Erreur médicale : les dangers du choix de la voie d’indemnisation.

Par Dimitri Philopoulos, Avocat.

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Explorer : # erreur médicale # indemnisation # droit de la santé # procédure judiciaire

Les risques de la demande d’indemnisation devant la commission de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux (CCI) ont été rappelés par un arrêt du 3 décembre 2020 de la cour administrative d’appel de Paris.

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La victime d’une erreur médicale s’adresse parfois, sans l’assistance d’un avocat, à la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CRCI devenue CCI mais les deux sigles seront utilisés dans cet article).

Il en est ainsi par exemple en raison des encouragements des médecins en cause (chirurgien, anesthésiste, gynécologue, etc.) qui ont naturellement une préférence pour cette voie amiable.

C’est donc devant le fait accompli que la victime prend contact finalement avec un avocat en droit de la santé dans certains cas des années après sa demande d’indemnisation devant la CRCI.

A cet égard, un arrêt rendu le 3 décembre 2020 par la cour administrative d’appel de Paris rappelle des conséquences de la saisine de la CCI [1].

I. Risques de saisine de la CCI lorsque les soins sont pratiqués dans un hôpital public.

Dans l’arrêt rapporté, la victime a subi un handicap visuel à la suite d’un traitement médicamenteux pour une forme d’arthrite du dos.

Dans ces conditions, elle a saisi la CRCI d’une demande d’indemnisation de son préjudice.

Selon l’avis rendu par la commission le 6 octobre 2005, le dommage subi par la victime résultait d’un accident médical dont l’indemnisation incombait, d’une part, à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale, et, d’autre part, à l’hôpital à hauteur de 25 % en raison d’une faute médicale engageant sa responsabilité.

Le 8 janvier 2007, la victime a refusé l’offre d’indemnisation proposée par l’ONIAM le 29 décembre 2006.

Elle a également refusé le protocole d’indemnisation de l’assureur de l’hôpital daté le 6 décembre 2011 et reçu le 8 décembre 2011.

Dans ces conditions, elle a saisi le tribunal administratif de Paris par une requête enregistrée le 24 mai 2016. Celui-ci a rejeté sa demande d’indemnisation par un jugement rendu le 21 juillet 2017.

Après les propositions d’indemnisation, ce jugement devait provoquer un grand étonnement de la victime ! Celle-ci a naturellement relevé appel du jugement.

1) La cour administrative d’appel déboute la victime de sa demande d’indemnisation dirigée contre l’hôpital.

Les motifs de l’arrêt rappellent pour la victime que la demande d’indemnisation auprès de la CCI n’est pas un acte banal :

« Il résulte de ce qui précède [2] que la saisine de la CRCI ou de la CCI vaut, pour la victime qui souhaite obtenir une indemnisation de la part d’un établissement hospitalier, saisine de ce dernier d’une demande préalable en ce sens. »

L’arrêt rappelle la combinaison des dispositions relatives à l’effet suspensif de la saisine de la commission avec celles du délai d’exercice des recours contentieux :

« Le dernier alinéa de l’article L1142-7 du Code de la santé publique, selon lequel la saisine de la commission "suspend les délais de prescription et de recours contentieux jusqu’au terme de la procédure", implique nécessairement que les dispositions de ce code relatives à la procédure de règlement amiable en cas d’accidents médicaux, d’affections iatrogènes ou d’infections nosocomiales doivent être combinées avec celles du code de justice administrative relatives à l’exercice des recours contentieux.
Aux termes du premier alinéa de l’article R421-1 du Code de justice administrative dans sa rédaction alors applicable : "Sauf en
matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée".
En vertu de l’article R. 421-3 du même code dans sa rédaction alors applicable,
en matière de plein contentieux, l’intéressé n’est forclos qu’après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d’une décision expresse de rejet. Enfin, aux termes de l’article R421-5 du même Code : "Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision" ».

