Les prérogatives du conjoint survivant.

Par Aurélie Thuegaz, Avocat.

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Explorer : # droits successoraux # conjoint survivant # logement familial # pension de réversion

Selon le Code civil originaire, la dévolution successorale reposait principalement sur la parenté, et seulement de manière accessoire sur le mariage. Le conjoint survivant n’était donc relégué qu’à l’arrière-plan.
Aujourd’hui, notamment du fait de la réduction de la famille au seul noyau formé par le couple et les enfants, le législateur a été amené à promouvoir le conjoint survivant au plan successoral.

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L’élargissement du plan successoral à une vocation héréditaire se traduit tout d’abord par la généralisation de ses droits en propriété, lesquels, dans certains cas, deviennent même des droits réservataires.
Il se manifeste également dans la création de prérogatives particulières sur son logement, ainsi que par un renforcement de son droit à des aliments s’il est dans le besoin, ces deux mesures tendant à préserver ses conditions d’existence dans le cas où sa vocation à la succession n’y suffirait pas.

I. La vocation successorale du conjoint survivant.

Quelles sont les conditions de sa successibilité ?

La succession n’est dévolue au survivant qu’autant que celui-ci avait encore le titre d’époux au décès du prémourant. Tel n’est pas le cas de l’époux divorcé.
C’est ainsi que l’article 732 du Code civil dispose : « Est conjoint successible le conjoint survivant non divorcé ».
Dès lors, a contrario, le conjoint séparé de corps ou en instance de divorce à l’époque du décès conserve sa qualité de successible.

II. Quels sont les droits du conjoint survivant dans la succession ?

Selon l’article 757 du Code civil, « Si l’époux prédécédé laisse des enfants ou descendants, le conjoint survivant recueille, à son choix, l’usufruit de la totalité des biens existants ou la propriété du quart des biens lorsque tous les enfants sont issus des deux époux et la propriété du quart en présence d’un ou plusieurs enfants qui ne sont pas issus des deux époux ».
L’option du conjoint survivant, entre usufruit et propriété, doit être exercée dans les trois mois qui suivent le décès, faute de quoi, il est supposé avoir opté pour l’usufruit (article 758-3 du Code civil).

Il convient également de noter que, en l’absence de descendant, le conjoint survivant bénéficie de la qualité d’héritier réservataire dans la succession de l’époux prémourant. Ainsi, l’article 914-1 du Code civil dispose que « Les libéralités, par actes entre vifs ou par testament, ne pourront excéder les trois quarts des biens si, à défaut de descendant, le défunt laisse un conjoint survivant, non divorcé ».

D’un point de vue fiscal, l’époux du défunt est exonéré de droits de succession.

Les prérogatives du conjoint survivant sur le logement.

En cas de décès de l’un des époux, le conjoint survivant bénéficie d’un droit temporaire de jouissance du logement de famille et des meubles qui le composent pendant une année à compter de l’ouverture de la succession (article 763 du Code civil). Au cas où ce logement est loué, les loyers seront réglés par la succession pendant l’année qui suit le décès.

Ce droit a un caractère impératif, le conjoint ne peut donc pas en être privé par testament et, en tant qu’effet du mariage, il bénéficie au conjoint de plein droit.
Ce dernier n’a donc à en faire la demande à quiconque, héritiers ou bailleur, et peu importe s’il renonce à la succession.
Il suffit au conjoint successible de se maintenir dans les lieux, à compter du décès, pour en bénéficier, sans avoir à accomplir la moindre formalité.

Lorsque, parvenu à son échéance, le droit de jouissance annuelle du conjoint sur le logement vient à s’éteindre, un autre droit, ayant également pour fonction de lui assurer son cadre de vie, peut venir le relayer et même le perpétuer.
En effet, le conjoint survivant bénéficie également d’un droit viager d’usage et d’habitation sur le logement et les meubles qui le composent (article 764 du Code civil).

Néanmoins, bien que ce droit viager puisse s’analyser comme le complément du droit de jouissance, contrairement à ce dernier il s’agit d’un droit de nature successorale et non un effet du mariage. Dès lors, seul le conjoint qui accepte la succession peut en bénéficier, et il doit en faire la demande. Il dispose d’une année à compter de l’ouverture de la succession pour manifester sa volonté (article 765-1 du Code civil), à défaut de quoi il serait réputé y avoir tacitement renoncé.

