Le 20 février 2024, l’Assemblée plénière de la Cour suprême brésilienne (Supremo Tribunal Federal - STF) a jugé qu’en cas de divergence entre les règles de droit interne et de droit international en matière de transport aérien international de marchandises, ces dernières devaient prévaloir (en l’occurrence, la Convention de Montréal de 1999). Cela vaut également pour les recours subrogatoires des assureurs à l’encontre des transporteurs aériens. [1] Le même jour, dans deux autres affaires similaires, la Deuxième Chambre du STF s’est prononcée dans le même sens.
Concrètement, cela signifie que ni l’expéditeur des marchandises, ni son assureur (subrogé dans les droits de l’assuré contre le transporteur après avoir payé l’indemnité d’assurance), ne peuvent se prévaloir des dispositions du Code civil pour échapper aux règles spécifiques d’indemnisation de la Convention de Montréal.
Le Brésil ayant ratifié les Conventions de Varsovie de 1929 [2] et de Montréal de 1999 [3] pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, ces arrêts semblent aller de soi. Ils étaient cependant fort attendus par les professionnels du secteur, face à de nombreuses décisions au fond en faveur du droit interne. Cette tendance jurisprudentielle à contre-courant de la pratique internationale et des obligations conventionnelles du Brésil était difficilement compréhensible, tant pour les compagnies aériennes et leurs conseils, que pour les constitutionnalistes et les internationalistes.
La Cour Suprême avait jeté une première pierre à l’édifice en 2017 concernant le transport aérien international de passagers, en affirmant la prééminence des textes internationaux sur le Code de défense des consommateurs. Mais cette règle était encore contestée en matière de fret aérien, notamment par les assureurs.
Les paragraphes qui suivent expliquent brièvement ce changement de jurisprudence et la situation actuelle du transport aérien international au Brésil, tant de passagers (I) que de marchandises (II).
I. Le premier jalon posé pour le transport de passagers.
En 2017, la Cour Suprême donnait le ton en jugeant, dans deux arrêts publiés le même jour, que, aux termes de l’article 178 de la Constitution, les règles et traités internationaux concernant la responsabilité des transporteurs aériens de passagers, en particulier les conventions de Varsovie et de Montréal, prévalent sur le Code de défense des consommateurs. [4]
La Cour Suprême a également décidé que cette thèse serait de répercussion générale (thème identifié sous le numéro 210), c’est-à-dire que les juridictions du fond de tout le pays sont contraintes de la suivre dans les affaires similaires. [5]
Le Thème nº 210 constitue un précédent important et illustre l’engagement du STF en faveur de la reconnaissance des obligations juridiques internationales du Brésil concernant les conventions internationales qu’il a ratifiées.
En imposant aux juridictions judiciaires d’appliquer les conventions internationales relatives au transport international de passagers, même si cela revient à encadrer le droit des passagers à être indemnisés du préjudice causé par la perte de leur bagage ou le retard de leur vol, la Cour Suprême a enclenché un mouvement d’harmonisation de la pratique judiciaire brésilienne avec les pratiques internationales.
Concrètement, la responsabilité du transporteur est limitée, depuis le 28/12/2019 [6] :
- en cas de dommage subi par des passagers résultant d’un retard, au montant équivalent à 5 346 Droits de Tirage Spéciaux (DTS) [7] par passager, soit environ 6 548 Euros au 04/03/2024 (Convention de Montréal, art. 22, ‘1’) ; et
- en cas de destruction, perte, avarie ou retard de bagage, au montant équivalent à 1 288 DTS par passager (soit environ 1 578 Euros au 04/03/2024), sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par le passager au moment de la remise des bagages et moyennant le paiement éventuel d’une somme supplémentaire, hypothèse dans laquelle le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel du passager à la livraison (Convention de Montréal, art. 22, ‘2’).
Le Brésil n’ayant toujours pas pris les dispositions nécessaires pour donner pleinement effet, en droit interne, aux limites révisées en 2009 et 2019, les limites d’origine restent applicables, soit 4 150 DTS et 1 000 DTS, respectivement.
Cependant, cette évolution ne s’est pas faite sans une certaine résistance.
Certains, comme les compagnies d’assurance, ont tenté de circonscrire le champ d’application du Thème nº 210, en soutenant qu’il se limitait à la perte de bagages de passagers et ne s’appliquait pas au transport aérien international de marchandises. De la sorte, leurs actions subrogatoires contre les transporteurs aériens échapperaient aux limites conventionnelles.
Cette idée que la prévalence des règles de droit international et la nécessaire uniformisation du droit du transport aérien international ne vaudraient que pour le transport de passagers était cependant difficilement défendable.
II. La consolidation avec le transport de marchandises.
En confirmant, le 20 février dernier, que les principes établis dans le Thème nº 210 sont transposables au transport de marchandises, la Cour Suprême a réaffirmé l’importance de la Convention de Montréal pour le transport aérien international.
M. Gilmar Mendes, dans son vote qui a été suivi par la majorité de la Cour, souligne l’incongruité de restreindre la thèse fixée dans le Thème 210 au transport de passagers.
L’article 178 de la Constitution commande qu’en matière de transport international, les accords conclus par le Brésil prévalent sur les règles internes, sous réserve du respect du principe de réciprocité. Ni le texte constitutionnel ni son interprétation par la Cour Suprême dans le Thème de répercussion générale nº 210 ne distinguent entre bagages et marchandises, ou même entre transport de passagers ou de marchandises. Il n’y a donc pas lieu de faire une telle distinction.