Il en résulte que, après la fin de la procédure devant la CCI, le délai de deux mois permettant de contester la décision préalable ne court à l’encontre de la victime qu’à la condition d’avoir été mentionné dans la décision explicite de rejet avec indication des voies de recours ouvertes conformément à l’article R421-5 du Code de justice administrative.

Ce faisant l’arrêt reprend la solution déjà adoptée par le Conseil d’Etat [3] [4].

Dans l’espèce rapportée, l’hôpital a adressé une offre d’indemnisation datée du 6 décembre 2011, reçue le 8 décembre 2011, à laquelle étaient joins des protocoles de transaction amiable. En l’absence d’acceptation de l’offre, cette décision expresse doit être regardée comme rejetant la demande d’indemnisation formulée pour la victime dans le cadre de la procédure de règlement amiable devant la CRCI.

Or, le second juge relève que cette décision portait bel et bien la mention selon laquelle faute d’acceptation de l’offre, la victime disposait d’un délai de deux mois à compter de sa réception pour saisir d’un recours le tribunal administratif de Paris.

Dans ces conditions, il appartenait à la victime de présenter un recours gracieux auprès de l’hôpital ou de saisir le tribunal administratif dans un délai de deux mois à compter de la réception de l’offre le 8 décembre 2011.

L’arrêt rapporté rejette également l’argument de la victime relatif à ses difficultés familiales et ses problèmes de santé qui l’ont empêchée de former un recours devant le tribunal, ces circonstances n’étant pas de nature à suspendre ou prolonger le délai de recours contentieux.

Il approuve ainsi le premier juge qui a estimé que la demande de la victime dirigée contre l’hôpital, enregistrée au greffe du tribunal le 24 mai 2016, est tardive et ne saurait donner lieu à une indemnisation pour faute médicale.

Il ne s’agit pas d’une décision isolée car la cour administrative d’appel de Paris a déjà débouté d’autres victimes de leurs demandes dans les mêmes circonstances après une saisine de la CRCI [5].

2) La victime est recevable dans sa demande d’indemnisation au titre de l’accident médical sans faute.

Quant à la demande indemnitaire de la victime dirigée contre l’ONIAM, il convient de noter que l’offre de l’ONIAM précisait qu’en cas de désaccord de sa part, il appartenait à la victime de saisir la juridiction compétente mais elle n’indiquait pas quelle était cette juridiction ni le délai dans lequel elle devait la saisir si bien que le délai de deux mois fixé par l’article R421-1 du Code de justice administrative ne lui était pas opposable.

Pour cette raison, le second juge rappelle les termes de la décision du Conseil d’Etat déjà citée [6] :

« Par ailleurs, s’il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d’une décision administrative individuelle qui a reçu
notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas
opposable doit, s’il entend obtenir l’annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, cette
règle ne trouve pas à s’appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d’une personne publique qui, s’ils doivent
être précédés d’une réclamation auprès de l’administration, ne tendent pas à l’annulation ou à la réformation de la décision rejetant
tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. Il
en va notamment ainsi des recours indemnitaires engagés par les victimes d’un dommage imputable à une activité de prévention, de
diagnostic ou de soins, ou à leurs ayants droit, auxquels l’ONIAM a adressé ou refusé une offre d’indemnisation, que ce soit à titre
partiel ou à titre global et définitif. »

La cour administrative d’appel énonce ainsi que lorsque le délai de recours n’est pas opposable à la victime (à défaut de mention dans la décision explicite), la saisine du juge dans un délai raisonnable [7] ne s’applique pas aux demandes d’indemnisation de la victime d’un accident médical, d’une affection iatrogène ou d’une infection nosocomiale qui sont régies par l’article L1142-28 du Code de la santé publique à savoir la prescription de dix ans à compter de la consolidation du dommage.

En conséquence, la cour administrative d’appel décide que le premier juge a estimé à tort que les conclusions indemnitaires de la victime dirigées contre l’ONIAM étaient tardives et irrecevables.

