I. Un renforcement de la cohérence de l’ordonnance de protection.
Les dispositions adoptées poursuivent le mouvement de renforcement de l’ordonnance de protection depuis la création du dispositif [5]. La loi n°2014-873 étendait déjà de 4 à 6 mois la durée de l’ordonnance de protection, permettant ainsi aux personnes bénéficiaires des mesures de réorganiser leur vie personnelle dans un laps de temps plus raisonnable.
En 2020 le législateur a souhaité réaffirmer le principe de l’éviction du conjoint violent, laissant la possibilité aux victimes de demeurer dans le logement conjugal pour ne pas déstabiliser davantage leur situation [6]. Enfin les modalités d’interdiction de détention et de port d’arme par le juge aux affaires familiales ont été modifiées par la loi n°2022-52 du 24 janvier 2022, dans le cadre de l’ordonnance de protection.
La loi du 13 juin 2024 poursuit ce mouvement dans un but de « renforcement de la protection des personnes en danger au sein du couple » [7] en allongeant à nouveau la durée de l’ordonnance de protection à 12 mois maximum, délai pouvant être toujours être prolongé sur le fondement de l’article 512-12 du Code civil [8]. Les 6 mois de protection pouvant être ordonnés jusqu’à maintenant étaient jugés insuffisants dans des situations particulièrement conflictuelles ou quand les parties ne pouvaient pas bénéficier de la prolongation de l’article 512-12.
Si cet allongement va en effet dans le sens de la protection des victimes de violences, marquant ainsi une cohérence avec les dispositions antérieures, il n’en demeure pas moins que cette durée de 12 mois paraît fort longue concernant l’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale et des modalités de droit de visite et d’hébergement, en dehors d’ailleurs parfois de toute déclaration de culpabilité émanant d’un juge pénal. On rappellera d’ailleurs que les notions de danger et de vraisemblance ne sont toujours pas juridiquement définies [9]. Il est à craindre en cas de prononcé d’une ordonnance pour 12 mois suspendant les droits de visite et d’hébergement, que le juge aux affaires familiales n’ait d’autre solution pour avoir une reprise des liens progressive, que d’ordonner au fond que la reprise de droits de visite se fasse de manière médiatisée. L’intérêt supérieur de l’enfant commandera en effet sûrement la mise en place de droits médiatisés et ce, quand bien même la réalité des violences ne serait pas, in fine, avérée.
Cependant nous pouvons nous interroger sur les conséquences de l’allongement des ordonnances de protection alors que d’autres mesures peuvent être mises en œuvre pour garantir la protection du demandeur et la stabilisation de sa situation. Pour justement permettre le retour d’une stabilité non seulement pour la victime mais aussi pour les enfants, n’aurait-il pas été plus opportun de renforcer les dispositifs existants comme l’allocation de moyens humains permettant d’obtenir une décision du juge aux affaires familiales statuant en référé dans un délai de 6 mois, l’allocation de l’aide universelle d’urgence, ou le bénéfice d’un hébergement d’urgence ? Il conviendrait selon nous d’en faire des solutions pérennes permettant à la victime de reprendre pied et d’effectuer toutes démarches utiles.
La loi du 13 juin 2024 comprend également des dispositions permettant une cohérence sémantique en ajoutant le cas de l’absence de cohabitation au sein de l’article 515-11 du Code civil ou en modifiant la syntaxe de l’article 515-9 ne laissant désormais plus de doute quant à l’applicabilité du dispositif de protection au parent en danger et/ou aux enfants [10]. S’il y avait peu de doute sur le sens à donner au texte [11], l’éclaircissement est bienvenu.
II. Le régime de l’ordonnance provisoire de protection immédiate.
L’adoption de l’ordonnance provisoire de protection immédiate aux articles 515-13 et 515-13-1 a été motivée par la nécessité d’une protection encore plus rapide dans l’attente de la délivrance d’une ordonnance de protection sous 6 jours [12]. Afin de permettre la constitutionnalité du dispositif, le législateur a tenté d’organiser le « nécessaire équilibre entre la protection de la partie demanderesse et les atteintes aux libertés de la partie défenderesse » [13].
