Licenciement du salarié protégé : quand la réintégration se transforme en piège... pour le salarié.

Par Jean-Louis Denier, Juriste.

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Explorer : # licenciement # salarié protégé # réintégration # droit du travail

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Cet article traite du droit à réintégration du salarié détenteur d'un mandat représentatif (article L2422-1 du Code du Travail), dit salarié protégé: le salarié a droit à être réintégré dans son emploi ou un emploi équivalent en cas d'annulation de l'autorisation de licenciement par le ministre ou le juge. La réintégration nécessite une demande dans les deux mois suivant la notification de la décision.
Description rédigée par l'IA du Village

Dès lors qu’opérée par voie syndicale, la demande de réintégration du salarié protégé s’appuie nécessairement sur un mandat octroyé ; octroyé par ce salarié à l’organisation syndicale demanderesse.
Outre le fait d’avoir comme finalité exclusive la réintégration, il doit, en tant que pièce jointe, impérativement accompagner le courrier de demande de réintégration notifié à l’employeur. Ne présentant pas toutes ces caractéristiques, il est réputé sans effet. Privation d’effet qui – par rebond – prive d’effet la demande de réintégration elle-même.
Cass. Soc. 3 avril 2024 n° 22-13.478

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Rappel : article L2422-1 du Code du travail :

« Lorsque le ministre compétent annule, sur recours hiérarchique, la décision de l’inspecteur du travail autorisant le licenciement d’un salarié investi de l’un des mandats énumérés ci-après, ou lorsque le juge administratif annule la décision d’autorisation de l’inspecteur du travail ou du ministre compétent, le salarié concerné a le droit, s’il le demande dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision, d’être réintégré dans son emploi ou dans un emploi équivalent. Cette disposition s’applique aux salariés investis d’un des mandats suivants : 1° Délégué syndical ou ancien délégué syndical ; 2° Membre de la délégation du personnel du comité social et économique, titulaire ou suppléant, représentant syndical au comité social et économique, ancien membre ou candidat aux fonctions de membre de la délégation du personnel du comité social et économique, salarié ayant demandé à l’employeur l’organisation des élections au comité social et économique ; 3° Représentant de proximité, ancien représentant de proximité ou candidat aux fonctions de représentant de proximité, 4° Membre ou ancien membre de la délégation du personnel du comité social et économique interentreprises, ou candidat à ces fonctions ; 5° Membre du groupe spécial de négociation, pour la mise en place d’un comité d’entreprise européen ou d’une instance de consultation, et membre du comité d’entreprise européen ; 6° Membre du groupe spécial de négociation et représentant au comité de la société européenne ; 6° bis Membre du groupe spécial de négociation et représentant au comité de la société coopérative européenne ; 6° ter Membre du groupe spécial de négociation et représentant au comité de la société issue de la fusion transfrontalière ; 7° Représentant des salariés au conseil de surveillance ou d’administration des entreprises du secteur public ; 8° Membre de la commission mentionnée à l’article L23-111-1, ancien membre ou salarié figurant sur la propagande électorale en vue de la constitution de cette commission ».

1– Salarié détenteur de tel mandat représentatif : octroi d’un droit à réintégration par l’article L2422-1 du Code du Travail.

Il s’agit d’un droit à réintégration dans l’emploi [1].

Mais il n’y a ni automaticité ni instantanéité dans le bénéfice de ce droit : il requiert, en effet, le préalable nécessaire de la formulation d’une demande. Aussi, l’absence de demande provoque la déchéance du droit (à s’en prévaloir – à le mettre en œuvre – à en bénéficier des effets), droit qui, dès lors, n’a plus ni utilité ni efficience juridiques directes ou indirectes [2].

2– Droit à réintégration du salarié détenteur de tel mandat représentatif : contenu et logique de l’article L2422-1 du Code du Travail.

2– 1. Contexte de la réintégration : une autorisation, une annulation.

La réintégration prévue par l’article L2422-1 est avatar et épisode d’un « feuilleton » ; celui du licenciement d’un salarié spécifique car « statutaire » en raison de la protection – du contrat de travail – attachée à la détention d’un mandat représentatif (par désignation et/ou élection). Par conséquent, la rupture de ce contrat de travail requiert impérativement, côté patronal, outre le suivi de la procédure « de droit commun » avec convocation, entretien et notification écrite et motivée, les demande et obtention d’une « autorisation administrative » (soit : l’intervention d’une autorité publique, partie tierce à la relation contractuelle employeur <=> salarié, qui autorise l’usage, par la partie patronale, de son droit de rupture du contrat).
Et c’est l’annulation ultérieure de cette « autorisation administrative » -annulation œuvre décisionnelle d’une autorité administrative ou judiciaire– qui, remettant en cause la rupture du contrat dans ses principe et effets, ouvre la porte à la possibilité de la réintégration (relation cause <=> effet).