Il convient néanmoins de remarquer que si l’offre de l’ONIAM avait indiqué le délai et le nom du tribunal à saisir, la cour aurait confirmé l’irrecevabilité de la demande de la victime dirigée contre l’ONIAM.

II. Autres risques.

L’arrêt rapporté montre que lorsque les soins sont pratiqués dans un établissement public de santé, la vigilance s’impose en cas de refus de la proposition d’indemnisation suivant l’avis de la CCI.

Cependant il y a d’autres dangers qui menacent l’indemnisation de la victime d’un accident médical, y compris lorsque les soins sont pratiqués dans un établissement privé de santé comme une clinique. Il en va ainsi du danger d’une nouvelle expertise médicale.

Il s’agit du cas de figure où après une proposition d’indemnisation dans le cadre d’une procédure devant la CRCI, la victime saisit le juge qui ordonne une nouvelle expertise médicale qui se révèle défavorable.

Il suffit de faire une recherche de jurisprudence pour en trouver un bon nombre d’exemples dont certains sont récents [8].

III. Nécessité de choisir la voie appropriée.

La saisine de la CRCI est une démarche sérieuse.

La victime d’un accident médical ne devrait pas choisir cette voie pour servir de tremplin vers une autre voie de recours.

Dès le départ il est essentiel de choisir avec le concours d’un professionnel du droit la voie de recours la plus adaptée à chaque cas afin d’éviter les risques d’un mauvais choix et d’obtenir la meilleure indemnisation.

Dimitri PHILOPOULOS
Avocat à la Cour de Paris
Docteur en médecine
https://dimitriphilopoulos.com

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Notes de l'article:

[1CAA Paris, 8ème ch., 3 déc. 2020, n° 17PA03134.

[2Voici ce motif précédant : La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a créé une procédure de règlement amiable des litiges relatifs notamment aux accidents médicaux, confiée aux commissions régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI, devenues ultérieurement des commissions de conciliation et d’indemnisation (CCI)) et à l’ONIAM. La CRCI territorialement compétente peut être saisie par toute personne s’estimant victime d’un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins. Lorsque les dommages subis présentent un certain caractère de gravité, prévu au II de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique et fixé à l’article D. 1142-1 du même code, la commission émet, en application du premier alinéa de l’article L. 1142-8 de ce code, un avis portant notamment sur les causes et l’étendue des dommages ainsi que sur le régime d’indemnisation applicable. Si la commission estime que le dommage, provenant d’une faute, engage la responsabilité d’un professionnel ou d’un établissement de santé au sens du I de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique, il résulte des dispositions de l’article L. 1142-14 du même code que l’assureur de la personne considérée comme responsable adresse à la victime, dans un délai de quatre mois, une offre d’indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis et que la victime peut, soit accepter l’offre de l’assureur, qui vaut alors transaction au sens de l’article 2044 du code civil, soit, si elle l’estime insuffisante, saisir le juge.

[3CE, Avis, 17 septembre 2012, ONIAM, n°360280, Publié au recueil Lebon : Cet avis du Conseil d’Etat fait courir le délai de deux mois visé à l’article R. 421-1 et R. 421-3 du code de justice administrative à compter de la notification de la décision rejetant la demande d’indemnité préalable à la saisine de la CRCI. Il a en outre précisé le délai ne court qu’à la double condition que la notification indique que le tribunal administratif peut être saisi dans le délai de deux mois mais aussi que ce délai est suspendu en cas de saisine de la CRCI.

[4CE, 5-6 CR, 17 juin 2019, n° 413097, Publié au recueil Lebon.

[5CAA Paris, 3ème ch., 31 déc. 2012, n° 12PA02019.

[6CE, 5-6 CR, 17 juin 2019, n° 413097, Publié au recueil Lebon

[7L’arrêt cité du Conseil d’Etat ajoute que le délai raisonnable ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an.

[8CA Paris, 2-2, 19 nov. 2020, n° 19/02548.

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