Enfin, à l’inverse du droit de jouissance annuelle du logement, le droit viager au logement de l’article 764 du Code civil n’est pas impératif, de sorte que le conjoint survivant peut en être privé par testament du défunt.

Le droit aux aliments.

S’il advient qu’à la mort de son époux, le conjoint survivant, non divorcé, ne trouve ni dans ses ressources personnelles ni dans le régime matrimonial ni dans sa vocation héréditaire le minimum nécessaire pour vivre décemment, l’article 767 du Code civil lui octroie une créance alimentaire à l’encontre de la succession. Ces aliments constituent donc une charge de l’héritage et la créance est prélevée sur l’actif successoral.

La créance d’aliments repose sur la vérification des facultés de la succession, les biens composant l’actif successoral, et du manque de l’époux survivant, ce dernier état impliquant lui-même une balance de ses besoins et de ses ressources. Le conjoint survivant doit donc en faire la demande en justice, laquelle demande ne peut intervenir que pendant le bref délai d’un an à partir du décès.

Cette pension n’a néanmoins qu’un objectif alimentaire, elle ne tend pas à procurer au survivant des ressources supérieures à la satisfaction de ses besoins élémentaires.

Le droit à la pension de réversion.

En cas de décès de l’assuré, l’assurance vieillesse du régime général de la Sécurité sociale permet au conjoint survivant et au conjoint divorcé (ici assimilé au conjoint survivant) de bénéficier d’une pension de réversion qui représente un certain pourcentage de la pension principale dont bénéficiait ou aurait bénéficié l’assuré (54% de la pension principale depuis le 1er juillet 2004). Ne bénéficient donc pas de cette pension les concubins et les partenaires d’un pacte civil de solidarité.

La pension de réversion est attribuée au conjoint survivant sous certaines conditions. Tout d’abord, le conjoint survivant n’a droit à une pension de réversion qu’à partir de 55 ans (article D. 353-3 du Code de la sécurité sociale).
Le conjoint survivant qui ne remplit pas cette condition d’âge pourra néanmoins bénéficier de l’allocation veuvage, s’il n’est pas remarié, pendant une durée de deux ans maximum (article D. 356-5 du Code de la sécurité sociale).
Ensuite, la pension de réversion n’est attribuée au conjoint survivant que lorsque ses ressources ne dépassent pas un plafond annuel égal à 2.080 fois le montant horaire du SMIC (9,76 euros en 2017), et ce plafond est multiplié par 1,6 si le conjoint survivant vit en couple. Les ressources, examinées sur les trois derniers mois, comprennent les revenus professionnels, les retraites, les pensions et le patrimoine du conjoint survivant, ainsi que ceux de son éventuel nouveau conjoint, partenaire au Pacs ou concubin.

Le conjoint survivant divorcé étant assimilé au conjoint survivant non divorcé pour le versement de la pension de réversion, en présence de plusieurs conjoints, la pension sera partagée proportionnellement à la durée respective de chaque mariage, à condition toutefois que chacun des conjoints remplisse les conditions exigées et notamment les conditions de ressources.

Enfin, il est important de préciser que le remariage ne prive pas l’époux survivant divorcé du défunt de bénéficier de la pension de réversion de la retraite de base de l’ex-conjoint.

Aurélie Thuegaz,
Avocat.

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Discussions en cours :

  • Cet article 757 s applique t il lorsque les époux se sont mariés sous le régime de la séparation de biens ?

    • par jean-baptiste poursin , Le 13 octobre 2021 à 18:28

      Cet article 757 s applique t il lorsque les époux se sont mariés sous le régime de la séparation de biens ?
      pour moi il n’y a aucune relation entre le contrat de mariage qui est une chose et droits de sucessions qui en sont une autre.
      Je ne trouve aucun article qui indique l’article 757 ne s’applique pas en cas de separation de biens.

    • par Fayet , Le 6 novembre 2022 à 09:54

      Bonjour,
      Justement je me pose la question suivante :

      Imaginons un (re) mariage entre X et Y avec un contrat de mariage sous le régime de la séparation de biens. X et Y possèdent en commun (50/50) une résidence principale et ont des enfants (chacun de leur coté) de précédentes unions mais pas d’enfant en commun.

