Inaptitude médicale : coup de sang du Conseil de prud'hommes de Lyon. Par Grégory Chatynski, Juriste.

Inaptitude médicale : coup de sang du Conseil de prud’hommes de Lyon.

Par Grégory Chatynski, Juriste.

2569 lectures 1re Parution: Modifié: 5  /5

Par une décision du 2 mars 2020 (RG 20-00418), le Conseil de prud’hommes de Lyon fait passer un message très clair à l’Etat, incapable de doter, en nombre, les services des Médecins Inspecteurs Régionaux du Travail (MIRT) afin de permettre aux juridictions de répondre efficacement aux prérogatives fixées à l’article L4624-7 du code du travail, à savoir :
« I.- Le salarié ou l’employeur peut saisir le conseil de prud’hommes selon la- procédure accélérée au fond d’une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4. (…)
II.- Le conseil de prud’hommes peut confier toute mesure d’instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l’éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence. (…)
 »

-

Eléments contextuels :

Depuis le 1er janvier 2017 en application de la loi du 8 août 2016 dit loi El Khomri, la contestation d’un avis médical d’aptitude ou d’inaptitude est présentée devant le Conseil de prud’hommes, en procédure accélérée, et non plus devant l’Inspecteur du Travail, lequel, le plus souvent, saisissait le Médecin Inspecteur Régional du Travail (MIRT) pour avis.

Conséquences : au-delà du constat selon lequel les recours sont quasiment inefficaces, compte-tenu des délais judiciaires d’environ 13 mois si appel [1], et surtout très coûteux (avocat, maintien de salaire en cas d’inaptitude…), les juridictions sont confrontées à la pénurie de MIRT.

Comment en effet une juridiction peut-elle juger de la nécessité d’annuler un avis médical, ou de modifier des restrictions ou des adaptations, sans un autre avis médical circonstancié ?

Certes, la saisine du MIRT n’est pas obligatoire -l’article L4624-7 II du Code du travail précise que « le conseil de prud’hommes peut confier toute mesure d’instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l’éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence »- mais rendue quasiment indispensable du fait que les juges ne sont pas des médecins, ou n’ont pas de connaissances médicales suffisantes.

Les MIRT étant les seuls mentionnés par la loi pour donner un avis aux juges, ces derniers les saisissent naturellement.

Sauf que les MIRT déclinent le plus souvent les missions confiées par les tribunaux, ou exercent leurs missions très tardivement, participant en cela à augmenter les délais judiciaires, et donc à diminuer l’intérêt de la contestation (que les employeurs ont intérêt à tarir rapidement, par la signature d’une rupture conventionnelle, par exemple).

Ce constat très amer a été fait par Conseil de prud’hommes de Lyon dans le jugement susvisé, dont il convient de reprendre les termes dénués d’ambiguïté, limite sarcastiques compte-tenu des enjeux :

« En l’espèce, le jugement avant-dire droit du Conseil de prud’hommes de Lyon du 13 janvier 2021 ordonnait une mesure d’instruction qui devait être exécutée par le MIRT, désignait à cette effet le Dr A de la DIRRECTE de A, et précisait la mission d’expertise qui lui était confiée
(...) Le Dr A devait décliner la réalisation de cette expertise (...).

Puis c’est le Dr B (...) qui devait répondre par la négative, elle-même surchargée de contestation d’avis en (région B).

Le Dr C de (Région C) refusait également (...) au motif qu’elle assure une mission intérim au (Région D), et pour cause de retraite devant intervenir mi-décembre 2021.

Force est de constater que le législateur a entendu confier la compétence en matière de contestation des avis des médecins du travail au Conseil de prud’hommes en la forme des référés avec la possibilité de pouvoir recourir à l’expertise d’un MIRT.

Malencontreusement, les administrations centrales et déconcentrées ne s’assurent pas que les postes de MIRT soient pourvus.

En effet, la région Auvergne Rhône-Alpes ne semble pas disposer d’un MIRT susceptible d’effectuer des expertises médicales.

Dès lors, le peu de MIRT qui acceptaient d’effectuer des expertises, hors de leur compétence territoriale, se trouvant submergés de demandes, se voient obligés de refuser les missions que les divers Conseils de prud’hommes tente de leur confier.

Ainsi, il est une certitude que dans la présente espèce, le Conseil de prud’hommes de Lyon en sa formation de référé n’aura pas de loisir de pouvoir asseoir sa décision sur une expertise médicale.

Le Conseil de prud’hommes de Lyon en sa formation de référé, ne disposant pas lui-même de compétences médicales, dispose de deux solutions : s’inscrire très vite en faculté de médecine ou faire avec le peu d’éléments médicaux existants au dossier  ».

Conséquence : le Conseil de prud’hommes n’a donc pas saisi le MIRT, ce qui aurait été illusoire et peu conforme aux intérêts des parties, et a pris une décision au vu des éléments du dossier, et des explications des parties.

Pour contourner cette problématique à laquelle les tribunaux sont malheureusement confrontés, plusieurs options s’offrent au demandeur, par le biais éventuel de demandes subsidiaires :
- Solliciter du Conseil de prud’hommes qu’il décide au vu des éléments du dossier qu’il conviendra d’étayer au maximum (éléments médicaux ; éléments professionnels liés au poste occupé ; analyses internes …) ;
- Solliciter du Conseil de prud’hommes la désignation non pas d’un MIRT mais d’un médecin-expert de la spécialité médicale attendue ; difficulté : ce médecin-expert n’a pas normalement compétence, comme un MIRT, pour faire le lien avec l’emploi (point à étayer par le demandeur) ;
- Solliciter du Conseil de prud’hommes la mise en œuvre d’une mission de conseiller rapporteur, au sens des articles R1454-4 et R1454-19 du code du travail, pour un transport sur le lieu de travail (si pertinent), afin que les juges visualisent la configuration des lieux, des outils, des machines…

Ces solutions Plans B ne sont pas idéales, mais peuvent aider le Conseil de prud’hommes à se passer du MIRT, véritable obstacle à la solution attendue dans des délais et à des coûts acceptables.

Idéalement : changer la loi afin, réellement, de raccourcir les délais, de réduire les coûts, et de rendre une justice enfin efficace conforme aux intérêts de tous, employeurs et salariés.

Grégory Chatynski
Responsable juridique droit social
Ancien Conseiller prud’homal Employeur, Industrie
Conseiller prud’homal Employeur, Encadrement (2023-2025)

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