2- 2. La réintégration : une garantie assortie du respect de conditions.

Du fait de son absence d’automaticité, la réintégration nécessite la mise en œuvre « dynamique » du droit qui la porte. Ce qui induit l’accomplissement délibéré d’un acte positif –par le titulaire du droit- sous forme de demande.

L’article L2422-1 induit donc – pour ce titulaire du droit à réintégration – suivi comme respect : 1° - d’une formalité de demande. 2° - d’un délai de réalisation de la formalité ; lequel délai est quantifié (durée de deux mois) et « computé » (par voie d’indication d’un point de départ : notification de la décision administrative ou judiciaire d’annulation).

3– Droit à réintégration du salarié détenteur de tel mandat représentatif : ce que l’article L2422-1 du Code du Travail ne précise pas explicitement.

3– 1. La demande de réintégration : une formalité dépourvue de mode opératoire légal.

Bien que ressortant de la logique de l’article L2422-1, la « demande » de réintégration est une formalité dont les ressorts sont dépourvus de relation et précisions. Rien n’est dit ni détaillé des modalités de sa réalisation : impérativité d’une demande écrite ou suffisance d’une demande verbale ? en présence d’une demande écrite… nature et traçabilité du support (papier ou numérique - dispositif d’accusé de réception) ? identité et adresse précises du destinataire de la demande (employeur, représentant de l’employeur, siège social ou encore site de rattachement) ?

3– 2. La demande de réintégration : une formalité au délai dépourvu de qualification légale.

L’observation présentée ci-avant peut être reconduite et appliquée au délai de deux mois. Doit-on le considérer comme un délai « préfix » ? Doit-il être assorti d’effets et conséquences analogues à celles d’une forclusion, notamment en mettant en exergue une logique de « deadline »… ?

4– Droit à réintégration du salarié détenteur de tel mandat représentatif : usage et complétion de l’article L2422-1 du Code du Travail par le Juge.

4– 1. Formalité de demande de réintégration : délégation d’accomplissement.

Même si – au travers de l’expression « salarié concerné » - le texte de l’article L2422-1 ne vise que la personne même du titulaire du droit à réintégration, le droit prétorien admet que ce dernier puisse déléguer à autrui la réalisation de la formalité.
Encore que cet « autrui » - es-qualité de délégataire - présente un degré certain de proximité (factuelle) avec le salarié (protégé) : son avocat [3] ou une organisation syndicale [4].

La délégation, toutefois, doit être matérialisée et « entérinée » par un acte idoine.
Cette nécessité - à finalité notamment de traçabilité et autorisation - s’impose particulièrement lorsque le tiers intervenant pour le compte du salarié protégé est une organisation syndicale : celle-ci doit, non seulement posséder par devers elle un mandat (du salarié) en bonne et due forme - c’est-à-dire motivé explicitement [5] - mais, en outre, est-elle tenue de produire et notifier directement ce mandat au débiteur de l’obligation de réintégration consécutive au droit dont est titulaire le salarié protégé, laquelle notification doit être opérée dans les seuls cadre et contexte de la demande de réintégration [6].

4– 2. Formalité de demande de réintégration : vecteur et support de la demande.

L’usage de l’écrit – presque « naturellement », notamment pour des raisons de traçabilité – est entériné. Il peut être « judiciaire » de par ses cadre et nature [7] ou encore « extrajudiciaire » même si son auteur est un auxiliaire de justice [8].

4– 3. Formalité de demande de réintégration : délai d’accomplissement.

Le délai « enferme » littéralement l’accomplissement de la formalité de demande de réintégration ; et pénalise son auteur dès lors qu’il manque de diligence et réactivité.

Ainsi, comme il appartient au salarié d’effectuer sa demande dans le délai légal, une demande formée plus de deux mois après la notification de la décision d’annulation quel que soit son motif est irrecevable comme tardive [9].

Non content d’être une « deadline », ce délai est immuablement continu ; il est donc insusceptible de report pour quelque motif que ce soit, peu important, notamment, l’existence d’un litige entre employeur et salarié protégé sur le transfert du contrat de travail de celui-ci, situation n’étant pas de nature à empêcher ledit salarié de demander sa réintégration dans le délai légal [10].