L’ordonnance provisoire de protection immédiate est délivrée par le juge aux affaires familiales lorsqu’il est saisi d’une demande d’ordonnance de protection et que le ministère public avec l’accord du demandeur, demande la délivrance d’une ordonnance provisoire. Le juge aux affaires familiales dispose alors d’un délai de 24 heures pour statuer au vu des seuls éléments de la requête. L’ordonnance provisoire prend fin à compter de la décision statuant sur l’ordonnance de protection. Elle n’est donc instituée que comme l’accessoire d’une demande principale d’ordonnance de protection.
Les critères d’octroi de l’ordonnance provisoire sont sensiblement identiques à ceux de l’ordonnance de protection, mais apparaissent plus restrictifs compte tenu des exigences de constitutionnalité. Il est nécessaire de démontrer des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables les violences alléguées et l’existence d’un danger grave et immédiat auquel le demandeur ou les enfants sont exposés. Le danger vraisemblable ouvrant droit à l’ordonnance de protection est donc élevé à un danger vraisemblable « grave et immédiat ». Ces critères sont appréciés non contradictoirement. En outre, les mesures pouvant être prononcées par le juge aux affaires familiales sont limitées à celles touchant à l’intégrité de la personne et des enfants, soit les interdictions de contact et de paraître, celle de détenir et porter une arme et l’obligation de remettre les armes aux forces de l’ordre. Par amendement [14], la suspension du droit de visite et d’hébergement a également été incluse parmi les mesures pouvant être prononcées.
III. Éléments d’appréciation de l’ordonnance provisoire de protection immédiate.
Si le dispositif instauré par la loi du 13 juin 2024 semble en effet renforcer la protection des victimes de violences au sein du couple, l’ordonnance provisoire de protection immédiate n’est pas exempte de critiques, ou à tout le moins de quelques interrogations. Nous pouvons en premier lieu questionner les éléments sur lesquels le juge pourra se fonder, à savoir ceux contenus dans la requête. La procédure d’ordonnance provisoire requiert du demandeur qu’il fournisse des preuves de violences vraisemblables mais également d’un danger grave et immédiat vraisemblable, preuves pouvant être difficiles à rassembler dans le délai très bref imposé par l’ordonnance provisoire. On peut en effet raisonnablement penser qu’une demande d’ordonnance provisoire ne pourra se concevoir que très rapidement après l’apparition du danger « immédiat ». Le Conseil national des Barreaux avait d’ailleurs alerté sur l’alourdissement significatif de la charge de la preuve pesant sur la personne requérante [15]. Par ailleurs, nous pouvons nous interroger sur les motivations de l’ordonnance provisoire de protection dès lors que la personne visée serait en fuite ou introuvable [16]. La décision devra en effet être notifiée au destinataire et c’est bien la connaissance par celui-ci de l’ordonnance qui permettra la protection effective du demandeur, rendue illusoire en cas d’impossibilité de
notification.
En outre, nous avons indiqué que c’est le ministère public qui saisit le juge aux affaires familiales d’une demande d’ordonnance provisoire de protection immédiate. Certaines pratiques font état de la transmission par le Parquet du casier judiciaire de l’intéressé, de ses antécédents via Cassiopée et « des principaux actes d’enquête » [17], ce qui pose manifestement difficulté au regard du secret de l’enquête et de l’absence de contradictoire. Il semble impératif de déterminer légalement quels éléments peuvent être transmis et dans quelles conditions, posant nécessairement la question de la compatibilité du dispositif avec l’égalité des armes. S’agissant justement de l’implication du ministère public dans cette procédure, la proposition de loi en profite pour rappeler la nécessité d’une coopération entre les parquets et les juges aux affaires familiales, via notamment les pôles spécialisés au sein de chaque tribunal judiciaire. Cependant ces pôles spécialisés ne sont aujourd’hui pas en vigueur et ces mesures semblent fort délicates à mettre en pratique dans les petites juridictions.
