Il en résulte en outre que, nonobstant l’existence d’un CDI intérimaire, la rupture des relations contractuelles à l’expiration d’une mission à l’initiative de l’entreprise utilisatrice s’analyse, si le contrat est requalifié à son égard en contrat à durée indéterminée, en un licenciement qui ouvre droit, le cas échéant, à des indemnités de rupture. Cet arrêt doit être approuvé.
1) Faits et procédure.
La société Adecco France (l’entreprise de travail temporaire) a mis Mme [C] à la disposition de la société Petzl distribution, en qualité d’opératrice d’assemblage, suivant contrats de mission temporaire entre les 8 avril et 23 décembre 2015.
Le 13 janvier 2016, l’entreprise de travail temporaire et la salariée ont conclu un contrat à durée indéterminée intérimaire.
En exécution de ce contrat, l’entreprise de travail temporaire a mis la salariée à la disposition des sociétés :
Petzl distribution (l’entreprise utilisatrice), entre le 13 janvier 2016 et le 31 mai 2019, en qualité d’opératrice ;
Hager Security, entre les 5 juin et 12 juillet 2019, en qualité d’agent de production ;
Araymond France, entre les 29 juillet et 30 août 2019, en qualité de manutentionnaire.
La salariée a saisi la juridiction prud’homale le 26 septembre 2019 à l’effet d’obtenir la requalification de ses missions d’intérim en contrat à durée indéterminée auprès de la société Petzl distribution et de contester la rupture de la relation de travail avec cette dernière.
Le 26 novembre 2019, elle a été licenciée par l’entreprise de travail temporaire.
2) Moyens.
L’entreprise utilisatrice fait grief à l’arrêt de requalifier les missions d’intérim à son égard en contrat à durée indéterminée à compter du 8 avril 2015, de dire qu’elle a licencié la salariée sans cause réelle et sérieuse le 31 mai 2019 et de la condamner à payer à cette dernière diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, d’indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse., alors :
1°/ que le contrat de travail à durée indéterminée intérimaire est régi par les dispositions du contrat de travail relatives au contrat à durée indéterminée ; que, si les missions effectuées par le salarié dans ce cadre sont régies par les articles L. 1251-5 à L. 1251-63 du Code du travail, à l’exception de certaines dispositions parmi lesquelles ne sont pas mentionnées celles de l’article L. 1251-40 du Code du travail, la requalification avec l’entreprise utilisatrice est nécessairement exclue dans la mesure où le salarié intérimaire ne peut être lié, pour une même prestation de travail, par deux contrats à durée indéterminée distincts
2°/ que le contrat de travail à durée indéterminée intérimaire est régi par les dispositions du contrat de travail relatives au contrat à durée indéterminée ; qu’à admettre que le salarié lié à l’entreprise de travail temporaire par un contrat de travail à durée indéterminée temporaire intérimaire puisse solliciter la requalification auprès de l’entreprise utilisatrice, le fait, pour celle-ci, de cesser de fournir du travail au salarié au terme d’une mission conclue dans le cadre d’un tel contrat ne peut s’assimiler à une rupture produisant les effets d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse ;
Par son second moyen, elle fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à la salariée diverses sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre congés payés afférents, d’indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de condamner l’entreprise de travail temporaire au paiement d’autres sommes de ces mêmes chefs, alors que le salarié lié par un contrat à durée indéterminée intérimaire avec l’entreprise de travail temporaire ne peut obtenir, à la fois auprès de l’entreprise temporaire et de l’entreprise utilisatrice, les indemnités de rupture et dommages-intérêts pour licenciement dénué de cause réelle et sérieuse, à raison des mêmes missions effectuées au sein de l’entreprise utilisatrice.
3) Réponse de la Cour.
La Cour de cassation rejette le pourvoi de la société.
Selon l’article 56 de la loi n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, une entreprise de travail temporaire peut conclure avec le salarié un contrat à durée indéterminée pour l’exécution de missions successives.
