Rappelons brièvement les faits ainsi que la genèse procédurale de cet arrêt.
Mme X, cavalière amateur, a acquis une jument en mars 2006 en vue d’une pratique sportive de concours complet moyennant un prix de 10.920€.
Quelques temps plus tard, la jument se retrouve boiteuse et inutilisable pour l’usage envisagé.
Mme X sollicita à titre principal la nullité de la vente sur le fondement du dol, en assignant les deux précédents propriétaires de la jument, et à titre secondaire, la résolution sur le fondement de la garantie des vices cachés [3].
La Cour d’appel de Montpellier avait fait droit aux demandes de l’acheteuse en prononçant la résolution de la vente sur ce dernier fondement [4].
La Cour de cassation le 15 octobre 2014 avait cependant cassé l’arrêt de la Cour d’appel au motif « qu’il lui incombait de relever d’office que l’action en garantie dans les ventes d‘animaux domestiques est régie à défaut de convention contraire et dont elle n’a pas caractérisé l’existence, par les dispositions des articles L 213-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime. »
Si cette jurisprudence est désormais classique depuis un arrêt du 6 mars 2001, publié au bulletin [5], la première Chambre civile ayant rappelé dans un arrêt du 29 janvier 2002 [6], cette obligation pour les juges du fond de relever d’office l’application de la garantie des vices rédhibitoires, quinze ans après, les critères caractérisant l’existence de la convention permettant d’établir la volonté des parties de déroger à la seule application du Code rural, restent bien difficiles à cerner.
A la suite de l’émoi provoqué par ces arrêts de la Cour de cassation rendus en 2001 et 2002, obligeant les acheteurs désormais à caractériser on ne sait trop comment, l’existence de cette convention dérogatoire à la seule application du Code rural, d’aucuns ont voulu voir dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 19 novembre 2009 [7] le retour systématique de la convention contraire implicite.
En effet, la 1ère chambre civile avait dans cet arrêt admis de nouveau que la « convention dérogatoire permettant l’application de la garantie des vices cachés, pouvait résulter de la destination des animaux vendus et du but que les parties se sont proposées de poursuivre et qui constitue la condition essentielle du contrat. » [8].
Autrement dit, dès lors que la destination convenue du cheval (le plus souvent une destination sportive) constituait la condition essentielle du contrat connue du vendeur, l’acheteur pouvait espérer démontrer l’existence de cette convention contraire tacite, lui permettant d’actionner la garantie des vices cachés.
Cette jurisprudence du 19 novembre 2009, fut confirmée par un arrêt postérieur de la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation du 17 octobre 2012 [9]. La Cour de cassation ayant approuvé la Cour d’appel d’avoir jugé (sur la base de l’arrêt du 19 novembre 2009), que le vendeur professionnel était bien tenu de la garantie des vices cachés à l’égard de l’acheteur, s’agissant d’un cheval de sport acquis 50.000€.
Un dernier arrêt de la Cour de cassation mérite d’être cité, lui aussi daté du 15 octobre 2014 [10] et rendu par la même formation (1ère chambre civile) où la Cour de cassation cette fois confirme l’arrêt de la Cour d’appel ayant jugé de l’application à la vente de la garantie des vices cachés, alors que l’existence de celle-ci était contestée par le vendeur.
Ainsi, le même jour, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel qui avait appliqué la garantie des vices cachés, et à l’inverse cassé un autre arrêt de Cour d’appel qui en avait admis l’application, alors que dans les deux cas il n’y avait aucune stipulation écrite au sujet de l’application ou non de la garantie.
La Cour d’appel d’Aix en Provence saisie sur renvoi après cassation devait donc statuer sur l’existence ou non de cette convention tacite permettant de déroger à la seule application du Code rural.
Rappelons qu’il s’agissait d’une jument vendue au prix de 10.920€ pour faire du concours complet niveau 3-4ème catégorie. Aussi tant la destination convenue que le prix supérieur à celui d’un cheval de loisir aurait dû suffire pour constituer la convention contraire permettant d’exclure la seule application du Code rural.
Toutefois la Cour retient que la destination convenue de cheval de concours complet (de petit niveau nous dit la Cour) n’est pas exclusive d’un autre usage, dès lors que la facture ne précise rien à ce sujet ni un autre document contractuel.