Nous ajouterons que ce dispositif est créé a priori à moyens constants alors qu’il nécessite un examen des situations individuelles tandis que les magistrats du parquet et les juges aux affaires familiales croulent déjà sous les dossiers. L’absence de volet pénal conduira selon nous nécessairement à des rejets d’ordonnances provisoires en raison des difficultés à démontrer les critères de gravité et d’immédiateté du danger vraisemblable (accentuant ainsi le taux de rejet). Peut-être aurait-on pu là aussi renforcer les dispositifs incitatifs au dépôt de plainte (et la formation des forces de l’ordre dans leur recueil) permettant la consultation en unité médico-judiciaire et l’obtention d’un certificat mentionnant notamment les conséquences psychiques du danger, que la victime pourra bien sûr utiliser fort utilement devant le juge aux affaires familiales pour obtenir une ordonnance de protection y compris provisoire.
11°) Enfin, mentionnons que des décrets en Conseil d’État doivent paraître aux fins de fixer les conditions relatives à la saisine du juge aux affaires familiales par le Parquet, l’exécution de l’ordonnance provisoire de protection immédiate, sa notification ainsi que les voies de recours prévues. L’avenir nous montrera comment les juges aux affaires familiales s’emparent de ce nouveau dispositif et réussissent à appréhender ce surcroît de charge de travail.
Mise à jour : le décret du 15 janvier 2025.
Publié au Journal Officiel du 15 janvier 2025, le décret n°2025-47 relatif à l’ordonnance de protection et à l’ordonnance provisoire de protection immédiate vient préciser les modalités d’application de l’ordonnance provisoire de protection immédiate. En particulier, le décret expose les modalités de saisine du juge aux affaires familiales par le Procureur de la République et les modalités de communication de la requête aux fins d’ordonnance de protection du Parquet, de même que les modalités de notification de l’ordonnance provisoire.
Ainsi, l’articulation de la requête d’ordonnance de protection et d’ordonnance provisoire à l’initiative du Parquet est précisée, en ce que les deux doivent faire l’objet de requêtes distinctes. Pour l’ordonnance provisoire, le recueil de l’accord de la personne en danger se fait par tout moyen [18], ce qui pourrait poser des difficultés probatoires en l’absence d’écrit.
L’ordonnance provisoire n’est pas susceptible d’appel, et est notifiée par voie administrative contre récépissé, quand elle est accordée. La date d’audience sur l’ordonnance de protection est précisée dans l’acte de notification.
Le recours est précisé à l’article 1136-15-4 du Code de procédure civile (similaire à un référé-rétractation). Le défendeur doit procéder par assignation devant le juge qui a rendu la décision. Néanmoins, ce recours est non suspensif. Si on peut aisément imaginer la difficulté qu’eut été de prévoir un recours devant la Cour d’appel, aucun délai n’est prévu pour que le juge aux affaires familiales statue sur l’assignation, ce qui semble réduire à peau de chagrin l’intérêt et l’effectivité du recours prévu.
Une circulaire accompagne le décret et est adressée le 16 janvier 2025. Elle rappelle que la demande d’ordonnance provisoire ne peut être faite que par le Procureur et est subordonnée à une demande préalable ou concomitante d’ordonnance de protection. La circulaire précise que si la saisine du Juge aux Affaires Familiales par le Procureur aux fins d’ordonnance provisoire n’est pas encadré dans un délai, le principe même de l’ordonnance provisoire veut que la saisine se fasse dans le plus bref délai à compter de la réception par le Parquet qui n’en serait pas à l’initiative, de la demande d’ordonnance de protection et des pièces jointes.
Pour faciliter le régime probatoire tenant à l’accord de la personne en danger pour une ordonnance provisoire, le formulaire CERFA relatif à l’ordonnance de protection a été actualisé et contient désormais un encadré spécifique afférent. D’autres possibilités sont proposées en exemples comme un PV d’audition ou d’attache téléphonique. Lorsqu’un avocat est rédacteur de la requête en ordonnance de protection, on peut également imaginer la mention de l’accord de la personne en danger pour le recours à une ordonnance provisoire.
Les modalités du recours sont précisées et intéressantes, puisque l’assignation doit être délivrée au Procureur, partie principale. Aucune précision n’est apportée sur les délais pour statuer.
En annexe, la circulaire établit une trame de requête à destination des Parquets, une trame d’ordonnance provisoire de protection immédiate à destination des juridictions familiales ainsi que le formulaire CERFA.
Ces précisions complètent donc le régime de l’ordonnance provisoire et étaient bienvenues afin d’harmoniser les pratiques et de sécuriser cette procédure.