Chaque mission donne lieu à la conclusion d’un contrat de mise à disposition entre l’entreprise de travail temporaire et le client utilisateur, dit entreprise utilisatrice, et à l’établissement, par l’entreprise de travail temporaire, d’une lettre de mission. Le contrat de travail est régi par les dispositions du Code du travail relatives au contrat à durée indéterminée, sous réserve des dispositions du présent article. Les missions effectuées par le salarié lié par un contrat de travail à durée indéterminée avec l’entreprise de travail temporaire sont régies notamment par les articles L. 1251-5, L. 1251-6 et L. 1251-40 du Code du travail. Pour l’application des dispositions de l’article L. 1251-5, les mots : « contrat de mission » sont remplacés par les mots : « lettre de mission ».
Aux termes de l’article L. 1251-5 du Code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise utilisatrice.
Selon l’article L. 1251-6 du même code, sous réserve des dispositions de l’article L. 1251-7, il ne peut être fait appel à un salarié temporaire que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire dénommée « mission » et seulement dans les cas énumérés, parmi lesquels l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise.
Selon l’article L. 1251-40 du même code, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions, notamment, des articles L. 1251-5 et L. 1251-6, ce salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.
Il résulte de ces textes que, lorsqu’une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d’une entreprise de travail temporaire en violation des dispositions visées par l’article L. 1251-40, le salarié peut faire valoir auprès de l’entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière, y compris lorsqu’il a conclu avec l’entreprise de travail temporaire un contrat à durée indéterminée intérimaire.
Il en résulte en outre que, nonobstant l’existence d’un contrat à durée indéterminée intérimaire, la rupture des relations contractuelles à l’expiration d’une mission à l’initiative de l’entreprise utilisatrice s’analyse, si le contrat est requalifié à son égard en contrat à durée indéterminée, en un licenciement qui ouvre droit, le cas échéant, à des indemnités de rupture.
La cour d’appel de Grenoble a d’abord énoncé à bon droit que, nonobstant la signature d’un contrat à durée indéterminée intérimaire par le salarié, ce dernier peut solliciter :
d’une part, la requalification des missions qui lui sont confiées en contrat à durée indéterminée de droit commun à l’égard de l’entreprise utilisatrice, au motif qu’elles ont eu pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de celle-ci,
d’autre part, à l’égard de l’entreprise utilisatrice, par suite de cette requalification, comme de l’entreprise de travail temporaire en raison de son licenciement dans le cadre du contrat à durée indéterminée intérimaire, diverses sommes au titre des deux ruptures injustifiées, dès lors que l’objet des contrats n’est pas le même, y compris lorsque les ruptures interviennent à des périodes concomitantes après la fin d’une mission auprès de l’entreprise utilisatrice.
Ensuite, après avoir constaté que le motif de recours n’était pas justifié pour la période antérieure à l’année 2016, la cour d’appel de Grenoble a exactement retenu que les missions exercées par la salariée auprès de l’entreprise utilisatrice devaient être requalifiées en contrat à durée indéterminée à compter du 8 avril 2015.
Après avoir relevé que l’entreprise utilisatrice avait mis fin aux relations contractuelles le 31 mai 2019, elle a exactement décidé que la rupture du contrat de travail, intervenue sans procédure de licenciement, s’analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse justifiant que soient allouées à la salariée des sommes au titre des indemnités de rupture et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
4) Analyse.
Malgré la signature d’un CDI intérimaire par le salarié, le salarié peut solliciter,
d’une part, la requalification des missions qui lui étaient confiées en CDI de droit commun à l’égard de l’entreprise utilisatrice, au motif qu’elles avaient eu pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de celle-ci ;
d’autre part, à l’égard de l’entreprise utilisatrice, par suite de cette requalification, comme de l’entreprise de travail temporaire en raison de son licenciement dans le cadre du contrat à durée indéterminée intérimaire, diverses sommes au titre des deux ruptures injustifiées, dès lors que l’objet des contrats n’est pas le même, y compris lorsque les ruptures interviennent à des périodes concomitantes après la fin d’une mission auprès de l’entreprise utilisatrice.
Cette décision est très avantageuse pour le salarié.
Elle est justifiée par le fait que l’objet des contrats n’est pas le même.
La Cour de cassation convertit au CDI intérimaire sa jurisprudence sur le CDD intérimaire (c. cass. 20 mai 2009, n° 07-44.755) dans laquelle elle avait admis à la fois une action contre l’entreprise de travail temporaire et une action contre l’entreprise utilisatrice (cf Lettre sociale n° 23 de la Chambre sociale de la Cour de cassation de janvier / février 2024)
Source :
Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 7 février 2024, 22-20.258