La clause pénale permet aux parties à un contrat de convenir à l’avance d’une indemnité forfaitaire en cas d’inexécution de l’obligation. Elle incite le débiteur de l’obligation à s’exécuter conformément aux dispositions contractuelles et permet au créancier d’obtenir une indemnisation en cas de manquement sans avoir à intenter une action en justice ou démontrer un préjudice.
France et Brésil sont tous deux des systèmes juridiques civilistes et le Code civil brésilien est largement inspiré du Code civil français. Cette proximité se retrouve dans la manière dont est réglementée la clause pénale dans les deux pays. Cependant, des divergences existent, tant dans les textes que dans leur application par les tribunaux.
Dans l’esprit, une identité conceptuelle.
En France, les dispositions relatives à la clause pénale sont, depuis 2016, regroupées à l’article 1231-5 du Code civil, qui prévoit que lorsqu’un contrat stipule le paiement d’une certaine somme à titre de dommages et intérêts en cas d’inexécution, le créancier ne peut obtenir une somme ni supérieure ni inférieure à celle convenue. Le juge peut cependant, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité contractuelle si elle est manifestement excessive ou dérisoire, ou en cas d’exécution partielle de l’obligation, toute stipulation contraire étant réputée non écrite. Enfin, sauf en cas d’inexécution définitive, la pénalité n’est encourue qu’après une mise en demeure du débiteur.
Au Brésil, la clause pénale est encadrée par les articles 408 à 416 du Code civil de 2002. L’article 413, en particulier, dispose que
“la pénalité doit être réduite équitablement par le juge si l’obligation principale a été partiellement exécutée, ou si le montant de la pénalité est manifestement excessif, compte tenu de la nature et de la finalité de l’opération”.
À l’instar du droit français, le droit brésilien confère donc au juge le pouvoir de réduire une clause pénale jugée excessive ou en cas d’exécution partielle de l’obligation. L’emploi du terme “équitablement” suggère une appréciation contextuelle par le juge, visant à assurer la justice contractuelle.
Dans les détails, des abordages différents.
Quelques différences de rédaction sont notables, nous en retiendrons deux.
D’une part, le Code civil français ne donne pas de cadre pour apprécier le caractère manifestement excessif ou dérisoire de la clause, alors que le Code brésilien dispose que la pénalité doit être manifestement excessive compte tenu de la nature et de la finalité de l’opération. La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt du 11 décembre 2024 [1] s’est justement prononcée sur la motivation, par le juge, de sa décision de réduire le montant d’une clause pénale.
D’autre part, le Code civil brésilien, contrairement au texte français, ne mentionne pas explicitement la possibilité pour le juge de réduire la pénalité d’office, c’est-à-dire, indépendamment d’une demande d’une partie. Il dispose cependant qu’en cas de montant manifestement excessif, la pénalité contractuelle “doit” être réduite (“A penalidade deve ser reduzida equitativamente pelo juiz”), alors que la rédaction française semble n’indiquer qu’une possibilité (“le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité”). Un arrêt de la Troisième Chambre du Superior tribunal de Justiça (STJ) brésilien du 3 septembre 2024 [2] a discuté la question du caractère d’ordre public de la réduction du montant de la clause pénale manifestement excessive et du pouvoir/devoir du juge de soulever cette question d’office.
Les paragraphes qui suivent reviennent brièvement sur ces deux décisions pour illustrer le fonctionnement de la clause pénale et l’étendue du pouvoir modérateur du juge de part et d’autre de l’Atlantique.
L’appréciation par le juge du caractère manifestement excessif de la clause pénale.
L’affaire soumise à la Cour de cassation dans l’arrêt nº 23-15.744 F-B concernait une banque qui demandait le paiement de prêts à une société en liquidation judiciaire et à sa caution. La Cour d’appel de Bordeaux avait réduit le montant des clauses pénales en considérant leur montant excessif eu égard aux échéances réglées, au montant des emprunts, aux circonstances particulières de la défaillance, et à l’intérêt que l’exécution partielle du contrat a procuré à la banque.