En l’espèce, le Code civil repose sur le principe de la réparation intégrale du préjudice (article 944), alors que la Convention de Montréal prévoit un mécanisme spécifique (article 22, point 3) : la responsabilité du transporteur, en cas de destruction, de perte, d’avarie ou de retard, est limitée, depuis le 28/12/2019, au montant équivalent à 22 DTS/Kg (soit environ 27 EUR/Kg au 04/03/2024), sauf déclaration spéciale d’intérêt à la livraison faite par l’expéditeur au moment de la remise du colis au transporteur et moyennant le paiement d’une somme supplémentaire éventuelle, hypothèse dans laquelle le transporteur sera tenu de payer jusqu’à concurrence de la somme déclarée, à moins qu’il prouve qu’elle est supérieure à l’intérêt réel de l’expéditeur à la livraison.
Les règles internes et internationales en matière de responsabilité du transporteur aérien international pour les dommages matériels causés à l’occasion d’un contrat de transport de marchandises étant divergentes, il convient donc d’appliquer les secondes. Le Brésil n’ayant pas encore transposé les révisions de 2009 et 2019, la limite applicable est de 17 DTS/Kg.
Déterminer l’application du Code civil au transport international de marchandises après avoir consacré l’application de la Convention de Montréal au transport de passagers serait d’ailleurs difficilement acceptable. Cela reviendrait à accorder une protection plus complète aux expéditeurs de marchandises (liés au transporteur par une relation de nature civile ou commerciale) qu’aux passagers (supposés être le maillon faible de la relation de consommation).
Du point de vue juridique, ces arrêts sont particulièrement bienvenus en ce qu’ils rappellent des points que l’on pourrait considérer élémentaires :
- la prévalence des normes internationales sur les normes internes ;
- la nécessaire uniformité dans l’application des conventions internationales : il n’y a pas lieu de distinguer entre transport de passagers et transport de marchandises si les Conventions de Varsovie et Montréal ne font pas cette distinction ; et
- l’importance du principe de réciprocité en droit international brésilien : les règles internationales ne s’appliquent que si elles sont respectées par les autres parties signataires dans leurs relations avec le Brésil.
Les arrêts du 20 février 2024 déterminent également que les règles d’indemnisation établies par la Convention de Montréal s’étendent aux assureurs dans le cadre des actions subrogatoires qu’ils intentent contre les compagnies aériennes.
En consolidant sa jurisprudence en faveur de l’application des conventions internationales dans le secteur aérien international, la Cour Suprême clarifie les droits et obligations des acteurs du secteur (en particulier les compagnies aériennes, leurs clients et les assureurs de ces derniers) et garantit une plus grande sécurité juridique.
Conclusion
Ces différents arrêts interviennent dans un contexte d’incertitude juridique liée à des décisions divergentes des tribunaux qui augmentent les défis opérationnels pour les compagnies aériennes. Ils représentent donc une avancée majeure dans la consolidation de la place des normes internationales dans l’ordre juridique brésilien. En affirmant la primauté de la Convention de Montréal et en clarifiant son application, le STF renforce la sécurité juridique et contribue à une meilleure prévisibilité pour les opérateurs du secteur.
Cette harmonisation du droit brésilien avec les standards internationaux est cruciale pour le développement et la compétitivité du transport aérien dans le contexte global, tout particulièrement dans un secteur dans lequel la marge de rentabilité est extrêmement faible et où chaque dépense non prévue peut avoir des conséquences catastrophiques. Les projections de l’International Air Transport Association – IATA pour 2024 sont bonnes : 4,7 milliards de personnes devraient voyager (un record historique qui dépasse le niveau prépandémique) et le fret devrait atteindre 61 millions de tonnes.
Mais à ceci devrait correspondre un bénéfice net de 25,7 milliards USD, pour une marge bénéficiaire nette de 2,7%.
Willie Walsh, Directeur Général de la IATA, en conclut : « Les bénéfices de l’industrie doivent être mis en perspective [...] une marge bénéficiaire nette de 2,7 % est bien inférieure à ce que les investisseurs de presque n’importe quelle autre industrie accepteraient. [...] en moyenne, les compagnies aériennes ne conserveront que 5,45 dollars par passager transporté. C’est à peu près assez pour acheter un ‘grand latte’ dans un Starbucks londonien » [8].
Sources (en portugais) :
- A jurisprudência dos Tribunais Superiores brasileiros sobre o sistema de Varsóvia e a Convenção de Montreal. João Marcelo Sant’Anna da Costa et José Gabriel Assis de Almeida, in Direito internacional CONPEDI/UFS. Coordination : Florisbal de Souza Del Olmo et Valesca Raizer Borges Moschen. Florianópolis : CONPEDI, 2015, ISBN : 978-85-5505-044-2.
- A posição jurídica, em face da companhia aérea, da seguradora da carga aérea que se sub-roga nos direitos do seu segurado : o debate sobre a aplicação das convenções internacionais no transporte aéreo internacional de carga. José Gabriel Assis de Almeida, in Direito Securitário na Aviação. Organisation : Alessandro Azzi Laender, Paulo Henrique Stahlberg Natal et Sérgio Luís Mourão. Belo Horizonte : Ed. De Plácido, 2022.
- O verdadeiro impacto da aplicação da Convenção de Montreal sobre a responsabilidade civil do transportador aéreo internacional perante os seus passageiros e a necessidade de uma política pública para o transporte aéreo internacional. José Gabriel Assis de Almeida, in Direito Aeronáutico, vol II. Organisation : Alessandro Azzi Laender, Paulo Henrique Stahlberg Natal et Sérgio Luís Mourão. Belo Horizonte : Ed. De Plácido, 2022.