses décisions ou agissements sont justifiés par des éléments objectifs étrangers au harcèlement. Ainsi, au visa des articles L1152-1 et L1154-1 du Code du travail :
“Pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L1152-1 du Code du travail, et, dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Pour débouter le salarié de sa demande de dommages-intérêts au titre d’un harcèlement moral, l’arrêt retient que celui-ci ne donne aucun élément sur le préjudice qui en serait résulté, alors qu’aucun préjudice n’est automatique.
En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait préalablement de rechercher si les faits présentés par le salarié ne laissaient pas présumer l’existence d’un harcèlement moral et si, dans l’affirmative, l’employeur prouvait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d’appel a violé les textes susvisés” [3].
La charge de la preuve.
Aux termes des dispositions de l’article L1154-1 du Code du travail, de principe, la charge de la preuve est partagée (Pour aller plus loin : Harcèlement moral au travail : preuve et moyens d’action).
D’abord, il appartient au demandeur, le salarié, alléguant les faits de harcèlement moral, de présenter des éléments laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Ensuite, l’employeur se doit de démontrer que les faits invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
Ceci eu égard aux prescriptions de l’article précité :
“Lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L1152-1 à L1152-3 et L1153-1 à L1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement” [4].
De surcroît, l’article L1154-1 du même Code précise que, “le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles”.
Ces principes constants rappelés, dans l’arrêt commenté du 11 mars 2025, la Cour de cassation apporte un élément de taille au régime juridique propre au harcèlement moral. En somme, l’appréciation du harcèlement moral repose sur l’examen global des faits présentés par le salarié et qu’il n’est pas nécessaire de prouver l’effectivité de la dégradation des conditions du travail et l’état de santé du salarié.
En l’espèce, une salariée conteste les agissements de son employeur comme constitutifs de harcèlement moral. Il s’agit d’un avertissement injustifié et de l’absence de sollicitation sur la prise de congés.
Elle saisit le tribunal de demandes tendant à juger que le licenciement est l’aboutissement de faits de harcèlement moral. Outre que le licenciement est nul et de nul effet, et en paiement d’indemnités pour licenciement nul et en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral.
La cour d’appel la déboute au motif que :
- la salariée établit l’existence de faits précis qui, pris dans leur ensemble, laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre,
- l’avertissement injustifié, l’absence d’interrogation de la salariée sur ses dates de congés ne relèvent pas du harcèlement moral en ce que ces circonstances n’ont pas eu pour effet de dégrader les conditions de travail de la salariée, ni d’altérer sa santé physique,
- la dégradation de l’état de santé de la salariée étant bien postérieure à la rupture du contrat de travail, la salariée ayant été hospitalisée plus d’un an après la rupture contractuelle.
Position censurée par la Haute cour, estimant que, précisément, au visa des articles L1152-1 et L1154-1 du Code du travail :
“Le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
Pour débouter la salariée de ses demandes tendant à juger que le licenciement était l’aboutissement de faits de harcèlement moral, que le licenciement était nul et de nul effet et en paiement d’indemnités pour licenciement nul et en réparation des préjudices subis du fait du harcèlement moral, l’arrêt, après avoir retenu que la salariée établissait l’existence de faits précis qui, pris dans leur ensemble, laissaient supposer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre, relève que l’avertissement injustifié du 8 septembre 2015, et contesté uniquement dans le cadre de la procédure prud’homale initiée en juillet 2018, et l’absence d’interrogation de la salariée sur ses dates de congés en 2016, ne relèvent pas du harcèlement moral en ce qu’ils n’ont pas eu pour effet de dégrader les conditions de travail de la salariée, ni d’altérer sa santé physique, la dégradation de l’état de santé de la salariée étant bien postérieure à la rupture du contrat de travail survenue le 25 juillet 2016, cette dernière ayant été hospitalisée le 6 août 2017, soit plus d’un an après la rupture contractuelle.
En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que l’avertissement du 8 septembre 2015 était injustifié et que l’employeur ne fournissait aucune explication sur l’absence de sollicitation de la salariée quant à la fixation de ses congés en 2016, ce dont il résultait que l’employeur ne prouvait pas que ces deux agissements étaient étrangers à tout harcèlement, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés” [5].
Alignement des positions des chambres civile et criminelle.
Partant, il y a lieu de noter que, au travers de cette décision, la Chambre sociale s’aligne sur la jurisprudence de la chambre criminelle.
En effet, aux termes de sa position constante, la Chambre criminelle juge que la simple possibilité de dégradation suffit à consommer le délit de harcèlement moral : l’effectivité de la dégradation des conditions de travail ou de l’état de santé n’est pas une condition nécessaire à la qualification des faits : « la simple possibilité de la dégradation de l’état de santé ou des conditions de travail suffit à consommer le délit de harcèlement moral » :
“Vu les articles 222-33-2 du Code pénal et 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que, d’une part, selon le premier de ces textes, constitue le délit de harcèlement moral le fait de harceler autrui par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel ;
Attendu que, d’autre part, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour dire n’y avoir de charges suffisantes contre les mis en examen d’avoir commis le délit de harcèlement moral, l’arrêt énonce notamment que la succession d’arrêts de travail fondés sur des certificats médicaux laconiques ne saurait démontrer, en l’absence de tout document médical sérieux, une altération de la santé physique ou mentale de M. X... ;
Mais attendu qu’en l’état de ces seuls motifs, la chambre de l’instruction, qui a ajouté à la loi des conditions qu’elle ne comporte pas, en retenant que les conséquences de la dégradation des conditions de travail devaient être avérées, alors que la simple possibilité d’une telle dégradation suffit à consommer le délit de harcèlement moral, a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus énoncés” [6].
Prohibition du harcèlement moral et obligation de sécurité.
Sur un autre registre, il convient de rappeler le caractère autonome de la réparation du harcèlement moral (Voir l’article : Obligation de sécurité de l’employeur et harcèlement moral au travail). Substantiellement, il s’agit de distinguer l’indemnisation spécifique pour manquement et celle se rapportant aux manquements à l’obligation de prévention et de sécurité instituée par les articles L4121-1 et suivants du Code du travail :
“L’obligation de prévention des risques professionnels, qui résulte des textes susvisés, est distincte de la prohibition des agissements de harcèlement moral instituée par l’article L1152-1 du Code du travail et ne se confond pas avec elle” [7].
En conclusion, la Haute Assemblée confirme le régime probatoire issu des dispositions des articles L1154-1 et L1154-1 du Code du travail. En ce que, la qualification du harcèlement moral repose sur la nature des agissements, leurs effets prévisibles et non point sur les conséquences effectives, relativement à la santé du salarié ou aux conditions réelles d’exécution du contrat de travail.
Néanmoins, il va sans dire que la preuve de la dégradation constatée des conditions de travail ou de l’état de santé revêt un caractère d’importance en ce qui concerne l’appréciation, par le juge, du préjudice causé par le harcèlement - le montant des dommages - intérêts alloués de ce chef.
Du reste, en matière de santé au travail, la prévention en est un levier, accessible et efficient, à la fois de protection des droits et d’anticipation des risques psychosociaux.