En outre l’acheteur avait sollicité une visite d’achat mais avait accepté de prendre livraison de la jument et de payer le prix sans avoir les résultats de la visite, ni même les radios et ce contrairement aux usages en la matière relevés par l’Expert judiciaire.
La Cour en déduit que la preuve n’est pas suffisamment faite de ce que les parties auraient convenues dit-elle « d’exclure l’application des textes du Code rural ».
En réalité, il ne s’agit pas d’exclure les textes du Code rural, mais de permettre par convention à l’acheteur de bénéficier aussi de la garantie des vices cachés.
Voilà en quelques mois plusieurs décisions de magistrats qui décident de ne pas appliquer la garantie des vices cachés alors qu’il s’agit manifestement d’un cheval de compétition dont la destination sportive ne pouvait faire aucun doute.
On peut citer en ce sens, un jugement récent du Tribunal de Grande Instance d’Orléans rendu le 2 mars 2016 [11] qui a lui aussi décidé d’exclure l’application de la garantie des vices cachés dans une vente entre professionnels en rappelant que la garantie de droit était celle du Code rural sans s’étendre davantage.
On peut également citer en ce sens, un arrêt de la Cour d’appel de Lyon du 29 septembre 2015 [12] qui concernait lui aussi une vente entre professionnels.
Doit-on en conclure que la garantie des vices cachés est exclue par principe dans les ventes entre professionnels ?
On peut être réservé sur l’existence d’un prétendu usage privant de cette garantie les acheteurs professionnels.
Un cheval n’est pas une voiture, ni un immeuble ; il n’existe pas de « contrôle technique » ni d’expertise suffisamment complète qui permette à l’acheteur de lui garantir que le cheval n’aura pas de lésion postérieurement à l’achat.
Si le caractère « sensible » de l’animal a droit de cité depuis peu dans le Code civil, les Juges doivent également admettre que cette matière vivante a des spécificités qui rendent délicates la transposition aux animaux des règles applicables à des biens de consommation.
Dans l’affaire soumise à la Cour d’appel d’Aix en Provence, cette dernière a vraisemblablement préféré ne pas prendre de risque (la précédente Cour d’appel s’étant justement vu casser son arrêt pour avoir jugé de l’application de la garantie des vices cachés) d’autant qu’il existait une autre base juridique susceptible de donner raison à l’acheteur.
C’est sur le fondement du dol, que la Cour d’appel accorde des dommages et intérêts à l’acheteur d’un montant quasiment équivalent au prix de vente de la jument après avoir relevé la réticence dolosive du vendeur sur le défaut du cheval qu’il connaissait pour avoir acheté la jument au prix de 1.000€ pour un usage de poulinière quelques mois auparavant.
En outre le vendeur était présent le jour de la visite d’achat au cours de laquelle le vétérinaire avait indiqué des réserves pour l’usage sportif de la jument, réserves qu’il s’était gardé de transmettre à l’acheteuse amateur.
Toutefois la Cour n’annule pas la vente et la décision n’est donc que partiellement favorable à l’acheteur.
Elle laisse en revanche un léger malaise concernant les moyens pour l’acheteur de prouver l’existence d’une convention implicite permettant d’agir sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Ce malaise est encore renforcé par un arrêt récent rendu par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation rendu le 1er juillet 2015 [13] laquelle a au contraire décidé d’appliquer la garantie des vices cachés dans une vente aux enchères, alors que les conditions générales de l’agence de vente excluaient expressément cette garantie !
Même si les décisions admettant l’application de la garantie des vices cachés restent majoritaires, la motivation contradictoire, ou à tout le moins difficile à interpréter des juges n’est guère rassurante pour les justiciables.
Dans l’intervalle on ne pourra qu’inciter les acheteurs notamment professionnels à rappeler par tous moyens notamment par un écrit qui reste le moyen le plus sûr, qu’ils entendent soumettre la vente à la garantie du Code civil.
Rappelons qu’aujourd’hui seuls les consommateurs qui achètent à des vendeurs professionnels sont protégés par la garantie de conformité (Article L217 -1 et suivants du Code de la consommation). Les autres et notamment les acheteurs particuliers qui achètent à des vendeurs non professionnels peuvent parfaitement se retrouver privés de tout recours en garantie, celle du Code rural étant parfaitement illusoire.
En toute hypothèse on ne peut que déplorer cette incertitude qui va encore accroître le contentieux des ventes de chevaux, déjà très fourni.