La Chambre commerciale casse l’arrêt d’appel pour manque de base légale, en considérant que les motifs invoqués sont “impropres à établir le caractère manifestement excessif du montant de la clause pénale par rapport au préjudice effectivement subi”.
Cet arrêt renseigne donc le critère à prendre en compte pour apprécier le caractère manifestement excessif ou dérisoire de la clause, élément absent de l’article 1231-5 du Code civil français.
Si le Code civil confère au juge un pouvoir modérateur, l’exercice de ce pouvoir n’est pas discrétionnaire et requiert une justification rigoureuse basée sur une évaluation concrète de la disproportion entre la pénalité et le préjudice effectivement subi. La simple affirmation de son caractère excessif au regard du contexte contractuel, même étayé par les faits de l’espèce, ne suffit pas.
Au Brésil, le critère légal est autre : le juge doit réduire le montant de la clause pénale s’il est manifestement excessif au regard de la nature et de la finalité de l’opération. Le contexte de l’opération est donc théoriquement plus important que le montant du préjudice effectivement subi. Ce faisant, les deux systèmes juridiques semblent adopter des perspectives différentes de la clause pénale : au Brésil, elle se rapproche davantage d’une pénalité contractuelle ; en France, d’une évaluation forfaitaire du préjudice subi.
Dans les deux cas, cependant, une limite commune : le juge doit s’assurer que l’application de la clause pénale n’aboutisse pas à un enrichissement sans cause du créancier.
La possibilité pour le juge de réduire d’office la clause pénale manifestement excessive.
L’affaire soumise à la révision du Superior Tribunal de Justiça (STJ), l’équivalent brésilien de la Cour de cassation française, portait sur un compromis de vente immobilière entre deux sociétés. Parmi les questions posées était l’application de la clause pénale en raison du prétendu désintérêt de l’acheteur à exécuter le contrat et la réduction de son montant au regard de son caractère soi-disant manifestement excessif.
La Troisième Chambre a jugé que la clause pénale était applicable mais a rejeté la demande de réduction de son montant en raison de l’absence de discussion préalable devant les juridictions inférieures. La question n’avait pas été soulevée en première instance et, en appel, les magistrats avaient considéré majoritairement que l’acheteur ne pouvait introduire cette nouvelle demande.
La décision de troisième instance, rendue à la majorité, suit les conclusions du magistrat rapporteur : bien que la règle de l’article 413 du Code civil soit d’ordre public, la question de la réduction du montant de la clause pénale n’a pas été soulevée devant les instances inférieures et ne peut donc pas être appréciée par le tribunal. Le caractère d’ordre public de cette règle n’exempte pas la partie qui l’invoque de démontrer que la question a été soulevée devant les juridictions du fond.
Notons cependant le vote divergent de l’un des magistrats, pour qui le caractère d’ordre public de la réduction de la clause pénale implique que le juge doive se prononcer même d’office, c’est-à-dire indépendamment d’une demande des parties. Le magistrat critique ainsi la décision d’appel qui a refusé de se prononcer sur la réduction du montant de la clause pénale au motif que cette demande n’avait pas été soulevée en première instance. Selon lui, il appartenait aux juges du fond de procéder à la réduction d’office à la lumière de l’article 413 du Code civil, avis partagé par l’un des magistrats d’appel, dont le vote a été vaincu par la majorité.
Cet arrêt est donc intéressant à un double niveau.
D’une part, le caractère d’ordre public de la réduction de la clause pénale manifestement excessive et son corollaire, le pouvoir du juge de le soulever d’office, n’est pas discuté. C’est un rappel utile dans la mesure où, contrairement au droit français, le Code civil brésilien est muet sur ce point et qu’il existe des voix discordantes.
Le pouvoir du juge d’intervenir sur le montant de la clause sans y être formellement invité par les parties vise ici encore à prévenir l’enrichissement sans cause du créancier et à maintenir l’équilibre de la relation contractuelle.