L’ombre que projette l’article L2422-1 du Code du Travail sur la réintégration, et comme garantie, et comme processus, est d’Ordre public. Rien d’étonnant à cela : elle est un des éléments constitutifs du « statut » de salarié protégé - au titre de la détention d’un mandat représentatif du personnel au sein de l’entreprise – statut additionnant voire multipliant les exemples de principes et règles dérogatoires au et du droit commun (notamment celui « du contrat »). Eu égard cette caractéristique d’ordre public – que le Juge, nonobstant telle évolution en la matière, va de toute manière appréhender sous l’angle de l’ordre « absolu » - le Droit prétorien ne conçoit alors, ni largesse, ni faveur… quand bien même au bénéfice du salarié protégé.
De sorte que ce dernier – tout comme son mandataire, particulièrement s’il est syndical - ne peut se permettre la plus infime des approximations ou encore légèreté dans l’usage et dans le « maniement » de la réintégration en tant que processus.
Seule la rigueur est admise par le Juge : rigueur dans le respect du formalisme – voire même des formalités au sens le plus « administratif » du vocable - rigueur dans le respect du délai (de deux mois) ; et ce, alors même que, paradoxalement, le texte de l’article L2422-1 comporte toute une série de vides et lacunes dans les cadrage et « gestion » de la réintégration en tant que processus (presque procédure). D’un paradoxe, l’autre… ; dans la mesure où l’exigence prétorienne de rigueur découlant d’un Ordre Public – pourtant de « protection » - peut très bien servir les visées d’une stratégie patronale d’opposition frontale à la réintégration du « protégé » - notamment s’il (elle) est délégué(e) syndical(e) virulent(e) - tant sur son principe que ses modalités [11]. Servir comment… ? En fournissant des arguments juridiques (si ce n’est « outils ») qui contribueront à la rendre définitivement impossible en se prévalant de tel ou tel détail, plus exactement « défaut », relevé et mis en évidence à l’occasion d’un véritable audit de contrôle du processus de demande de réintégration suivi par le salarié protégé et/ou son mandataire.

Jean-Louis Denier
Juriste d’entreprise - Juriste en droit social

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Notes de l'article:

[1Illustration de la logique – Cass. Soc. 13 mai 2008, n°06-46108 : ce n’est que dans le cas où l’emploi du salarié protégé n’existe plus que la réintégration peut avoir lieu dans un emploi équivalent. Est considéré comme équivalent l’emploi situé dans le même secteur géographique, comportant le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives de carrière que l’emploi initial et permettant l’exercice du mandat représentatif.

[2Illustration - Cass. Soc. 6-7-2022 n° 21-13.225 : la salariée protégée licenciée en vertu d’une autorisation administrative ultérieurement annulée, et qui ne demande pas sa réintégration, ne peut prétendre de ce seul fait à l’annulation du licenciement.

[3Cass. Soc. 25 octobre 2017 n° 16-11.092.

[4Cass. Soc. 22 mars 1995, n°93-42183.

[5C’est-à-dire un mandat dont l’objet précis et unique est la formulation de la demande de réintégration : Cass. Soc. 22 mars 1995, n°93-42183.

[6Cass. Soc. 3 avril 2024 n° 22-13.478 : « Ayant constaté qu’après l’annulation de l’autorisation de licenciement d’un salarié protégé par le ministre du travail, le courrier par lequel le syndicat demandait la réintégration de l’intéressé, rédigé à la première personne du pluriel, mentionnait la volonté de l’accompagner, et relevé qu’aucun mandat n’était joint à ce courrier, peu important qu’un mandat n’ayant pas date certaine ait été produit en cours de procédure, lors de la seconde communication de pièces, la cour d’appel, appréciant souverainement les éléments de preuve qui lui étaient soumis, a pu décider qu’aucune demande de réintégration n’avait été valablement formée dans les délais légaux ».

[7Le code du travail ne précisant pas la forme que doit revêtir la demande de réintégration formulée par le salarié après annulation par le ministre de la décision de l’inspecteur du travail autorisant son licenciement, cette demande est valablement formée au moyen de conclusions déposées au greffe, dès lors qu’elles ont été notifiées à l’adversaire dans le délai de deux mois suivant la décision ministérielle : Cass. Soc. 7 juillet 2010, n°09-42385.

[8Le Code du travail ne précisant pas la forme que doit revêtir la demande de réintégration formulée par le salarié protégé après annulation par le ministre de la décision de l’inspecteur du travail autorisant son licenciement, cette demande a pu valablement être formée par une lettre de l’avocat du salarié, dès lors que l’employeur ne contestait avoir reçu cette demande, envoyée dans le délai de 2 mois suivant la décision de la juridiction administrative : Cass. Soc. 25 octobre 2017 n° 16-11.092.

[9Cass. Soc. 23 juin 1999, n°97-41825.

[10Cass. Soc. 5 décembre 2018, n° 17-26.325.

[11Rappel : le refus de l’employeur de réintégrer un représentant du personnel engendre un trouble manifestement illicite auquel le juge des référés doit mettre fin (Cass. Soc. 26 novembre 1997, n°95-44578) ; ceci … sachant néanmoins que l’employeur ne peut se soustraire à son obligation de réintégration aux motifs qu’une partie du personnel y est opposée (Cass. Soc. 7 juillet 1988, n°85-45967).

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