Les conflits dans les ventes sont à l’origine d’un contentieux fourni et représentent à eux seuls une grande partie des litiges en droit équin. Cet arrêt de la cour d’appel de Paris du 30 novembre 2017 relatif à une vente entre particuliers d’un cheval vendu au prix de 5.000€ en est un nouvel exemple. Un an après la vente, l’acheteuse du cheval se plaint de ce que le cheval souffre d’une maladie respiratoire (emphysème pulmonaire) le rendant inapte à la compétition de sauts d’obstacles, objet de son achat. Rappelons qu’en matière de vente d’animaux domestiques, la garantie de droit est celle prévue par le Code rural, (L 213-1 et suivants et R 213-1 et suivants) laquelle ne prévoit de garantie que pour certains défauts visés par le texte et qui oblige l’acheteur a agir dans les 10 ou 30 jours de la livraison.
Si l’emphysème pulmonaire fait partie des défauts visés par l’article R 213-1 du Code rural, comme étant un vice rédhibitoire, les délais pour agir étaient largement expirés (10 jours à compter de la livraison) lorsque l’acquéreur s’est manifesté. L’acheteuse assigne le vendeur en résolution de la vente sur le fondement de l’article 1641 du Code civil et sollicite la restitution du prix versé et l’indemnisation de ses dommages.
Le vendeur conteste la recevabilité de l’application de la garantie des vices cachés. En effet si l’acheteur ne bénéficie pas de la garantie de conformité des articles L 217-1 et suivants du Code de la consommation, il doit rapporter la preuve d’une convention contraire explicite ou implicite, pour actionner son vendeur sur le fondement de l’article 1641 au titre des vices cachés. Cette condition accroît encore le contentieux de la vente, le vendeur opposant quasi systématiquement à l’acheteur la seule application des articles L 213-1 et R 213-1 du Code rural sur les vices rédhibitoires.
I- La vidéo réalisée le jour de l’essai est jugée recevable.
Cet arrêt de la Cour d’appel de Paris présente une autre particularité en ce qu’il évoque également le problème de la loyauté de la preuve. Pour démontrer l’existence d’une convention contraire implicite, l’acheteuse avait versé aux débats le contenu de la vidéo réalisée lors de l’essai du cheval, où avait notamment été évoqué avec la personne lui ayant présentée le cheval (qui n’était pas le vendeur) le comportement du cheval en concours. Le vendeur demandait que cette vidéo soit déclarée irrecevable, ce qui lui fut refusé par le Tribunal et la Cour. Rappelons qu’en droit civil le fondement qui impose aux parties de respecter la loyauté des preuves résulte des articles 9 et 10 du code de procédure civile et l’article 6-1de la Convention EDH de plus en plus fréquemment visé en jurisprudence (Cf. Revue Lamy Droit civil, Nº 75, 1er octobre 2010 n°28). Dans le procès civil, n’est pas loyale la preuve recueillie à l’insu de l’autre partie. S’agissant d’un enregistrement, deux conditions cumulatives sont donc nécessaires à sa recevabilité : l’interlocuteur doit être prévenu que la conversation est enregistrée, ou qu’elle est susceptible d’être enregistrée (Cass 2eme Civ 7 octobre 2004 n°03-12653 page 6). Tout recours à un stratagème ou à une provocation, toute action sournoise, cachée sera jugée déloyale (Cass soc 18 mars 2008 numéro 06–45 093). Ainsi, le 21 septembre 2016 la même cour d’appel de Paris avait déclaré irrecevable un enregistrement réalisé par un salarié à l’insu de l’auteur des propos tenus. (CA Paris 21 septembre 2016 n° 13/11442).
En outre deuxième condition, l’enregistrement ne doit pas concerner la vie privée de celui qui est enregistré ni présenter un caractère confidentiel. Si cette dernière condition ne faisait pas difficulté en l’espèce, l’acheteuse ne démontrait pas, en revanche, avoir prévenu l’interlocuteur qu’elle allait filmer la séance. Pour juger la vidéo recevable, la cour d’appel semble renverser la charge de la preuve en précisant que « rien ne permet d’affirmer que l’enregistrement l’était à l’insu des personnes présentes, ni que l’échange de propos avait un caractère confidentiel. » Toutefois, l’acheteuse éventuelle avait, a priori, filmé le cheval lors de l’essai du cheval au vu et au sus de tous. Elle n’avait donc fait appel à aucun procédé déloyal pour enregistrer les conversations accessoires à l’enregistrement, ce qui justifie la solution donnée par les juges.
-II- Sur la convention implicite dérogeant à la seule application du Code rural.