      L’un des deux décède. L’article 757 ne s’applique pas ?
      Le(a) survivant(e) bénéfici(e) d’un droit d’un an sur le logement et les meubles (mais comment se finance le crédit immobilier en cours si celui qui est décédé n’est pas (peu) assuré ?). Mais après ?

  • par Marie , Le 23 mai 2022 à 00:43

    Bonjour
    Il y a une donation entre époux. Un des conjoints est décédé. L’un des héritiers a adressé un courrier en recommandé avec accusé de réception au conjoint survivant lui demandant de choisir son option. Le conjoint survivant n’a pas répondu au courrier. Est-ce qu’il est réputé avoir opté pour 100% US ou est-ce qu’il peut encore choisir pour 1/4PP et 3/4 US ?
    Merci pour votre aide

  • par BENAROCH , Le 20 février 2022 à 23:01

    La formulation de cette article 757 n’est pas claire entre le « et » suivi de « ou ».
    On s’y perd !

    Pourriez-vous expliciter cet article.

    Vous remerciant,

  • En précision, l’article 758-3 du code civil semble lier le délai de réponse de 3 mois pour que le conjoint survivant fasse son choix, non pas au décès de l’époux concerné mais à la possibilité, par l’héritier, de demander par écrit au conjoint survivant de faire un choix. Aussi, cette durée de trois mois à défaut de quoi le choix est réputé être l’usufruit, court à compter d’une mise en demeure écrite de l’héritier (enfant) et non à la date du décès du parent décédé dans mon exemple. En l’absence de demande écrite de l’héritier (puisqu’il ne s’agit que d’une possibilité), le conjoint survivant semble pouvoir faire son choix sans délai précis.
    Avez-vous la même lecture que moi ou bien les 2 phrases de cet article sont-elles dissociées ? J’ai en ma possession une donation entre époux reprenant cette notion de demande écrite avec possibilités de conclure de fait à l’usufruit en l’absence de réponse.
    Merci à vous.

  • Bonjour,

    Les doctriniens ont soulevé l’inégalité suivante : Selon l’interprétation de la loi par les notaires notamment, le conjoint non divorcé en l’absence de descendants et de descendant est protégé d’une réserve d’1/4 par le législateur (article 914-1 du C.Civ). Si on considère les usages notariés le conjoint en présence de descendants ou d’ascendants pourrait être exhérédé puisque l’article 914-1 du C.civ ne le vise pas. Les notaires disent qu’alors que tout le monde est égaux devant la loi (DDHC 1789) la volonté du législateur aurait donc été de créer une inégalité entre lui et le conjoint qui laisse une postérité au défunt. Si tel était le cas, au 1er décès, le conjoint survivant pourrait en raison de cette inégalité, si elle existait, se trouver sans patrimoine ni ressource alors qu’il a désormais à sa seule charge les enfants en bas âge mineurs du défunt. Et il se trouverait avec les dettes fiscales du défunt à régler (IR, Taxes foncières et d’habitation, ISF, ISI ....dettes sociales RSI, ...) alors qu’il ne dispose plus des moyens du défunt pour le faire, sans pouvoir en être exonéré.
    La QPC du 28 juin 2013 a donc répondu que tous les époux non divorcés au de cujus, quels qu’ils soient, sont égaux devant la loi. Ils ne peuvent donc pas être exonérés de la solidarité fiscale car en application des dispositions de l’article 732 créé par la loi du 23 juin 2006, tous les conjoints non divorcés, parce qu’ils ne sont pas divorcés, sont dans tous les cas "héritiers" de leur conjoint décédé. Au regard du code civil, "l’héritier "est "l’ayant droit réservataire". Donc tous les conjoints suivants sont héritiers réservataires SANS EXCEPTION, DESCENDANTS ET ASCENDANTS OU PAS. SEUL LE CONJOINT SURVIVANT en l’absence de descendants ou d’ascendants, peut être exhérédé mais seulement des 3/4. Ce qui signifie que dans le cas contraire le conjoint survivant en présence de descendants ou d’ascendants ne peut pas être exhérédé ni partiellement ni totalement. PROTEGEZ VOUS DES NOTAIRES INDELICATS !!!!!!!!

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