D’autre part, bien que le juge ait le pouvoir/devoir de soulever d’office le caractère manifestement excessif de la clause, la partie intéressée n’en est pas moins tenue de soulever ce moyen devant les juges du fond pour pouvoir s’en prévaloir, le cas échéant, devant les instances supérieures.
Ainsi, on observe une convergence quant à la possibilité pour le juge de réduire d’office la clause pénale manifestement excessive. Garantie exprès dans l’article 1231-5 du Code civil français et construction doctrinale et jurisprudentielle au Brésil. Les deux systèmes juridiques reconnaissent l’importance d’une intervention judiciaire pour garantir l’équité et la proportionnalité des sanctions contractuelles.
Réformes et perspectives.
L’article 1231-5 du Code civil français est issu de la réforme du droit des contrats de 2016 et s’inscrit dans un contexte de modernisation du droit des contrats français. Le Rapport au président de la République relatif à l’Ordonnance n° 2016-131 indique que la réforme simplifie et synthétise dans l’article 1231-5 l’essentiel des dispositions des anciens articles 1226 à 1233 et 1152, en éliminant plusieurs dispositions jugées dispensables. Le pouvoir du juge de réviser à la hausse comme à la baisse le montant de la clause pénale a été maintenu et un nouvel alinéa précise que, sauf inexécution définitive, le jeu de la clause pénale est soumis à une mise en demeure préalable.
Au Brésil, une réforme du Code civil est en cours. Concernant la clause pénale, l’Avant-Projet de cette réforme propose essentiellement d’inclure un régime différencié entre contrats paritaires et contrats d’adhésion.
D’une part, un nouveau paragraphe unique à l’article 413 prévoit que s’agissant de contrats “paritaires et symétriques”, le juge ne peut pas réduire le montant de la clause sur le fondement de son caractère manifestement excessif, les parties pouvant malgré tout stipuler des critères pour sa réduction.
D’autre part, un nouveau paragraphe second à l’article 416 dispose que dans les contrats d’adhésion, la partie qui adhère au contrat peut demander des dommages et intérêts complémentaires si elle apporte la preuve que son préjudice excède le montant de la clause pénale, même en l’absence de toute disposition contractuelle.
L’accent est donc mis sur la liberté contractuelle et l’encadrement du pouvoir modérateur du juge, sauf en cas de déséquilibre entre les parties. Cette approche est en phase avec la loi de Liberté Economique, promulguée en 2019, qui établit des règles de protection de la libre entreprise et du libre exercice de l’activité économique, et encadre l’intervention de l’État en tant qu’agent normatif et régulateur de l’activité économique.
Si du côté français la réforme a confirmé le pouvoir d’intervention du juge, la perspective au Brésil est donc inverse, privilégiant l’autonomie contractuelle dans le cas de rapports commerciaux paritaires. Ces trajectoires distinctes soulignent la complexité du droit comparé des contrats et la nécessité de prendre en compte les contextes juridiques spécifiques de chaque juridiction lors de la rédaction, de l’interprétation et de l’application des clauses pénales dans les contrats commerciaux internationaux.
Références.
- Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 11 décembre 2024, 23-15.744, Publié au bulletin
- Superior Tribunal de Justiça, 3ª Turma, REsp no 2.042.706/SP, Rel. Des. Moura Ribeiro, j. 03.09.2024 [3]
- Terra, Aline de Miranda Valverde. Na pauta do STJ : redução equitativa da cláusula penal e aplicação de ofício. In : AGIRE | Direito Privado em Ação, n.o 146, 2025 [4]
- Rapport au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations
- Rapport final de la Commission de Juristes chargé d’élaborer l’avant-projet de Lei pour la révision et l’actualisation de la loi nº 10.406, du 10 janvier 2002 (Code Civil), instituée par Acte du président du Sénat Fédéral nº 11/2023 [5].