Si certaines juridictions sont exigeantes pour considérer qu’il existe une convention contraire implicite permettant aux parties d’invoquer la garantie des vices cachés, tel n’est pas le cas de la cour d’appel de Paris, comme le confirme cet arrêt. La cour d’appel déduit des discussions contenues dans cette vidéo qui, évoquait notamment la destination du cheval à participer à des concours, que l’intention des parties était bien implicitement de « déroger aux règles du Code rural » au regard « de la destination de l’animal vendu ». La cour se contente de cet usage sportif, alors qu’aucune visite vétérinaire n’avait précédé la vente et que le cheval avait été vendu à un prix correspondant à l’achat d’un cheval de loisir, sans aucune autre destination. La circonstance que l’emphysème pulmonaire constitue un vice rédhibitoire n’empêche pas l’acheteur d’agir sur le fondement du Code civil qui s’ajoute à la garantie du Code rural dès lors qu’il prouve l’existence d’une convention contraire. (Cf. dans le même sens Cour de cassation 15/10/2014 n° de pourvoi, Y 13-21.555)
Cet arrêt est dans la même ligne qu’une décision précédente du 19 janvier 2017, où la même cour d’appel de Paris, à propos d’un cheval cédé au prix de 13.000€, a jugé que « dès lors que le cheval était destiné à la compétition et que cette finalité n’est pas discutée entre les parties, la Cour d’appel considère que celles-ci ont entendues se soumettre aux dispositions du code civil et non aux dispositions des articles L213-1 du Code rural ». (CA Paris 19 janvier 2017 RG N° 15-11.713)
Rappelons une nouvelle fois qu’à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation du 19 novembre 2009 (Cass.. Civ. I 19/11/2009 RG n°08-17797), certains ont pensé que la convention implicite permettant aux parties de déroger au code rural et d’actionner la garantie du Code civil, était redevenue une évidence, sauf que plusieurs arrêts émanant de la Cour de cassation elle-même ainsi que d’autres arrêts de cour d’appel postérieurement à 2010 ont refusé l’application des vices cachés, alors que les litiges concernaient des chevaux manifestement achetés dans un but sportif connu des deux parties. Pour preuve, on citera notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 15/10/2014 (Cour Cass. 1ère chambre 15/10/2014 n°13-22.042) et l’arrêt de renvoi de la cour d’appel d’Aix en Provence (CA Aix en Provence 5 janvier 2016 RG n°14/22104) contrainte de se contorsionner sur le plan juridique pour accueillir la demande de l’acheteur sur le fondement du dol et non sur le vice caché exclu par la plus haute juridiction aux motifs que l’acheteur n’avait pas attendu les résultats de la visite vétérinaire pour donner son accord et que la preuve du seul usage sportif n’était pas établie. (Cf. Bulletin JURIDEQUI n°82 juin 2016 page 5 et 6). En l’espèce la cour d’appel de Paris est beaucoup moins stricte il est à craindre que cette bienveillance à l’égard de l’acheteur ne renforce encore le contentieux.
Après avoir passé ces deux obstacles, l’acheteur n’a pourtant pas eu gain de cause, et c’est sur la dernière condition qu’il a trébuché, la plus délicate, la preuve de l’antériorité du vice.
La Cour rappelle qu’il appartient à l’acheteur de démontrer « qu’au jour de la vente, le cheval était déjà atteint de l’emphysème pulmonaire diagnostiquée plus d’une année plus tard ». L’acquéreur apportait de nombreux éléments qui auraient permis aux magistrats de considérer que le vice était en germe et donc susceptible d’engager la garantie du vendeur : preuve d’une broncho pneumopathie un an avant la vente, attestation vétérinaire confirmant la toux du cheval depuis son achat, bronchite chronique confirmée par une endoscopie réalisée 3 mois après la vente. Pourtant, la Cour confirme le jugement ayant considéré que la preuve de l’antériorité du vice n’est pas rapportée au motif que l’inaptitude du cheval à la compétition n’est pas établie au moment de la vente puisque dans les jours qui ont précédé celle-ci, le cheval avait réalisé plusieurs compétitions. Cette tolérance à l’égard du vendeur peut s’expliquer au regard de la motivation de la Cour, par la personnalité du vendeur qualifié d’amateur. En sens inverse, la cour d’appel de Toulouse (CA Toulouse 7/12/2006 RG n°05/03873) a prononcé la résolution de la vente d’une jument conclue entre un amateur et un vendeur professionnel sur le fondement des vices cachés après avoir retenu que « ces défauts (il s’agissait d’une dorsalgie) existaient en germe au moment de la vente, même s’ils ne s’étaient pas révélés cliniquement du fait de la monte par un cavalier professionnel, ce qui suffit en droit à caractériser leur antériorité ». La qualité du vendeur pourrait donc avoir une incidence sur les conséquences du vice dit en « germe ».
III- Sur le devoir d’information du vendeur.
Pour débouter également l’acheteur de sa demande sur le fondement du dol, la Cour relève que les manœuvres frauduleuses ne sont pas caractérisées.
Certes pour les manœuvres mais quid de la réticence ? Il apparait que postérieurement à la vente, l’acheteur avait été mis en possession d’examens vétérinaires n’ayant pas été spontanément donnés par l’acheteur au moment de la vente. Or il a déjà été jugé que l’absence de communication spontanée par le vendeur professionnel du dossier médical du cheval pouvait constituer au minimum un manquement à son obligation d’information à l’égard du consommateur, voire une réticence dolosive. La cour d’appel de Caen a ainsi condamné le vendeur pour dol, faute d’avoir informé l’acheteur amateur que le cheval avait subi 4 ans avant une entérectomie alors qu’il existait un risque élevé de récidive (Cf. CA Caen 14 juin 2016 RG n°14/03648) ainsi que le vendeur professionnel qui n’a pas mis à disposition de l’acheteur également professionnel, un dossier vétérinaire mettant en évidence des lésions du cheval (CA Caen 7/11/2013 RG n°12/01303).
La personnalité du vendeur pourrait-elle alléger son devoir d’information ? Si le Code de la consommation prévoit une obligation pré contractuelle d’information à la charge du professionnel (art. L111-1 du Code de la consommation) concernant notamment les caractéristiques essentielles du bien ou du service, précisons à ce sujet que le nouvel article 1112 du Code civil prévoit lui un devoir général d’information précontractuelle qui impose à toute partie qui détient une information déterminante du consentement, à la communiquer à son cocontractant, sous peine de dommages intérêts ou de nullité du contrat. La loyauté ne doit pas concerner que le professionnel mais toutes les parties au contrat.